Adobaï, je me souviens de Clifford, par Paul Germon

Adobaï, je me souviens de Clifford, par Paul Germon

 

Les non-initiés seront peut-être apostrophés par le titre de ce premier roman de Paul Germon. « Adobaï », tout d’abord. Dans la Torah, en Exode 20-7 il est formellement prescrit : « Tu ne prononceras pas mon nom de manière abusive, car moi, le Seigneur ton Dieu, je tiens pour coupable celui qui agit ainsi ». « Qu’à cela ne tienne ! », se sont dit les Juifs tunisiens, il y a bien longtemps. Si ce n’est que cette vétille ! Il suffira de changer une lettre du nom divin, par exemple un « n » en « b ». Et c’est ainsi que fut introduit dans le langage courant des « Tunes », le terme « Adobaï », qui prendra, au fil des générations le sens de « diantre », « ciel », « parbleu », voire « palsambleu ».

« Je me souviens de Clifford », ensuite. Il s’agit d’un disque de jazz, reçu par le héros du livre pour sa bar-mitzvah, réunissant Clifford Brown à la trompette, Max Road à la batterie et tout en ensemble de musiciens célèbres à l’époque, qu’on aimait écouter et réécouter sur son électrophone Teppaz.

Bien que le roman semble véritablement autobiographique, l’auteur a préféré nommer son héros Paul Chaltiel, né le 30 novembre 1947, à la lisière de la Hara, le quartier juif de Tunis, du côté de la rue Sidi Bouhadid, au 69 de la rue des Glacières.

Après l’occupation allemande de la Tunisie pendant six mois, de novembre 1942 à mai 1943, la communauté juive avait pu penser que les jours difficiles étaient derrière elle. Il n’en fut rien hélas. L’indépendance du pays en 1956, puis l’Affaire dite de Bizerte, en 1961, conduira vers l’exil des dizaines de milliers de personnes.

Paul Germon nous conte avec brio le Tunis d’antan : quand la jeunesse juive du pays était insouciante et heureuse malgré la misère de certains. Après l’Indépendance, le gouvernement tunisien ne saura pas retenir sa communauté juive pourtant installée dans ces terres depuis des millénaires. De plus de cent mille âmes à l’époque, il n’y a plus de nos jours qu’un millier de Juifs en Tunisie.

Tunis-la-Juive, donc, il était une fois. Ya Khasra !

Grâce à Paul Germon et à sa plume alerte, nous retrouvons les personnages folkloriques : les chanteurs de rue et les cartomanciennes ,le rémouleur,  l’épicier djerbien,,le kanoun avec ses braises fumantes, le marchand de bricks et celui de granites, le vendeur de cakis, les pétards, fouchics et autres bannis-bannis, les cigarettes RT-Halouzi, les BD d’époque : Buck Danny et Rodéo, le lycée Carnot et celui de l’Alliance Israélite, les jeux de billes et de noyaux d’abricots, les frigolos et les glaces de chez Bébert ou Paparone, les caramels à la roulette, les cacahuètes et les glibettes noires et blanches, les melons, les pastèques et les figues de Barbarie ( « guergèbes), l’achat des poulets de Kippour et l’égorgeur attitré, le bordel bon marché de la célébrissime rue Sidi Abdellah Guèche.

Sans oublier le sport où les Juifs étaient omniprésents avec l’Herzellia, l’Alliance ou l’UST, les plages de sable fin et doré face à une mer bleue.

Et puis vint l’exil. Les paquebots « Ville d’Alger », « Ville de Tunis » ou « Président de Cazalet », pour certains, les Caravelles d’Air France ou de Tunis Air pour d’autres.

À Paris, on découvre Saint-Germain-des-Prés, Montmartre, Saint-Paul et Belleville. Et, un peu plus loin, Sarcelles. C’est le temps des facs, des cités et des restaurants universitaires, des chambres de bonnes, des études et de la reconstruction d’une nouvelle vie.

À découvrir toutes affaires cessantes !

 

Jean-Pierre Allali

(*) Autoédition. Janvier 2021. 328 pages.

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