"Génie littéraire" et laudateur du nazisme, voire agent d'influence des Nazis durant la guerre. Pour le philosophe Pierre-André Taguieff et l'historienne Annick Duraffour, on ne doit plus distinguer chez Céline l'écrivain de l'"antisémite obsessionnel". Ils publient "Céline, la race, le Juif" (Fayard), à paraître lundi le 6 février prochain.
"Céline, la race, le Juif" (Fayard), sous titré "Légende littéraire et vérité historique" est un pavé de 1.180 pages, très documenté, à paraître lundi, qui entend rétablir "la vérité historique" face à "la légende littéraire" qui entoure l'auteur du "Voyage au bout de la nuit" mais aussi de "Bagatelles pour un massacre".
"Plus on connaît l'homme Céline, plus on est saisi par le dégoût et le mépris"
Le débat (parfois vif) entre admirateurs et contempteurs de l'écrivain n'est pas nouveau mais ce nouvel ouvrage, fruit d'un travail entamé il y a quinze ans, entend démontrer, en s'appuyant sur un corpus impressionnant, que l'antisémitisme de Céline ne fut pas un "accident" à prendre à la légère mais se situe bien au coeur de sa pensée et de son écriture.
"Plus on connaît l'homme Céline, plus on est saisi par le dégoût et le mépris", écrivent les deux auteurs qui ne manquent pas d'égratigner plusieurs biographes et "spécialistes" de l'écrivain qu'ils jugent trop bienveillants à l'égard du "reclus" de Meudon."Face à Céline, la complaisance et l'indulgence prennent le sens d'une connivence, voire d'une complicité rétrospective", cinglent Pierre-André Taguieff et Annick Duraffour.
Pour les deux auteurs, Céline a été un collaborateur "engagé" aux côtés des Nazis durant l'Occupation et non un simple spectateur. "La thèse du 'retrait' de Céline pendant les 'années noires' est devenue insoutenable". Outre sa participation à des réunions organisées par les milieux pro-nazis, Céline a fréquenté de hauts responsables de l'appareil nazi en France, affirment le philosophe et l'historienne.
Céline n'a pas collaboré que par des mots mais aussi par des actes, pointe Annick Duraffour qui rappelle que Céline n'hésita pas, en octobre 1940, à dénoncer aux autorités "le médecin juif non naturalisé" Joseph Hogarth (en fait de nationalité haïtienne) dont il souhaitait obtenir le poste. Le livre est dédié au Dr Hogarth.
L'ouvrage dépeint également un Céline volontiers menteur et opportuniste
"Céline n'est pas Bardamu", l'homme du peuple, narrateur du "Voyage au bout de la nuit", affirme Annick Duraffour. La correspondance de Céline révèle que l'écrivain -contrairement à son narrateur- soutient le colonialisme et l'esclavage. "Je suis tout porté à croire que certains êtres sont naturellement prédestinés à être esclaves", écrit-il ainsi à son père.
Cyniquement, il justifie l'écriture du "Voyage" en expliquant qu'il faut "savoir ce que veut le lecteur, suivre la mode comme des midinettes (...) C'est la condition sans laquelle il n'est pas de tirage sérieux (seul aspect qui compte)".
Certes, admettent Taguieff et Duraffour, "de nombreux autres auteurs français ont professé des opinions antijuives au XXe siècle". Mais, ajoutent-ils, "en raison de son statut internationalement reconnu de 'génie littéraire' (...) Céline occupe une place déterminante dans l'histoire de l'antisémitisme à base racialiste et conspirationniste". Son antisémitisme "par sa virulence et son caractère délirant reste sans équivalent dans le monde littéraire au XXe siècle".
"Lucette Destouches, épouse Céline"
Parallèlement à cet ouvrage paraît mercredi prochain chez Grasset le sixième des carnets tenus par Véronique Robert-Chovin sur "Lucette Destouches, épouse Céline". Le carnet court du 20 juillet 2012 (jour des 100 ans de Lucette) jusqu'au 19 janvier 2016. Agée aujourd'hui de 104 ans, la veuve de l'écrivain se montre pleine de vitalité (même si l'auteur nous apprend que depuis une hospitalisation en février 2016, la vieille dame n'est plus la même).
"Avec Céline, elle ne riait jamais", confie la vieille dame à son amie de 40 ans sa cadette. Elle se souvient du Céline brisé après la guerre. Il ne lui fait plus l'amour. "Après la guerre, le sexe ça avait été terminé pour lui". Elle raconte que "pendant les dix ans passés à Meudon, il ne se lavait plus, ne se changeait plus, vivait comme un clochard". "Il était redevenu un enfant, il pleurait quand je m'absentais et je devais tout lui faire".