Chedli Klibi est décédé
L’ancien secrétaire général de la Ligue des États arabes et longtemps ministre de Bourguiba, Chedli Klibi, 94 ans, est décédé tôt ce matin à sa résidence à Carthage, apprend Leaders de source familiale. Fin lettré, agrégé de la Sorbonne, syndicaliste, enseignant au Sadiki, il avait été appelé par Bourguiba, au lendemain de l’indépendance pour diriger la radio tunisienne et lui donner la profondeur culturelle et littéraire souhaitée. Maire de Carthage, ministre de la Culture, et secrétaire général de la Ligue des États arabes, il était resté toujours le même : une vive intelligence discrète, un bâtisseur en silence, et passeur d’idées, conciliateur.
Avec la disparition de Chedli Klibi, les lettres arabes perdent un érudit, la nation arabe, un sage, et les relations internationales, un messager de paix.
Le pied mis à l’étrier, Chedli Klibi entamera alors une longue carrière gouvernementale, marqué par un passage indélébile à la tête du ministère de la Culture et en cumulant parfois celui de l’information. Les maisons du Peuple et de la Culture, la bibliothèque itinérante, les JCC, les troupes nationales, théâtrales, musicales, de danse et de marionnettes, la relance de l’Institut national du Patrimoine, des musées et la mise en valeur des sites archéologiques, et autres œuvres fondatrices lui doivent beaucoup, aux côtés de Bourguiba.
Maire de Carthage, pendant 27 ans (1963 – 1990), il portait en sacerdoce la magistrature d’une cité des plus prestigieuses depuis l’antiquité et œuvrait à son rayonnement dans la modernité.
Dès le premier numéro de Leaders paru en juin 2011, Chedli Klibi témoignera d'une contribution régulière, avec des chroniques, des fragments de mémoire, des hommages à d'illustres tunisiens. Plus encore, au lancement de Leaders Arabiya en phase pilote en octobre 2016, il acceptera de nous accorder la grande interview de ses 90 ans. Sans discontinuité, jusqu'au dernier numéro publié en avril dernier, il poursuivait une précieuse collaboration, au grand bonheur de nos lecteurs.
A un moment, Habib Bourguiba voulait l’envoyer en semi-disgrâce au Caire en qualité d’ambassadeur auprès de Jamel Abdennaceur. Alors que Chedli Klibi avait fait ses cartons et préparé son départ, il fut rappelé à Carthage, non pour faire ses adieux au chef de l’État, mais pour devenir son chef de cabinet (avec rang de ministre). Encore plus proche de Bourguiba, le pratiquant au quotidien, traitant sous son autorité tous les dossiers de l’État, il verra son périmètre s’élargir et sa connaissance des détails de la chose publique s’enrichir.
Le traité de paix israélo-égyptien signé le 26 mars 1979 à Washington (suite aux accords de Camp David de 1978) fera ébranler le monde arabe. L’Égypte de Sadate sera exclue de la Ligue des États arabes dont le siège sera transféré à Tunis et le secrétaire général congédié. Bourguiba qui acceptera, en concertations diplomatiques arabes et occidentales, d’accueillir l’organisation panarabe sur nos rivages devait présenter un candidat, quasiment approuvé d’office, au poste de secrétaire général. Dans sa perspicacité, il décidera d’y choisir Chedli Klibi, pour sa finesse d’esprit, son érudition, sa diplomatie sereine, ses liens privilégiés avec de nombreux chefs d’États arabes et étrangers. Il y sera élu le 28 juin 1979.
Dix ans durant, au 6ème étage de cette grande bâtisse sur l’avenue Kheireddine Bacha, non-loin du centre-ville de Tunis, Chedli Klibi s’emploiera d’une part à dépouiller la Ligue de son archaïsme et de ses combinards pour la refonder dans l’efficience et la modernité et d’autre part, à lui donner un rôle actif dans le monde arabe et le concert des nations. Subir les uns et les autres, surfer sur les susceptibilités, éviter les pièges, apaiser les tensions et rapprocher les points de vue : Klibi savait y faire, armé de sa patience et de sa sincérité.
L’invasion du Koweït par Saddam Hussein, le 2 août 1990, changer la donne. Un débat houleux chahutera la réunion des ministres des Affaires étrangères convoqués en session urgente au Caire. Chedli Klibi ne pouvant se résigner aux oukases des uns, remettra sa démission le 3 septembre 1990. L’Égypte prend sa revanche, soutenue par de nombreux pays. Elle réintègrera la Ligue et en récupérera le siège dès 12 septembre 1990 (par 12 voix sur les 21 membres).
Du temps de l’action, toujours adossée à la réflexion, Chedli Klibi passera alors au temps de la contemplation. Revisitant l’histoire, le Coran, la Sunna, les relations internationales, le parcours des grands hommes et des grandes femmes de l’histoire, il se retirera de la vie mondaine pour lire et écrire. Toujours frais et pimpant, élégamment habillé, il aimait s’installer dans son fauteuil devant son jardin fleuri, pour lire, dévisser avec ses visiteurs et passer ses coups de fil. Prenant place derrière son bureau, il répondait de sa propre écriture au courrier reçu et écrivait des textes qu’il envoyait par fax ou par porteur, ou encore la Poste, à leurs destinataires. Ces dernières années, il s’appuyait sur son assistant personnel pour lui dicter ses textes, mais tenait à les relire méticuleusement. La grammaire et l’orthographe, mais aussi la syntaxe et surtout le sens des mots et ne sauraient souffrir aux yeux du Sorbonnard qu’il était toujours, rester la moindre erreur.
Chedli Klibi aura été, lui aussi, l’incarnation d’une quintessence de l’intellingencia tunisienne et arabe. Valeurs ancestrales et modernité, authenticité arabo-musulmane et ouverture, esprit libre, mais non libertaire : il avait porté un message de l’Arabe de son siècle.
Allah Yerhamou.
Taoufik Habaieb