Gilles Jacob Lellouche - Jacob mon ami - Par Docteur Lilia Bouguira

Gilles Jacob Lellouche - Jacob mon ami - Par Docteur Lilia Bouguira
 
Tu es parti en coup de vent remuant le couteau dans les plaies.
Des plaies béantes qui risquent de nous emporter.
Hier encore, tu a été le roi de nous tous. Tu as mené encore une fois le jeu jusqu'au bout.
 
Un tympo maccabre mais tu l'as  mené. 
 
Tu t'es fait attendre au Borgel. 
 
A l'hôpital , tu as encore traîné.  Certainement ces foutues procédures. Tu as du rouspéter et crier. Tes gros mots sucrés salés ont du être les premiers à fuser puis tes "shamahni aych khouyaé ijé nbouchlek rassek" pardon mon frère  viens je te baise la tête. 
 
Puis ton fameux rire. Ces fossettes qui creusent tes joues comme deux soleils ont du éclairer la terre entière.
 
Mais j'ai rien vu. J'ai été trop occupée à te pleurer et à compter mes morts.
 
Moi aussi, je vais m'y mettre à tonner mais en français. Tu sais les gros mots ça compte pas en français . C'est qu'en notre dialecte typiquement tunisien que ça compte. Ça libére et ça rend la douleur plus comique. Nous avons ce don unique de pleurer et de rire à la fois.C'est comme pour noyer notre terrible chagrin.
 
Tu veux savoir même  que tu t'es fait trop attendre au Borgel car on t'a attendu d'un peu avant midi jusqu'aux environs de quatre heures. J'ai pas regardé. J'ai été trop occupée à chercher mes morts et les compter comme je te l'ai déjà dit.
 
Un air de paix règne dans tout le cimetière. Les oiseaux remplissent le ciel d'une mélopée qui sied à l'endroit mais bizarrement, elle n'est pas si triste que ça. Leur chant est comme joyeux. Une ode à leurs pensionnaires ou peut-être  parce qu'ils  savent que tu n'aimes pas la "rasra".
 
Ils patientent à te recevoir pour toujours.
 
Je me suis assise à  même le sol du côté de la stelle des déportés à Auschwitz. 
 
Même là-bas, notre Tunisie s'est douloureusement démarquée. Elle s'est faite ravir sauvagement ses enfants. Oui, des purs sangs tunisiens qui avaient pour seul tort d'être juifs.La race maudite de ces temps et de tous les temps. 
 
La race bouc émissaire. 
 
Le cimetière  est très beau. Il y  règne un air de paix malgré les orties , les ronces et les mauvaises herbes. Les arbres sont somptueux et gravitent au ciel. Ils se tiennent témoins de l'ingratitude de l'homme,de l'oubli et du laisser- aller des enfants pour leurs morts. Borgel tombe en ruine et se meurt avec ses habitants. Un grabas de tombes et de pierres. Les inscriptions rares, défraîchies presque illisibles sauf les rares restaurées . 
 
Tout est à découvert.  Même dans la mort, les morts ont perdu le respect de leurs vivants. Et pourtant, c'est pas lugubre. Je ne sens pas la peur des morts. Je m'y allongerai bien pour t'attendre et te pleurer.
 
Mais toi, tu aimes le rire alors je vais te lire les noms des inscriptions et essayer de me souvenir des histoires que je connais. Comme pour entretenir la mémoire encore une fois..une dernière fois avec toi.
 
Mon Dieu, combien ta mort me pèse. C'est comme si j'ai perdu une part de moi et pourtant nous nous sommes pas tout le temps vus toi et moi mais nos rencontres à chaque fois ont été de mille feux brûlants. Tu avais le don de me faire rire avec tes jurons et histoires aussi belles que tes tableaux et ta cuisine. Tu avais toujours un bon mets pour moi. Une boulette, une makboubet sa3dha, du pain d'azyme que je raffole  ou une brik à la va-vite et ton fameux "aych eukhti mange c'est moi qui l'ai préparé".
 
Et quand je te reprenais de faire attention à toi , de te la fermer quand les salfistes sont venus te menacer en 2012, tu partais aux éclats m'entrainant dans ton rire avec ton fameux doigt d'honneur à leur égard.
Pourquoi je te dis tout ça mon ami,  mon frère de sang car tous les hommes ont certainement le même sang même si les fachos prétendent le contraire. Nous avons tous le même nombre de globules rouges, de globules blancs et de plaquettes les juifs y compris n'est-ce -pas?
 
Il est plus de trois heures quand tu t'engages dans ton corbillard. Une simple partner je crois, poussiéreuse sans les somptueux   rideaux noirs ni rien. Un corbillard moderne surement sans fanfard comme avant qui sied plus à l'actualité des circonstances.
 
Nous sommes nombreux à venir te rendre nos adieux.
 
J'ai dénombré la foule du regard et cela m'a fait chaud au coeur que beaucoup de tes amis soient là. Des hommes et des femmes. Des personnalités publiques et même  de renommée mais surtout des musulmans plus que des juifs. J'ai eu les yeux embués quand j'ai aperçu le vaillant professeur Habib Kazdaghli. C'est qu'il est de tous les fronts pour les libertés et la paix dans le monde. Toujours présent avec ses filles comme j'aime dire. Il a toujours pris ses étudiant(e) sous sa protection. Elles sont là où il va comme pour les initier à ne jamais tenir compte des différences mais dans un fin travail de mémoire. Restaurer la mémoire trouée par le temps et les mains des vainqueurs souvent manipulatrices de la vraie histoire.
 
Cela m'a  rempli de chaleur humaine et du coup cela m'a redonné espoir en mon peuple.La Tunisie a porté  une poignée toujours la même depuis la nuit des temps qui sacralise l'humain et rien que l'humain. C'est toujours cette même frange qui récemment dans l'histoire proche du pays a caché des juifs tunisiens de la botte allemande en 1942 et en 1967. Ces mêmes justes se sont perpétrés par leurs enfants et ont dénoncé la poigne des obscurantistes après la révolution. Ils  ont encore crié  dans leur haine pour tout à l'antisémitisme confondant à sa perte le juif tunisien.
 
C'est cette même frange qui a été présente pour chaque manifestation contre les atteintes aux libertés et la chasse aux non jeûneurs pendant ramadan ou encore la traque pour un petit baiser ou encore pour les artistes, les femmes, l'endoctrinement des enfants.
 
Elle a dénoncé haut et fort les écoles coraniques en particulier celle du Regueb où des gamins ont été formés pour le djihad. Ils ont été embrigadés et même violés par leurs mentors.  La pédophilie fait partie de leur enseignement terroriste qui en s'en enorgueillit  presque comme dans un acte de faveur divine.
 
C'est cette même frange qui est sortie meurtrie pour Chokri et Brahmi et tous les  assassinats politiques en post révolution.
 
C'est cette même frange qui a manifesté de la rue des États-Unis où siège  le syndicat national des journalistes tunisiens à qui on continue à faire la chasse aux sorcières.
 
Elle a traversé solidaire la rue de la liberté jusqu'au théâtre municipal où sur ces marches séculaires nous avons hué et dénoncé  la chasse cette fois aux noirs subsahariens. Nous avons relevé le pari de ne jamais laisser la Tunisie sombrer dans le racisme. Les fachos n'auront jamais leur place dans notre pays. Nous avons encore gagné. Depuis ce samedi 26 février, les autorités ont reculé et les discours de la honte se sont tus.
 
La peur ça connait pas pour cette même frange. 
 
Hier encore, elle a été présente pour toi, pas toute bien sûr mais j'ai retrouvé son souffle. Ses battements. Identiques pour toi et tous les autres. Nous sommes magnifiques  sous ce soleil d'aplomb pour lequel tu as décidé de revisiter ta vie la cinquantaine passée et de perpétuer la promesse d'Henri Tibi"  dans sa chanson " je reviendrai là-bas ".
 
Lui, il est mort loin de cette terre qu'il a toujours vénérée et ce soleil qu'il  a  toujours convoité. Toi, tu es retourné et ton pays a decidé de ne plus jamais te laisser partir ni te céder à n'importe quelle autre terre d'accueil. La Tunisie t'a repris à son sein. Hier, ce n'est pas un tombeau qui s'est refermé sur toi mais ton pays s'est rattrapé dans la mort pour te lover.
 
Le miniane et les cailloux sont respectés comme il se doit. Ton âme légère a souligné l'endroit. On dirait pas des obsèques, je te jure. 
 
Puis on a salué ta famille. J'ai serré Joachim Lellouche et  Lellouche Ava que je voyais pour la première fois mais dont tu étais si fier. Mon Dieu, combien ils te ressemblent tes enfants chacun à sa façon. En plus, ton garçon tient bien son rôle  de successeur.
 
Puis tout le monde s'est dirigé dans l'allée centrale vers la sortie. Je n'ai pas oublié de me laver les mains au robinet à la porte du cimetière. 
 
Oui, tout a été respecté sauf que je n'ai pas pleuré. C'est comme si mes larmes se sont interdites à moi.
 
Comme dans une anesthésie et là, ce matin, mes mots coulent comme pour embaumer mes maux, mes larmes aussi.
 
Ce dont je suis sûre, c'est que tu as réussi encore une fois une dernière fois à me surprendre par ta mort.
 
Repose toi mon ami.
 
Ton repos est mérité.
 
# les anti-différents,les anti-noirs  les anti-arts, les anti-libertés,les anti-juifs bien entendus quittez moi à jamais. Vous me donnez de l'urticaire.
 
 
Docteur Lilia Bouguira

Commentaires

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54 années 9 mois
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Cher Docteur Bouguira

Votre éloge funèbre est particulièrement émouvant par les sentiments qu'il exprime et en même temps hautement courageux par ses prises de position.

Je vous adresse l'expression ma reconnaissance pour l'espoir que vous redonnez à tous les tunisiens exilés (dont je fais partie) et qui jusqu'à présent n'envisageaient que la disparition de "leur" Tunisie.

Tout n'est donc peut-être pas perdu ?

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54 années 9 mois
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Ce n’est qu’aujourd’hui que j’apprends la mort de mon ami Gilles Jacob Lellouche, et ma tristesse vient être recouverte par les centaines de souvenirs parfumés des épices de y’a cuisine, déjà chez Mamy Lily de la goulette casino , que sa mémoire soit bénie ; toujours un peu marginal, fort en connaissances historiques et fort en truculences verbales, je te pleure ainsi que nos amis tunisiens disparus, Eliane Tibi et les autres , aimons la vie comme du pain- perdu et du couscous garni! Adieu 

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