DE L’ÉPINE NAIT LA ROSE, PAR THERESE ZRIHEN-DVIR

DE L’ÉPINE NAIT LA ROSE

PAR

THERESE ZRIHEN-DVIR

 

Mère disait souvent, surtout quand les temps étaient trop mauvais, quand son horizon s’obscurcissait et se rétrécissait : «  De l’épine nait la rose et de la rose nait l’épine ».

Je dois avouer que je ne comprenais pas grand-chose à ce qu’elle voulait dire et n’osais vraiment pas lui demander des éclaircissements.

Elle était parfois mystérieuse, fermée, tout en demeurant tendre et vulnérable, présente et absente à la fois.

Elle me rappelait en quelque sorte une fleur à son réveil à l’aube, lorsqu’elle s’étire, dodeline et s’entrouvre, permettant à ses pétales  d’accueillir avec amour et complaisance, la première caresse d’un rayon de soleil.

Ma mère était belle de cette beauté que confèrent la sagesse, la tolérance et surtout l’intelligence. Elle regardait son petit monde tourner autour d’elle, et s’oubliait dans le jeu de ses luttes personnelles. Mon frère, l’unique garçon au sein de trois filles, jouissait d’une attention toute particulière, et nous les filles nous nous sentions légèrement mises de côté.

Pourtant, c’était à moi son ainée qu’elle venait s’ouvrir et partager ses petits secrets, ses soucis et même ses amusantes galéjades. Son fils, lui devait mener une vie insouciante, sans obstacles, ni tressautements, parce qu’il avait une destinée toute différente des nôtres, les filles. Il devait apprendre la Torah, s’initier aux prières, être assez doué pour se tenir droit aux côtés de son père et lire sans trébucher et à haute voix la Paracha de la semaine.

Nous les filles, le shabbat et jours de fête, nous l’observions du haut du balcon de la synagogue en compagnie de notre mère, qui ne lui accordait qu’un intérêt éphémère. Pourtant, c’était à nous ses filles, qu’elle dédiait tous ses regards, tous ses sourires, avec son corps que le dur labeur avait élimé sans lui ôter un brin de son halo de fierté.  

Elle nous regardait virevolter autour d’elle, elle devait nous trouver très belles avec nos robes à volants garnies de dentelle fine, qu’elle nous avait cousues durant ses rares minutes de répit et de calme, et nos jupons gonflants, nos escarpins noirs en verni, étincelants de mille feux et nos petits bas aussi blancs que la neige.

Nos cheveux qu’elle avait pris bien soin la veille d’enrouler de bigoudis, et qu’elle déliait le matin avec une certaine adresse, cascadaient sur nos épaules en boucles soyeuses et moirées. Nous étions toutes très belles, les plus belles, assurait-elle, mais aussi tellement différentes l’une de l’autre. Moi, disait-elle, je ressemblais à mon père avec mes yeux gris-vert et mes taches de rousseur, ma sœur, avait par contre des yeux marron veloutés, une peau lisse et sans reproche, un nez droit et un sourire envoutant. La toute petite, c’était Sophia Loren, avec ses yeux en amande, ses pommettes hautes, et son large sourire.

« Maman, que veux-tu dire par  de l’épine nait la rose et de la rose nait l’épine ? », osais-je enfin lui demander.

« Mon enfant, je n’étais pas aussi jolie que l’était ma sœur Perle, et tous disaient en me dévisageant, comme mille reproches, que je n’aurais pas de jolies filles… Je ressemblais beaucoup plus à une tzigane, avec mes cheveux bouclés, mes yeux noirs et mon sourire réticent. C’est moi l’épine et vous les roses que j’ai mises au monde… Comprends bien, une épine peut donner le jour à une rose ! »

Je ne pus m’abstenir d’éclater de rire… « Mais maman, tu es la plus belle des mamans… tu es la plus belle rose du monde et c’est toi la rose et nous tes graines, celles qui poussent dans le secret de ton cœur ».

Je vins me blottir sur sa poitrine, respirant le doux parfum de lavande qui émanait d’elle, admirant les courbes de son visage, déplorant les petites rides qui naissaient au coin de ses yeux et les poches sombres gagnées par l’austérité de la vie, par la fatigue et le temps… Je lui pris la tête entre mes deux mains, chassant les mèches qui s’évadaient sur son front puis lui murmurai calmement…

« Maman chérie, nous ne serions jamais aussi belles, si toi tu ne l’étais pas… c’est de toi que nous sommes sorties et c’est à toi que nous ressemblons et demandons à ressembler ».

Elle me regarda les yeux humides où l’orgueil et la fierté n’étaient pas étrangers, puis elle me serra très fort contre elle avant de tourner la tête vers le bas où son fils lisait à haute voix sa paracha.

« La beauté mon enfant est un atout qui peut ouvrir beaucoup de portes et offrir des opportunités, mais la chance et le destin, seront ceux qui pourront te guider vers le bonheur ou l’infortune… »

Elle avait sans doute raison.

Dans le cachot de la nuit, je refis le chemin de son parcours et dus admettre, qu’elle avait eu une sacrée destinée… Je me mis à pleurer en silence me promettant à mon réveil de faire de mon mieux pour lui épargner d’additionnelles afflictions.  

Et c’est ainsi qu’elle devint mon amie et ma confidente. Je lui racontais mes aventures tout en marchant à ses côtés au sortir de son travail, et la voir se détendre et rire de mes succès et de mes déboires, reprendre son allure d’enfant et s’oublier, oublier son passé, ses heures terribles de déception et de lutte revêche, devenaient mes plus grandes victoires.

Elle était heureuse et sa joie me comblait. Je compris alors combien la tâche d’une mère peut parfois être si pentue, si escarpée et totale, et l’ingratitude d’un enfant si absolue et despotique.

Son bonheur devint depuis ma tâche la plus sacrée, et son ombre me suit partout, comme pour me guider vers ces sphères où la joie et la tendresse sont rois.

Une mère, n’est pas seulement une maman, mais aussi et surtout la source d’où nous nous abreuvons à chaque instant de notre vie. Aimez là tant que vous pouvez le faire et surtout ne cessez jamais de le lui dire...

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