En Tunisie, la transition démocratique brouillée par l’abstention lors des municipales

En Tunisie, la transition démocratique brouillée par l’abstention lors des municipales

Le parti islamiste Ennahda semble bien placé pour réaliser une percée à l’issue des élections de dimanche marquées par une faible participation

LE MONDE | Par Frédéric Bobin (Tunis, correspondant)

Sous le grand ficus coiffant la cour de récréation, les électeurs longent au compte-gouttes le toboggan pour se diriger vers les urnes nichées dans les salles de classe. Dimanche 6 mai en milieu de journée, l’affluence était faible en cette école primaire du Kram, banlieue située au nord de Tunis, aménagée en bureau de vote à l’occasion des premières élections municipales en Tunisie depuis la révolution de 2011.

Le faible taux de participation – de 33,7 %, selon l’Instance supérieure indépendante des élections (ISIE) – pour un scrutin pourtant lesté d’enjeux de proximité risque de jeter une ombre sur la transition démocratique en Tunisie. En 2014, la participation aux élections législatives s’était hissée à 68,36 %.

Une désaffection à l’égard de la politique

Lamia Chamam, lunettes de soleil et chevelure brune, avait bien des raisons de bouder les urnes. Diplômée en biologie, elle est au chômage – comme tant d’autres diplômés de l’enseignement supérieur. En Tunisie, la désaffection à l’égard de la politique se nourrit amplement des difficultés socio-économiques – chômage, inflation, érosion du dinar, endettement de l’Etat – que les différents gouvernements depuis la révolution de 2011 n’ont pas su résorber. Lamia Chamam, dont le mari gère un salon de coiffure, a pourtant tenu à se déplacer pour assurer, dit-elle, « la continuité de la démocratie tunisienne ».

Des irrégularités dénoncées

Ce scrutin, dont les résultats officiels devraient être annoncés en début de semaine, va lourdement peser sur la scène politique nationale. Selon des estimations officieuses d’instituts de sondages, Ennahda, parti issu de la matrice islamiste – qui se qualifie désormais de « démocrate musulman » – arriverait en tête à l’échelle nationale devant Nidaa Tounès, le parti dit « moderniste » fondé par le président de la République, Béji Caïd Essebsi. Surtout, Ennahda serait en bonne position pour remporter la mairie de Tunis ainsi que d’autres grandes villes (Sfax, Kairouan, Gabès). Les sympathisants d’Ennahda n’ont d’ailleurs pas tardé à célébrer ces victoires annoncées en faisant la fête dimanche au siège du parti de Rached Ghannouchi, à Tunis.

Adossé à une machine militante disciplinée, Ennahda confirme son statut de force incontournable de la scène politique tunisienne. La percée apparente de nombreuses listes indépendantes est l’autre enseignement du scrutin, qui illustre la désaffection des électeurs vis-à-vis de l’offre politique traditionnelle.

Si ces indications devaient se confirmer, elles constitueraient un cinglant revers pour Nidaa Tounès, qui domine la coalition gouvernementale forgée en 2015 avec Ennahda. Les deux partis, qui s’étaient âprement combattus au lendemain de la révolution de 2011, avaient scellé leur réconciliation dans la foulée du double scrutin législatif et présidentiel de 2014 remporté par Nidaa Tounès. Dès dimanche après-midi, la direction de Nidaa Tounès a exprimé son dépit face aux premiers résultats officieux d’une élection qui rebat les cartes de sa relation avec Ennahda. Le directeur exécutif, Hafedh Caïd Essebsi, le fils du chef de l’Etat, a diffusé un communiqué dénonçant des irrégularités « affectant la crédibilité et la légitimité du processus électoral ».

Turbulences électorales en vue

La rapidité avec laquelle Nidaa Tounès a mis en cause l’attitude « douteuse » de l’ISIE, la commission électorale, exprime sans équivoque l’épais malaise dans lequel est plongé le parti. Très affaibli par ses dissensions internes et souffrant d’un faible enracinement, Nidaa Tounès apparaît comme la principale victime du scrutin. Les négociations qui vont suivre dans les futurs conseils municipaux afin d’élire les maires vont fournir des indications sur les nouveaux équilibres en germe alors que se profile déjà la double élection législative et présidentielle de 2019.

Sur fond de marasme économique, la Tunisie s’apprête à entrer dans une phase de turbulences électorales sous les yeux inquiets de partenaires étrangers préoccupés par la stabilité de ce « modèle démocratique » unique dans le monde arabo-musulman.

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