France : chaos politique

France : chaos politique (info # 012702/17) [Analyse]

Par Amram Castellion © Metula News Agency

 

Depuis l’instauration de l’élection du Président de la République au suffrage universel en 1965, celle-ci est le moment central de la vie démocratique française.

 

Les grands partis politiques sont entièrement organisés pour la préparation de ce scrutin. Pendant cinq ans, ils essaient de multiplier leurs victoires aux élections locales, afin d’étendre leur influence et leurs moyens de financement. Puis, tous les cinq ans, ils se concentrent entièrement sur la préparation du suffrage.

 

Pour cela, ils mettent en avant le meilleur candidat qu’ils puissent trouver. Un candidat qui a le soutien des militants, mais qui peut aussi séduire au-delà de la base du parti. Un candidat que son caractère et son expérience rendent crédible pour représenter la France face aux dirigeants du monde et pour tracer les grandes directions de l’avenir du pays.

 

Lors du premier tour de l’élection, les candidats les moins sérieux sont éliminés. Puis, lors du deuxième tour, les chefs de deux grands partis s’affrontent en apportant leurs propositions respectives aux principaux enjeux que le pays doit confronter. Celui qui gagne exerce le pouvoir suprême pendant cinq ans. Il bénéficie, en principe, d’une Assemblée nationale de sa couleur politique ; il dicte au gouvernement les priorités de son action ; il nomme les personnes de son choix aux principaux emplois de l’Etat ; il exerce une influence réelle, même si elle n’est pas complète, sur la ligne éditoriale des principaux organes de presse.

 

Telle est, du moins, la manière dont se sont déroulées les élections présidentielles de 1965 à 2012. Mais pour les élections de 2017, qui seront décidées dans dix semaines à peine, tout sera massivement différent.

 

Pour la première fois dans l’histoire de la Cinquième République, la désignation des candidats s’est faite après l’éviction furieuse, par les électeurs, de presque tous les représentants de la classe politique traditionnelle. Les candidats qui semblaient les plus crédibles il y a quelques mois – François Hollande, Nicolas Sarkozy, Alain Juppé, Manuel Valls, François Bayrou... - ont tous dû renoncer à se présenter. Ce coup de balai ne peut signifier qu’une chose : les électeurs ne font plus aucune confiance à leur classe politique.

 

Pour la première fois aussi l’une des principales écoles de pensée politique française, ce qu’on appelle la gauche, n’aura pas de candidat sérieux. Les primaires de la gauche, le 29 janvier dernier, ont écarté l’ancien Premier ministre Manuel Valls, qui tentait, selon une recette constante depuis François Mitterrand, d’unifier derrière sa candidature deux visions du monde profondément incompatibles :

 

D’une part, des partisans d’une redistribution accrue des richesses, de statuts sociaux toujours plus protecteurs et de l’ouverture inconditionnelle aux minorités culturelles (principalement l’islam). Cette école de la gauche radicale cherche principalement les effets d’annonce et la satisfaction émotionnelle des réformes, sans se soucier de leurs possibles effets pervers sur l’ensemble de la société ;

 

Et, d’autre part, des partisans de la gauche qui comprennent parfaitement que trop de dépenses mène à la faillite, trop de réglementation à la fuite des talents, et trop de tolérance à l’affrontement violent entre communautés. Cette école de la gauche gestionnaire partage les mêmes valeurs ultimes que la gauche radicale, mais est prête à prendre des mesures qui semblent aller en sens inverse afin de préserver ces valeurs à long terme.

 

Lors des primaires du 29 janvier, la majorité des militants de gauche a rejeté l’alliance entre ces deux gauches, incarnée par Manuel Valls. Ils ont désigné comme candidat Benoît Hamon, un homme politique professionnel (il n’a jamais eu d’autre activité), ancien ministre de l’Education et de la Recherche. Son programme est entièrement orienté vers la gauche radicale : droit de vote des étrangers aux élections locales, fin de l’état d’urgence qui a permis aux forces de l’ordre françaises de démanteler plusieurs complots terroristes, démantèlement de l’infrastructure nucléaire qui permet à la France de bénéficier d’un approvisionnement sûr en électricité de bon marché, attribution d’un revenu universel de 600 euros par mois, reconnaissance d’un Etat de Palestine, lutte fiscale et réglementaire contre l’innovation technologique…

 

Avec ce programme, le candidat de gauche a renoncé de lui-même à toute chance d’être élu en mai prochain. Son seul objectif est d’éviter d’être dépassé par les candidats de la gauche révolutionnaire qui sont une constante de la vie politique française et y apportent le charme suranné de leurs vieilleries idéologiques (cette année, c’est un certain Mélenchon qui joue ce rôle). Benoît Hamon, par ce choix tactique, laisse la totalité de l’électorat de la gauche gestionnaire sans aucun candidat auquel elle puisse s’identifier.

 

Par comparaison, la droite française est plus conforme au modèle traditionnel de la République. Elle a un parti dominant, les Républicains ; un candidat crédible, l’ancien Premier ministre François Fillon, dernier survivant de la classe politique traditionnelle. Elle est aussi largement favorite, grâce à son implantation dans l’ensemble du territoire, pour gagner les élections législatives qui suivront en juin prochain les présidentielles. S’il est élu, Fillon, et lui seul, s’inscrirait dans le modèle traditionnel des présidents de la Cinquième République.

 

Cependant, ses chances ont été réduites par la révélation, savamment orchestrée par la presse française, des avantages dont il a autrefois, lorsqu’il était député, fait bénéficier sa femme en l’embauchant comme attachée parlementaire – un travail dont il ne reste pas de trace probante. Ces faits ne constituent aucune illégalité (les allocations versées aux députés étaient, jusqu’en 2012, pleinement propriété de l’élu qui pouvait en faire ce qu’il voulait), mais ils ont nui à sa popularité. Fillon reste dans le trio de ceux dont l’élection est possible, mais il ne peut plus être considéré comme le grand favori qu’il était avant ces révélations.

 

Présente aussi dans le trio des éligibles, même si ses chances semblent très limitées, la candidate du Front National, Marine Le Pen, serait une présidente très différente du modèle institutionnel classique. Une majorité de 60 à 65% des Français lui est très défavorable. Son élection, peu probable, ne pourrait intervenir que par un concours de circonstances – forte abstention, menaces sécuritaires – qui la ferait apparaître comme un moindre mal, sans pour autant la rendre populaire. Son parti n’a ni l’infrastructure, ni les compétences nécessaires pour remporter les législatives. Il s’est rendu populaire par ses positions contre la délinquance et l’immigration et par des propositions sociales pour les ménages modestes (retraite à 60 ans, baisse des prix de l’électricité) ; mais ses compétences économiques et sa capacité à gérer sont aussi inexistantes que celles de la gauche radicale. Une Présidente Le Pen devrait donc composer avec une majorité d’inspiration différente. Elle devrait laisser le Premier ministre gouverner et se contenter des luttes d’influence que lui donnerait son pouvoir de nomination et les privilèges de sa fonction.

 

Encore plus originale est l’émergence d’un troisième candidat crédible : l’ancien conseiller de François Hollande et ancien ministre de l’Economie, Emmanuel Macron. Contrairement à Le Pen, il est techniquement compétent. Mais comme elle, il ne dispose pas d’un parti capable de gagner les élections législatives et devrait composer, s’il gagnait, avec une majorité qui a son propre programme.

 

Surtout, Macron représente une nouveauté radicale dans l’histoire de la Cinquième République : un candidat parvenu aux portes de l’Elysée sans y être porté par un réseau structuré d’élus et d’institutions représentatives.

 

L’homme n’a rigoureusement aucune légitimité politique. Il n’a jamais été élu, n’a jamais géré de collectivité locale, n’a jamais négocié avec des syndicats ou des associations professionnelles. Sa candidature est soutenue par quelques élus sans réseau national, comme le maire de Lyon Gérard Collomb, mais surtout, par un assez dense réseau patronal, en particulier dans la presse (Pierre Bergé, Patrick Drahi). Ces soutiens lui assurent un traitement plus que privilégié dans les media, qui est à l’origine de sa progression dans les sondages.

 

Le fait qu’une telle base de soutien puisse suffire à rendre crédible une candidature présidentielle est un signe inquiétant de l’effondrement des institutions représentatives françaises traditionnelles : collectivités élues, syndicats, groupes professionnels. Si Macron était élu, la fonction présidentielle – naguère encore le couronnement d’une vie passée à tisser de profonds réseaux au cœur de la société française – se transformerait en un stage de luxe au service de l’establishment.

 

Au-delà des personnalités en lice, ce qui caractérise la campagne actuelle est l’effacement presque complet des débats de politique publique, au profit d’une mise en scène aussi spectaculaire que maladroite des personnes.

 

La France a de profonds problèmes : un chômage élevé au-delà de ce qui est acceptable, une dépense publique ruineuse, l’hostilité des quartiers musulmans à la nation, la baisse régulière de la qualité de l’enseignement, l’exil massif des plus riches et des plus talentueux. Une campagne responsable consisterait à opposer plusieurs projets possibles pour remédier à ces problèmes.

 

Or, si les trois candidats ont, à des degrés divers, fait l’exercice consistant à aligner une série de propositions, seul Fillon fait de la crédibilité de son programme son principal argument de campagne.

 

Le Pen se positionne avant tout comme la candidate dont l’élection froisserait l’establishment et ne semble pas gênée par le fait que l’application littérale de son programme économique conduirait la nation à sa ruine.

 

Macron a fini par publier un programme, qui comprend quelques lacunes gigantesques : en particulier, il annonce des économies sur les dépenses publiques sans indiquer comment elles seraient réalisées. Mais il fonde, lui aussi, avant tout sa campagne sur la mise en scène de sa personne plus que de son programme. A plusieurs reprises, dans des moments dont il est difficile de savoir s’ils relevaient d’une bouffée de narcissisme délirant ou d’une simple habileté politique, il a affirmé que son élection représenterait la rencontre historique entre un homme et une nation pour un destin commun. Ce type de phénomène peut, certes, se produire, mais il concerne plutôt des hommes qui ont déjà fait la preuve de leur valeur – gagné une guerre, par exemple, ou mis fin à une crise économique. On ne voit pas bien comment une nation pourrait éprouver un sentiment fusionnel collectif avec un stagiaire qui a pris le melon.

 

A la décharge des candidats, cette insistance sur la mise en scène des personnalités au détriment des programmes répond aussi à une situation politique réelle : il y a de bonnes chances pour que, quel que soit l’élu du 7 mai prochain, il se retrouve un mois plus tard à devoir présider un pays dont le Parlement n’aura pas de majorité claire. La gauche est désormais profondément divisée entre les radicaux, qui suivent Hamon et les gestionnaires, qui, probablement, voteront Macron, quoi que celui-ci ne se réclame pas d’eux. Le Front national, très probablement, passera de deux députés aujourd’hui à 30 ou 40 – assez pour empêcher droite comme gauche de former une majorité. La droite devrait avoir le plus grand nombre d’élus, mais peut être affaiblie par l’onde de choc des affaires pesant sur son candidat, même s’il devait gagner.

 

Dans une telle situation, le programme de travail du prochain gouvernement a de grandes chances de résulter, non des intentions de tel ou tel candidat à la présidence, mais des tractations entre les groupes parlementaires à la recherche d’un compromis de coalition. Au moment précis où elle est confrontée au type de difficultés qui justifierait d’appliquer à la lettre l’esprit de la Cinquième République, la France s’apprête peut-être à y répondre par un retour enthousiaste à l’époque de la IVe République sur le déclin : instabilité ministérielle, compromis boiteux, pays ingouvernable, obsession des polémiques et des scandales, désintérêt profond pour la solution des problèmes de la nation. Si cette prédiction devait se réaliser, ceux d’entre nous qui le peuvent seront de plus en plus tentés d’aller essayer d’autres cieux.

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