France - L’antisionisme est bien un antisémitisme
Tribune de Rafaël Amselem, analyste en politique publique, diplômé du département de droit public de la Sorbonne
Des voitures en nombre s'ameutent dans une rue. Un message est diffusé via des haut-parleurs. Le ton est agressif, et même menaçant. Un slogan, terrible, est alors prononcé : « Fuck jews, rape their girls » (fuck les juifs, violez leurs filles). La scène ne se déroule pas en 1940 sous occupation allemande ni sur une terre en proie au conflit israélo-paslestinien : elle se passe en plein milieu de Londres, en 2021. Les voitures en question arborent le drapeau palestinien pour bien signifier leur appartenance militante dans l'espace public. Le lieu n'est d'ailleurs pas choisi au hasard : il s'agit de Fichley Road, le deuxième plus gros quartier juif de la capitale anglaise. Non seulement cet acte est antisémite, mais ses auteurs voulaient expressément que leur appel soit entendu par leurs victimes.
Du lien entre antisémitisme et antisionisme
L'antisionisme est-il une forme d'antisémitisme ? Beaucoup continuent à le nier. Après tout, le premier est une objection à un État, tandis que le second s'attaque à un groupe de personnes. Déjà, en décembre 2019, lors de l'adoption de la définition de l'antisémitisme selon les termes de l'Alliance internationale pour la mémoire de l'Holocauste (IHRA) à l'Assemblée nationale, le débat avait été houleux. Cette définition assimilait, en effet, les deux concepts. De quoi causer les remous habituels du côté de la gauche radicale : Jean-Luc Mélenchon, le leader de La France insoumise parlait alors « d'une volonté de provocation qui sidère ».
L'explosion des actes antisémites depuis la résurgence du conflit israélo-palestinien devrait pourtant nous amener à traiter cette problématique avec plus de sérieux et de nuance. Explosion, le mot est choisi. Il s'agit, par exemple, de cette vidéo de militants anti-israéliens qui poursuivent un juif, sans doute promis au lynchage, dans un parking au Canada et dans l'indifférence générale des autres conducteurs présents. Une scène similaire a eu lieu dans les rues de New York. Il s'agit encore de 200 militants pro-palestiniens à Francfort qui ont tenté de se rendre dans une synagogue, obligeant la police à fermer l'accès au quartier. Toujours en Allemagne, une autre manifestation où on pouvait entendre le slogan « juifs de merde ». Pensons encore à ce rassemblement en Belgique où des cris « mort aux juifs » ont été proférés. Le Jewish News au Royaume-Uni évoque quant à lui une hausse de 438 % des actes antisémites depuis le début des heurts entre Israéliens et palestiniens. Si antisionisme n'est pas synonyme d'antisémitisme, il est quand même tout à fait malheureux que le hasard s'acharne à ce point pour que les juifs soient les cibles privilégiées des mouvements antisionistes.
Mais le hasard n'existe que pour celles et ceux qui préfèrent le déni à la vérité. Car l'antisionisme est bel et bien une forme d'antisémitisme. Le lien entre les deux n'a strictement rien d'énigmatique. C'est Rabbi Lord Jonathan Sacks – ancien Grand Rabbin d'Angleterre, mais aussi éminent intellectuel au Royaume-Uni – qui l'exprime le mieux. Qu'est-ce que l'antisionisme ? Le rejet, dans son principe même, d'une autodétermination juive. Il dénie donc aux seuls juifs l'accès à un droit qui est pourtant, selon tous les textes internationaux, universel. L'antisionisme s'inscrit ainsi dans la droite lignée de ce qu'a toujours été l'antisémitisme : le rejet aux seuls juifs de droits d'existence collective strictement équivalents aux autres.
De l'Israélien au juif, la frontière est donc mince. Voilà pourquoi l'antisionisme aboutit irrémédiablement à des actes antisémites. Le juif devient, par sa seule existence, complice du meurtre d'enfants palestiniens. Son méfait trouve pour réponse une « résistance » qui se doit de combattre le colon partout où il se trouve.
Le mutisme de la gauche radicale
La gauche radicale multiplie les pirouettes intellectuelles pour éviter d'avoir à répondre de ce lien. « Soit tu soutiens la politique de Netanyahou, soit tu es antisémite » serait ainsi, selon les dires de l'historien Christian Delporte, le dilemme qui prévaudrait dans le débat public lorsqu'il s'agit d'évoquer la politique du gouvernement israélien. Sauf que cette alternative est inventée de toutes pièces. Les Israéliens opposés à la politique de Netanyahou seraient-ils des antisémites ? Cette réponse, systématique chez de nombreux militants, n'a aucun sens, si ce n'est de ne pas admettre les liaisons dangereuses entre antisémitisme et antisionisme.
La réaction de la gauche radicale est d'autant plus suspecte quand on observe son traitement médiatique du conflit actuel. Pas une seule déclaration sur les différents actes antisémites de ces derniers jours, mais il lui sied, soudainement, de s'indigner de l'instrumentalisation de l'antisémitisme par Gérald Darmanin lorsqu'il invoque les agressions de 2014 pour interdire la manifestation de samedi dernier. Interdiction, certes, regrettable sur le plan des libertés publiques, mais la cohérence voudrait qu'on condamne toutes les formes d'instrumentalisation de l'antisémitisme, et non celle de ses seuls opposants politiques.
La défense des Palestiniens n'est en aucun cas assimilable à de l'antisémitisme. Pas plus que ne l'est la critique d'un gouvernement. Personne ne se déclare d'une telle doctrine. En revanche, le rejet de principe d'une autodétermination juive l'est. Il est inadmissible de voir que le slogan visant à libérer la Palestine « de la mer au Jourdain » trouve ses porte-parole en France, comme monsieur Taha Bouhafs ou la FSE. La diabolisation du seul État israélien ne coûte pas cher derrière son clavier, comme lorsqu'on omet d'évoquer les exactions du Hamas envers des civils, qu'on l'accuse encore des pires outrages à la condition humaine en parlant de génocide. La propagande de salon est donc aisée. Mais ce sont bien les juifs qui paieront le prix fort de ces procédés calomnieux.