Par Marc Knobel, historien

Pendant une dizaine de jours, lorsqu’un conflit s’est déroulé entre le Hamas et Israël, j’ai regardé les réseaux sociaux, désabusé et consterné. 

Pendant dix jours, lors du conflit qui a opposé le Hamas à Israël, j’ai vu et revu sur les réseaux sociaux les images, photographies et les vidéos fortes qui ont été diffusées ici ou là. Quelques séquences brèves filmées à l'arrache, discrètement. Ces violences ont été provoquées contre des Juifs, à Los Angeles, New-York et dans d’autres villes des USA, à Montréal et au Québec, Bruxelles, Hambourg, Londres ou ailleurs. Ces faits d’une extrême gravité ont été rapportés également par la presse locale.

Plus généralement, au moins 267 actes antisémites ont été signalés au Royaume-Uni, selon Community Security Trust, qui précise que 151 de ces incidents ont eu lieu après l'annonce du cessez-le-feu entre Israël et le Hamas (1). Au Québec, de graves incidents ont eu lieu (2). Aux USA, la situation était très tendue également. Cependant, la vaste majorité des incidents ne sont pas signalés, selon Malcolm Hoenlein, leader de la Conference of Presidents of Major American Jewish Organizations (3). En Belgique, règne un sentiment d’insécurité également (4). En Allemagne, il y a eu un regain d’antisémitisme sur fond de crise au Proche-Orient et des synagogues ont été attaquées en Allemagne lors de manifestations en soutien aux Palestiniens (5).

Sont-ce de véritables chasses à l’homme qui auraient été organisées ? J’ai hésité à utiliser ce terme -dont je mesure la gravité- tant il évoque les pogroms dont les Juifs ont été les victimes, la mise à mort, le bûcher, les condamnations.

Bien évidemment, loin de moi, l’idée d’empêcher qu’une solidarité puisse s’exprimer en faveur de la cause palestinienne, tant qu’elle s’exprime démocratiquement et pacifiquement. Bien évidemment, je ne confonds pas celles et ceux qui ont commis ces agressions (ignobles) avec d’autres manifestants qui ont défilé calmement. Bien évidemment, il ne s’agit pas d’ignorer l’âpreté de ce conflit et personnellement, je veux espérer qu’il puisse se résoudre un jour par la paix et la reconnaissance mutuelle. Pour autant, j’ai vu et revu ces séquences terrifiantes.

Permettez-moi alors et simplement de dénoncer ce qui doit l’être.

Tel homme poursuivi à Los Angeles par deux voitures avec des drapeaux palestiniens. Ce juif religieux -semble-t ’il- venait de quitter sa synagogue. Il cherche désespérément à sauver sa peau, parce qu’il pourrait être renversé par une voiture et/ou lynché. Je ne sais pas ce qu’il a pu advenir de lui. La séquence vidéo est trop courte.

J’ai vu un homme tabassé dans une cour, par une horde furieuse, à Toronto. Est-ce ainsi que l’on doit défendre les Palestiniens ? J’ai vu tel homme frappé et injurié, d’autres ont été insultés et menacés de mort. J’ai entendu un cri de furie et de folie à Londres : « Nous aimons la mort » et ces furieux qui brandissent des drapeaux palestiniens (6). J’ai entendu des manifestants hurlant des « Mort aux Juifs ! ». J’ai vu ces manifestants brûler des drapeaux israéliens avec des yeux fous, les foulant aux pieds, dans une rage inégalée. A Montréal, par exemple, les policiers ont dû procéder à la saisie d’une hache, de couteaux, de bouteilles contenant un liquide, s’apparentant à des cocktails Molotov (7)… Est-ce ainsi que des militants doivent défendre cette cause ? J’ai vu ces hashtags sur Twitter qui prétendent qu’Israël commettrait un génocide à Gaza, à coups d’incantations religieuses, de photographies furieuses, de slogans haineux, de chants guerriers, de mots orduriers (8).

J’ai senti et lu le désarroi des Juifs qui jusque-là pensaient pouvoir être épargnés par les rebondissements et l’importation de ce conflit lointain. Ils sentent maintenant se rapprocher chaque jour l’hystérie antijuive, ils comprennent que le danger se rapproche.

J’ai vu et revu, j’ai lu et relu.

Celles et ceux qui organisent cette chasse aux Juifs. Ceux-là, n’ont pas ouvert la bouche lorsque le boucher de Damas a été réélu, s’asseyant avec son sourire carnassier sur les fosses communes de 500.000 de ces concitoyens, assassinés sur l’autel de sa toute-puissance.

Ceux-là, n’ont pas ouvert la bouche lorsque de terribles bombardements ont endeuillé le Yémen et sa population civile.

Ceux-là, n’ont pas levé le petit doigt lorsque la guerre civile a ravagé la Libye et que des frères ennemis se sont entretués.

Ceux-là ont ignoré magistralement les attentats qui frappent aveuglément en Irak, en Afghanistan, en Somalie, au Nigéria, ou ailleurs, semant le chaos et la mort dans les marchés, dans les rues, quelquefois dans des mosquées.

Ceux-là ignorent les discriminations dont sont victimes les rohingyas musulmans, en Birmanie. Ceux-là se fichent royalement du sort dramatique réservé aux Ouïghours, en Chine. Qui, pour manifester pour eux, à Alger ? Karachi ? Beyrouth ? Téhéran ?

Ceux-là restent sans voix au sort des Kurdes.

Ils n’entendent pas les souffrances du peuple algérien, d’autres.

Ceux-là, n’ont que faire des talibans, d’Al Qaeda, de Daech, des salafistes et des Frères musulmans.

Ceux-là ne voient pas la misère, la détresse de leurs frères, tant ils sont obnubilés et fanatisés par le seul Israël. Aucun autre sujet à leurs yeux ne trouve grâce. Et dans une indifférence crasse, un silence de mort, se déroulent la mort, les supplices, les agressions, les attentats et se comptent et se recomposent les victimes.

Le boucher de Damas peut sourire. Dans le champ de ruine, de misère, de désolation qu’est devenu la Syrie, il peut compter aussi sur le silence de toutes celles et tous ceux qui n’ont comme mots et maux, que le seul Israël.