JOURNAL DE GUERRE 1939-1943, PAR ALBERT MEMMI
Journal de Guerre 1939-1943, Suivi de Journal d'un Travailleur forcé et Autres textes de circonstance, par Albert Memmi
Né à Tunis en 1920, bientôt centenaire donc, Albert Memmi est, à juste titre, considéré comme le plus grand écrivain juif d’Afrique du Nord contemporain.
Depuis toujours il a pris l’habitude de conserver ses notes et les divers brouillons de ses écrits dans ce qu’il appelle, avec humour, le « garde-manger ». Seuls les intimes ont accès à ce coffre-fort secret. Guy Dugas, spécialiste de la littérature judéo-maghrébine est de ceux-là. Dès lors, avec patience et détermination, il a pu reconstituer le témoignage irremplaçable de Memmi sur la vie des Juifs de Tunisie au temps de l’Occupation allemande.
L’auteur qui, par extraordinaire, a fait partie du Bureau de recrutement des travailleurs juifs quand l’obligation a été faite par les Allemands à la communauté juive de fournir des contingents de travailleurs forcés, a connu tous les rouages du système. Puis, il a décidé de partir lui-même dans un camp pour partager la destinée misérable des hommes pris dans l’enfer des camps de travail.
« Il faut bien que je me mette un jour à raconter l’histoire du recrutement de la main- d’œuvre juive. C’est une histoire curieuse et humaine. Il y a là des hommes, des événements, des malheurs et des choses comiques, de la pitié et de la bassesse » nous dit Memmi en préambule.
Lorsque les gendarmes frappent à la porte des Memmi, c’est par chance, l’ouvrier italien qui leur ouvre la porte. Les gendarmes repartent en s’excusant. Albert a gagné une nuit mais, le lendemain, par solidarité, il décide de faire son sac et de rejoindre ses compagnons de misère.
Le Journal de Memmi remonte à 1939. Il raconte la guerre et les malheurs de la France et de l’Europe. Mais c’est le 20 mars 1943, après une discussion avec des amis, qu’il décide de rejoindre le camp de travail. « Nous partons au travail, une pelle sur l’épaule. Quelques-uns gémissent sous les tentes. Ce sont les malades de la journée… » Et, plus tard : « Me voilà travailleur. Ma première rencontre avec les hommes est celle d’un citadin égaré dans un troupeau de buffles. Des hurlements, des jurons, une ruée sur le camion de la soupe qui nous amena… ». Circonstance « positive » : ce sont des soldats italiens et non allemands qui encadrent le camp. On découvre avec étonnement la vie au jour le jour des travailleurs forcés qui, régulièrement, se réunissent pour entonner l’Hatikva ! « Brami possède un harmonica et moi un flutiau ». Malgré quelques moments de détente et d’espoir, la vie est très dure pour les travailleurs forcés : « Je ne sais pas si je supporterai longtemps ce régime ». Le camp, c’est une véritable cour des miracles : « Personnages multiples ; Le nain jaune, l’affreux barbu blond. Le gnome. Le sergent à sourcils et moustaches noires qui en font un personnage de guignol. Le lieutenant. Le jeune élégant. Les Yougoslaves. Bruno le chanteur, Boumba le boucher, Hazan, le raflé de Kalaa-Djerda, Djebali, l’ancien boxeur et chef de groupe, Allali, chien de chasse, le Marocain sourd, etc, »
Un récit exceptionnel enrichi par les notes précieuses de Guy Dugas. À découvrir !
Jean-Pierre ALLALI
(*) Édité et annoté par Guy Dugas. Éditions du CNRS. 2019. 304 pages. 10 €.