La croissance inquiétante de l’antisémitisme en Europe, par CLAIRE LEPOUTRE

La croissance inquiétante de l’antisémitisme en Europe

 

Début décembre, un rapport accablant faisait état de l’intensification de la menace antisémite et du sentiment d’insécurité chez les juifs européens.

L’Agence des droits fondamentaux de l’Union Européenne, à l’origine de l’enquête, affirme que de nouvelles mesures politiques « urgentes et immédiates » doivent être rendues effectives pour lutter contre ces violences.

La population juive européenne ne représente qu’à peine 0,2 % de la population sur le continent et 10 % de la population juive au niveau mondial. Un peu moins de 500 000 habitants de confession juive vivent en France, pays où ils sont le plus nombreux. La violence antisémite en Europe est donc dirigée contre un tout petit nombre d’individus qui, selon le lieu commun erroné, détiendrait un grand pouvoir économique et politique.

Un antisémitisme croissant

Et la tendance est à l’augmentation. Une étude américaine menée cette année par le think tank Global Attitudes Project du Pew Research Center a pu relever que les sentiments antijuifs gagnent de plus en plus d’Européens. Dans tous les pays de l’étude l’antisémitisme est en croissance. En Espagne ce rejet était exprimé par 46 % de la population contre 21 % en 2005, tandis que 20 % des Français disent avoir « une opinion négative sur les juifs ».

Les individus au faible niveau d’éducation et les personnes âgées de plus de 50 ans sont plus prédisposés commencer à adhérer au discours antisémite selon l’étude. Ce même type d’individus soutient aussi plus facilement les opinions défavorables sur les musulmans. Par ailleurs, la population européenne est encore plus anti-musulmane qu’elle n’est antisémite : 40 % de la population française et 52 % de la population en Espagne se disait anti-musulmane au sondage, mais ce nombre diminue depuis 2006, contrairement au sentiment anti-juif qui lui ne cesse d’augmenter.

L’enquête récente de décembre 2018 mise en ligne par l’Agence des droits fondamentaux de l’Union Européenne est la plus grande jamais réalisée. Plus de 16 000 juifs ont été interrogés dans pratiquement tous les Etats européens. En 2013, une étude similaire avait été menée et elle montrait déjà les mêmes signes d’alerte inquiétants. La population juive européenne est régulièrement victime de harcèlement (30 % en 2018) et même de discrimination, surtout de crime de haine et d’insultes anti-juives. Selon cette enquête, 60 % des juifs français craignent d’être agressés au cours de l’année. 22 % des juifs français et 39 % des juifs polonais ont été témoin d’une agression orale ou physique au cours des 12 derniers mois. « 3 % des sondés disent qu’ils ont été physiquement attaqués parce qu’ils sont juifs » au cours des cinq dernières années. Plus du quart des juifs ayant participé à l’enquête ont pensé à émigrer durant les cinq dernières années à cause de l’insécurité.

Depuis les années 2000, les organisations enregistrent une augmentation des cas d’agression contre les populations juives dans l’Union Européen. Contrairement à une idée reçue, ce ne sont pas les électeurs d’extrême-droite qui sont les plus enclins à agresser la population juive, selon les résultats des enquêtes de 2013 et 2018. Les électeurs qui sont d’extrême-gauche et critiquent la politique d’Israël contre les Palestiniens sont perçus encore plus violents par les Juifs dans leur quotidien. C’est aussi le cas des immigrés musulmans qui n’ont pas bénéficié d’une éducation sur la Shoah à leur arrivée en France et s’en prennent aussi aux juifs car leur pays d’origine fait une propagande anti-israélienne ou négationniste. Ainsi, les juifs en Europe sont en partie victimes d’un amalgame entre judaïsme et sionisme et de la politique au Moyen-Orient.

Les stéréotypes ont la vie dure

L’enquête de 2013 pointait déjà la croissance du discours haineux sur les réseaux sociaux et internet. Ce discours participe largement à la montée de l’antisémitisme moderne dans la propagation d’une image négative de la population juive. Les amalgames sont vite établis et c’est le lieu où il est possible de donner son opinion. Le comportement d’Israël envers les Palestiniens est très souvent comparé à l’État nazi et l’antisionisme est une cause de la violence anti-juive.

A déplorer aussi que malgré le formidable pouvoir d’information d’internet, les jeunes entre 18 et 24 ans en France manquent d’éducation sur le génocide des juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Il convient de souligner que la plupart ne connaissent pas les termes utilisés en histoire tels que « Shoah » ou « Holocauste ». 20 % d’entre eux disent ne pas savoir ce qu’est la Shoah et 8 % de la population française ne connaît pas le génocide, un chiffre qui monte à 23 % pour les personnes de confession musulmane. Dans le reste de l’Union Européenne on est néanmoins bien mieux informés, et moins de 4 % de la population dit ne pas avoir connaissance du génocide juif. La France est aussi le pays où la population juive se dit la plus impactée par les représailles liées au conflit israélo-arabe, à plus de 70%.

La vague d’extrême-droite qui a touché récemment l’Europe est aussi tenue responsable de l’augmentation du discours anti-juif.  En Hongrie par exemple l’actuel parti au gouvernement avait fait campagne contre le milliardaire juif hongrois Soros avant son élection. Aujourd’hui ce sont 42 % des Hongrois qui sont persuadés qu’actuellement les juifs sont trop influents dans le monde des affaires et finances d’après un sondage CNN récent.

Ce chiffre révèle que le stéréotype de la conspiration selon lequel un petit groupe de personnes détient secrètement du pouvoir sur le reste de la population est toujours tenace. Les chiffres en Hongrie sont parlants : selon l’enquête de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union Européenne, 59 % des Hongrois sont d’accord avec l’affirmation «les juifs sont responsables de la crise économique actuelle». Un tiers des Européens avaient aussi répondu être convaincu que l’Holocauste avait été utilisé par Israël comme un instrument pour faire valoir ses intérêts politiques selon un sondage de CNN en 2018. Selon le même sondage, presque un Européen sur cinq déclare que l’antisémitisme dans leur pays est une réponse au comportement quotidien des juifs. Les agressions seraient en fait, à leur yeux, des réprimandes. Cependant à l’inverse, l’opinion d’une moitié des Européens sondés est que leur gouvernement devrait faire plus d’efforts pour combattre l’antisémitisme.

En Allemagne, Autriche et en Belgique les partis d’extrême-droite ont aussi une place nouvelle dans la vie du pays. En Pologne, il est maintenant possible d’être condamné en justice pour avoir déclaré le pays responsable des camps d’extermination pendant la seconde guerre mondiale et des exterminations des juifs survivants à la fin de la guerre. La mémoire de la Shoah est donc contrariée par la justice du pays.

Les amalgames et agressions entraînent certains juifs à critiquer sévèrement la politique migratoire de leur État qui a introduit plus de musulmans sur le territoire européen. Dans les médias, les juifs qui peuvent s’exprimer osent parfois déplorer cette vague d’immigration. Il est probable que l’évolution du conflit israélo-palestinien mène à une augmentation de la violence contre les juifs en Europe, car cette augmentation se ressent pendant les périodes où la violence entre les deux camps Palestine/ Israël s’intensifie. Par exemple, le meurtre d’enfants dans une école juive par Mohamed Merah en 2012 à Toulouse était un acte de vengeance contre la mort d’enfants palestiniens, et en Allemagne une adolescente juive avait été violée et assassinée par des demandeurs d’asile en 2018. En France, l’Etat d’urgence jusqu’à fin 2017 avait eu un effet positif pour combattre le sentiment de peur et d’insécurité. Mais en 2018 les chiffres des agressions antisémites sont à la hausse encore une fois.

A l’inverse, certaines réponses antisémites contre le discours anti-musulman persistent. Selon celles-ci, Israël utiliserait l’histoire de l’Holocauste pour se victimiser et continuer ses actions anti-palestiniennes, même si la majorité de la population en France par exemple est favorable à l’existence de l’État d’Israël. Il est convenu aussi que l’État français soutient Israël. Benjamin Netanyahou, Premier Ministre israélien avait d’ailleurs participé à la cérémonie d’hommage aux victimes de la tuerie de Toulouse en 2012.

Réactions politiques face à la montée de l’antisémitisme

Au cours des cinq dernières années, la sécurité autour des lieux de culte juifs a été renforcée en France en raison de la menace antisémite qui pèse sur les pratiquants. Ces mesures ne suffisent néanmoins pas à suffisamment protéger la population visée dont un tiers préfère éviter maintenant de se rendre aux sites juifs.

Début novembre, en réaction à cette insuffisance observable dans les États, les ministres de l’intérieur de l’Union Européenne se sont réunis sur une déclaration sur l’antisémitisme qui alerte publiquement qu’une coordination en Europe est nécessaire pour venir à bout du problème antisémite. La première mesure est de mieux sensibiliser les enseignants, la justice et les forces de l’ordre à l’histoire de l’Holocauste. Les mesures doivent aussi être plus effectives : 80 % des juifs ne prennent plus la peine de reporter les cas d’agression graves aux autorités car ils pensent que cela n’aura aucun état. Le sentiment est qu’il n’y a pas de justice. L’Agence des droits fondamentaux de l’Union Européenne aimerait que les États instaurent des polices spécialisées pour défendre les citoyens contre les crimes haineux sur internet, et un portail internet pour que les juifs déposent leurs plaintes afin qu’ils fassent valoir leurs droits.

En Europe les autres minorités LGBT, musulmanes ou Roms restent plus souvent touchées par la violence raciste que les juifs. La lutte contre l’antisémitisme, une violence raciste, est devenue une cause nationale en France depuis fin 2015 et l’annonce de François Hollande. Début 2018 des personnalités politiques et médiatiques célèbres avaient signé un manifeste «contre le nouvel antisémitisme» pour intensifier la lutte d’urgence.

CLAIRE LEPOUTRE

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