La Goulette de Charles Quint livre un nouveau secret

La Goulette de Charles Quint livre un nouveau secret

 

On aurait tendance à imaginer la voisine de la prestigieuse Carthage dénuée d’intérêt historique à défaut d’offrir au curieux des choses du passé une belle revue monumentale, autre que la forteresse qui trône à l’entrée de la cité. La position stratégique de La Goulette a fait d’elle le carrefour de toutes les batailles qui ont émaillé l’histoire de la Tunisie. Et donc de toutes les campagnes de destruction. Alors, bien sûr, en surface, très peu de choses. Mais, en sous-sol ? Commençons d’abord par planter le décor.

La silhouette massive de ce qui est connu sous l’appellation de «karrâka», ce qui renvoie, dans l’imaginaire collectif tunisien, à l’idée de pénitencier — ce qui n’est que partiellement faux —, cette silhouette qui domine l’entrée de La Goulette pour qui vient de la capitale et — pour combien de temps encore, en l’absence d’une urbanisation maîtrisée de cette cité ? — même pour celui qui arrive par mer, la karrâka, donc, n’a pas fini de livrer tous ses secrets. Ses secrets intérieurs et ceux extérieurs.

Rappelons que cet édifice a été érigé à l’emplacement d’une fortification dont les origines semblent remonter à l’Antiquité. On sait qu’après la conquête arabe, un ribat se trouvait en cet endroit pour assurer la défense des côtes ifriqiyennes en relation avec ses homologues de Sidi Bou Saïd, de La Marsa et de Radès. Plus tard, notamment à l’époque hafcide, il sera agrandi et fortifié et servira ensuite de base de repli pour les corsaires ottomans qui écumaient le bassin occidental de la Méditerranée, ce qui amènera une puissante coalition européenne conduite par l’empereur Charles Quint à la tête d’une flotte composée de 300 bâtiments, qui mettra le siège sur La Goulette et finira par en prendre le contrôle au bout de batailles mémorables. C’est l’empereur austro-espagnol qui donnera à cette citadelle l’essentiel de son apparence actuelle. Mais ce que nous voyons aujourd’hui ne correspond pas tout à fait à ce que les descriptions ainsi que les plans de l’époque nous apprennent et qui font état d’un édifice autrement plus étendu, plus imposant.
Sa réputation de pénitencier explique-t-elle le désintéressement quasi général de l’opinion publique et même des autorités censées être compétentes en la matière ? En tout cas, cet édifice est resté à l’abandon pendant des lustres, n’ayant fait l’objet que de quelques rafistolages pour accueillir, dans l’une de ses ailes les moins délabrées, les spectacles du festival de La Goulette.

Fathi Bahri, médiéviste, chercheur à l’Institut national du patrimoine, dirige depuis quelque temps déjà un grand chantier dans ce monument cardinal afin de le sauver d’un déclin fatal consécutif à un abandon très prolongé et à un grignotage systématique par des squatters de toutes sortes, industriels compris qui y ont aménagé une petite unité de confection textile avec la bénédiction de la municipalité de l’époque ! L’archéologue a commencé par des travaux de sauvetage et de consolidation des espaces récupérables les plus menacés, l’occasion de faire également des découvertes de grande importance historique et scientifique, tel cet atelier de fabrication d’armes et de munitions enfoui sous une couche considérable de remblais.

Un «secret d’Etat»

Et voici que, la semaine dernière, parallèlement à ces travaux qui se poursuivent à un rythme que nous aurions certainement voulu plus rapide et à une échelle plus vaste, une «découverte fortuite», comme disent les archéologues, bien loin de l’édifice, en plein quartier de la Petite Sicile, en sandwich entre la mosquée et l’église — clin d’œil de l’Histoire ? — vient mettre au jour, au pied de ce qui reste d’un troisième bastion noyé dans les constructions contemporaines qui l’ont, ainsi que quelques portions d’enceinte fortifiée, totalement coupé du corps de la citadelle, à un bon mètre et demi en sous-sol, à l’emplacement d’un local en ruine, une partie de deux bassins nulle part mentionnés par les documents anciens. Etonnant, quand on sait la précision avec laquelle a été «couverte» par les historiens et les rapports des militaires cette tranche de l’histoire que la Tunisie a vécue sous la tutelle espagnole et qui a duré pas moins d’une quarantaine d’années. Pas étonnant, répond l’archéologue, puisqu’il s’agirait d’un secret d’Etat ! Car nous pourrions avoir affaire ici à des bassins d’un arsenal pour la construction et la réparation navales à l’usage des troupes d’occupation.
Pour l’heure, les travaux de dégagement se poursuivent. Ils pourraient se prolonger dans d’autres directions, révélant ainsi les dimensions réelles de ces installations. Dans l’immédiat, la certitude porte sur la datation du monument. Elle remonte à l’époque de Charles Quint, puisque, à l’instar des restes du bastion qui les surplombent et dont l’empereur espagnol à ordonné l’érection, les structures mise au jour sont faites de blocs de pierre en provenance du site antique de Carthage (certains portent des inscriptions latines, d’autres ornementées de croix, etc.) et que les techniques de maçonnerie sont de même facture.
Ainsi, à coups de pioches fortuits, le puzzle goulettois pourrait se reconstituer progressivement, restituant des pans d’une histoire peu connue et, en tout cas, minimisée comme à dessein.

Auteur : Tahar AYACHI

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