La Shoah et le Tikun 0lam
‘’ La route d‘ Auschwitz a été construite par la haine mais pavée par l’indifférence’’
‘’L’unique chose nécessaire pour que le mal triomphe est que les personnes soi disant bonnes ne fassent rien’’
Comment sortir indemne d’une visite à Yad Vashem, à Jérusalem ? Je le pressentais pourtant, cet instant d’indicible, de déroute au sens propre du mot. Me voilà donc déboussolé, sans autre repère que la honte d’appartenir au monde qui a permis l’incommensurable, résumé au seul mot de Shoah. Sur les murs des photos : des regards hallucinés, des enfants, des femmes, des hommes qui me désignent, m’accusent d’appartenir à l‘humanité même qui a réduit leurs vies en peur, en douleur, en fumée. Plus loin, de morts-vivants debout derrière des barbelés, ils n’attendent plus rien, l’espoir est mort. Envie de m’enfuir, de crier : « je n’y suis pour rien ». Je crève de rage, de honte, de mon impuissance à comprendre. Des films, des témoignages, des documents, les livres de Claude Lanzman, Simone Veil, Jorge Semprun, m’avaient pourtant prévenu, je n’ose pas dire « préparé », à cette confrontation ; personne n’y sera jamais préparé. « L’Europe est morte à Auschwitz » a écrit un journaliste espagnol. Pour l’heure, je vacille. L’Allemagne nazie a fait de moi, comme de tant d’autres, une victime collatérale. L’ombre de l’étoile jaune insidieusement cousue sur un coin de mon cœur tremble de colère. Je me ressaisis et décide de fixer chaque photo, d’affronter chaque scène, de distiller chaque commentaire. Là c’est Auschwitz, là c’est Birkenau, le ghetto de Varsovie, l’Ukraine, la Hongrie, le Vél d’Hiv, la liste est longue. Plus dures encore, tout aussi plus insupportables: la découverte des camps de concentration par les troupes soviétiques et la libération des camps par les Américains : photos encore, et films sur ordre du Général Eisenhower. La suite vous la connaissez : la deuxième guerre mondiale s’est soldée par plus de trente millions de morts dont six millions de juifs, seulement parce qu’ils étaient juifs.
La visite de Yad Vashem s’est enfin terminée. Je m’accroche au spectacle de la rue comme on s’agrippe à son lit pour s’assurer de la fin d’un cauchemar. Dehors au soleil, la vie est là “simple et tranquille” avec sa cohorte de gens heureux, cette jeune et si belle femme qui promène son enfant dans un landau, ce couple qui se tient par la main, des femmes, des hommes se pressent sur les trottoirs comme indifférents au passage du temps. Je suis assis à la terrasse d’un café, des oiseaux dans les arbres de l’avenue chantent la vie, un chien, accompagne joyeusement sa maîtresse ; ils réparent un peu le monde. Ils participent sans le savoir au « Tikun Olam », ce concept de la philosophie juive selon lequel le monde serait comparable à un vase brisé par l’injustice et la bêtise humaine. Les hommes ont le devoir de le réparer, d’en recoller les morceaux.
Mais pourquoi nous reviendrait-il a nous et seulement à nous de réparer ce monde? L’Europe, qui pas voulu voir venir le nazisme, qui l’a entendu et accompagné livrant hommes, enfants, femmes et vieillards juifs par wagons à l’Allemagne nazie. Des pays alliés aux nazisme ont poussé le zèle jusqu’à constituer leurs propres milices pour tuer des centaines de milliers de juifs. L’Europe est morte à Auschwitz a écrit un journaliste espagnol. Il ne nous resterait donc que les yeux pour pleurer? Eh bien non ! Il nous reste le pouvoir du cœur, celui de l’esprit, de notre alliance avec les tables de la loi dont le premier commandement « Tu ne tueras point » nous oblige en quelque sorte. La barbarie n’aura pas, ne peut pas avoir le dernier mot. En tuant six millions des nôtres l’Allemagne nazie et ses alliés ont fait de chacun de nous une victime collatérale, il incombe donc, à chacun d’entre nous de prendre la vie à bras le corps et la renaissance d’Israël qui est l’illustration même de la réparation du monde, nous oblige en fait au Tikun Olam.
Les génocides, les guerres, jusqu’aux incendies qui ont ravagé ce pays magnifique qu’est l’Australie, tuant des familles, brûlant des forêts millénaires, tuant des millions d’animaux témoignent de l’insoutenable inconsistance des hommes. Cependant la Shoah demeure son illustration la plus odieuse, l’irréparable que tout homme digne de ce nom doit préserver de l’oubli. Ce devoir de mémoire chacun devrait le porter en soi comme on se préserve avec une ceinture de sécurité. Les chemins de l’humanité sont encore pavés d’idéologies mortifères, la haine s’y tient toujours embusquée. Ce devoir de mémoire s’impose à nous non seulement comme le kaddish que l’on doit au souvenir de nos morts mais comme une obligation de vigilance à l’égard de l’Histoire. L’antisémitisme et la haine se conjuguent à nouveau ici ou là, dans les propos d’irresponsables dirigeants politiques sous prétexte d’antisionisme. La haine et la lâcheté s’accordent pour profaner des tombes dans des cimetières juifs ou poignarder des innocents. Pendant ce temps, à l’instar des esprits élevés de par le monde, des juifs, en Israël ou ailleurs continuent le Tikun Olam dans le domaine médical, scientifique, informatique. Faute de sauver le monde, ils sauvent des enfants, des femmes, des hommes, de la maladie, de la mort, de l’arriération, de l’ignorance. Le Tikun Olam poursuit sa route, la Shoah dans son rétroviseur, les valeurs de l’esprit devant lui. La caravane de l’évolution passe tandis que braille l’antisémitisme. Notre jeunesse veille désormais, sa devise : « Never again ».
Je garde contre toute logique, l’espoir qu’un jour nous serons compris: Nous , le peuple du livre, le peuple de la réconciliation, le peuple de la paix, le peuple de la science, le peuple de l’entreprise et de l’innovation, le peuple de l’amour perdu et retrouvé!!!
Le peuple du Tikum olam que tous les peuples de la terre souhaitons-le, auront compris et émulés: un concept simple, humain, fait de solidarité, d’humanisme, d’empathie, d’échange, de vérité, de lumière et le répéterons nous jamais assez, d’amour partagé !
Bob Oré Abitbol
Boboreint@gmail.com
Ps: J’ai demandé à mon ami et écrivain Pol Serge Kakon de participer à la rédaction de la rubrique de ce mois.
Pol-Serge Kakon qui vient d'écrire un livre qui débute ainsi: ...la France ne saura jamais assez ce qu'elle m'a pris, pas plus qu'elle ne sait tout ce que je lui dois". Son héros avait cinq ans quand ses parents ont été déportés. Elevé par des "Justes" il deviendra peintre. Un ancien résistant, prof de philo lui instille dans la pensée le Tikun Olam. Passion, amour, beauté, désirs et défis, ainsi se répare une vie si mal commencée, ainsi se répare un peu le monde.