La Tunisie, lueur d'espoir dans le monde arabe

La Tunisie, lueur d’espoir dans le monde arabe

Editorial. Le soutien du président tunisien à l’égalité successorale entre hommes et femmes montre que le pays ouvre un nouveau chapitre de sa modernisation.

LE MONDE 

Une belle nouvelle nous arrive de Tunisie, ce petit pays d’Afrique du Nord où se jouent des combats cruciaux pour l’aire méditerranéenne. Le débat sur l’égalité entre hommes et femmes en matière d’héritage est lancé. Lundi 13 août, le chef de l’Etat, Béji Caïd Essebsi, a officialisé son soutien à cette réforme du droit successoral dont le Parlement tunisien devrait se saisir sans tarder. Pour les féministes tunisiennes, qui défendaient cette cause depuis des années dans un relatif isolement, c’est une précieuse victoire. Elles n’ont cessé de dénoncer l’archaïsme d’un régime d’héritage en vertu duquel la femme ne recueille que la moitié de la part de l’homme à même degré de parenté.

S’attaquer à une telle tradition immémoriale est délicat. Habib Bourguiba, le « père de la nation » (mort en 2000), qui avait pourtant imposé, dès l’indépendance, en 1956, un « code du statut personnel » pionnier pour les droits des femmes dans le monde arabo-musulman, n’avait lui-même pas osé toucher à cette disposition inspirée du Coran. Plus de six décennies plus tard, Béji Caïd Essebsi relève courageusement le défi.

Avec le temps, une bonne partie de la justification de cette inégalité est devenue obsolète. Occupant une part croissante dans la vie socio-économique du pays, les Tunisiennes participent de plus en plus à la formation des patrimoines familiaux. Les réduire à la portion congrue lors des successions tenait du déni de justice. Une révision s’imposait. Après son « printemps démocratique » de 2011, la Tunisie ouvre un nouveau chapitre de sa modernisation, qui touche à son socle sociétal.

Se garder de toute naïveté

Il faut applaudir ce geste de M. Essebsi, qui replace la Tunisie à l’avant-garde des évolutions dans cette région du monde. Il est de nature à inspirer les progressistes des pays voisins. Toutefois, il faut se garder de toute naïveté. L’initiative du chef de l’Etat est aussi noble que tactique. Elle vise à redorer son blason, terni par un mandat médiocre, entaché par ses connexions avec l’ancien régime et une inquiétante dérive dynastique. A l’évidence, M. Essebsi veut instrumentaliser la juste cause des femmes tunisiennes – comme l’ex-dictateur Ben Ali l’avait habilement fait – pour promouvoir des intérêts de cour et sculpter sa stature personnelle. Les féministes tunisiennes ne sont pas dupes de la manœuvre. Elles objectent que l’essentiel, en l’occurrence, est d’engranger des conquêtes. Elles ont raison. Tout acquis est bon à prendre.

L’autre naïveté consisterait à penser que l’adoption d’une telle réforme n’est plus qu’une formalité. En fait, le débat s’annonce douloureux et la Tunisie est fracturée sur le sujet. La majorité de la population, qui demeure conservatrice, est a priori rétive au changement du statu quo en la matière, qui touche aux équilibres des familles. Il faudra la convaincre avec doigté.

Dans ce travail de persuasion, Ennahda, le parti issu de la matrice islamiste, est appelé à jouer un rôle-clé. Ce mouvement, qui dispose du premier groupe parlementaire à l’Assemblée, prétend avoir dépoussiéré sa vision du monde au point de récuser l’étiquette d’« islamiste ». Or, ses cadres ont accompagné, voire inspiré, la récente agitation contre le projet de réforme. Si Ennahda veut convaincre de la sincérité de son aggiornamento, il devra être clair sur la modernité qu’il affirme avoir embrassée.

Les droits de la femme tunisienne méritent mieux qu’une manigance de palais ou une duplicité doctrinale.

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