Le grand rabbin Sitruk, Strauss Khan et l'enfant juif à Tunis, par Pierre Mamou

Le grand rabbin Sitruk, Strauss Khan et l'enfant juif à Tunis, par Pierre Mamou

Voici un événement que je n’ai jamais raconté dans les médias. Il illustre la grandeur du regretté Rav Yossef Haïm Sitruk. 
Un jour de 1993, je reçu un appel désespéré d’une cousine de Tunis m’informant que son jeune garçon de 14 ans avait été arrêté et accusé du meurtre d’une dame âgée, à la maison de retraite Israélite de la Goulette. Elle me supplia de faire quelque chose pour l’aider car les dirigeants de la communauté Juive de Tunis refusaient de lui apporter leur aide.

Devant ce drame qui me parut mystérieux, je fis une enquête minutieuse à Tunis avec l’aide d’amis sur place. Je fus rapidement convaincu de l’innocence du jeune garçon. Les faits, réels cette fois, étaient confirmés par plusieurs sources.

Ma cousine, handicapée comme son mari ainsi que plusieurs de leurs enfants, vivaient de l’aide de la communauté locale. Leur jeune fils, pour fuir la misère de son foyer, dormait certaines nuits chez un ami qui travaillait à la maison de retraite. Or un soir une dame âgée pensionnaire des lieux fut retrouvée morte, après avoir été violentée par une auxiliaire de vie.

Un coupable désigné
La responsable de la maison de retraite, une femme au passé trouble, indic de police et compagne d’un homme peu recommandable, ne voulant pas charger et accuser son employée violente, échafauda l’histoire suivante : elle désigna le jeune garçon comme le coupable. Il fut donc arrêté et conduit au commissariat où il fut battu pour qu’il avoue ce meurtre. Dans ces conditions, il finit par signer un document écrit en Arabe, alors qu’il ne savait pas lire cette langue. Il reconnaissait le meurtre de cette vieille dame.

Ayant acquis la certitude de l’innocence du jeune garçon, je me rapprochai du président du consistoire Juif de Paris de l’époque, mon ami d’enfance Benny Cohen. Ce dernier prit rendez-vous avec l’ambassadeur de Tunisie à Paris, Abdelhamid Eschikh, qui nous reçut. Il nous écouta avec beaucoup d’humanité et me demanda de repasser le voir quelques jours plus tard.

Lors de notre deuxième rendez-vous, il m’expliqua son désarroi devant ces faits, compliqués par les aveux du jeune garçon et l’absence de soutien des dirigeants de la communauté Juive de Tunis.

Si le rav Sitruk acceptait de se rendre à Tunis
Et c’est là qu’une idée incroyable me vint à l’esprit. Je dis à l’ambassadeur : « si le grand rabbin de France Joseph Sitruk se rend à Tunis, pourriez-vous libérer l’enfant et le lui remettre? » L’ambassadeur m’avoua alors l’admiration et le respect qu’il avait pour le grand rabbin. C’était un proche du président Ben Ali, ancien militaire comme lui. Si le rav Sitruk acceptait de se rendre à Tunis, il userait de son influence pour la libération du jeune enfant.

Cet engagement me réjouit. En sortant de l’ambassade, je me précipitai chez des amis qui étaient proches du grand rabbin que je ne connaissais pas, afin qu’ils m’aident à obtenir un rendez-vous. Mais à ma grande surprise, personne ne souhaita m’apporter d’aide. Tous estimaient que l’affaire était trop compliqué pour déranger le grand rabbin.

Ma déception fut grande. Mais j’appris que le rav Sitruk priait à la synagogue de la rue Ancelle à Neuilly. Je me rendis le vendredi soir suivant à l’office. Lorsque le grand rabbin s’apprêtait à quitter les lieux, je me rapprochai de lui à plusieurs reprises alors qu’il saluait les fidèles présents. Il finit par me remarquer et me demanda ce que je voulais. Sans me démonter je lui avouai ma démarche. Un petit garçon Juif de 14 ans était en prison à Tunis pour un meurtre qu’il n’avait pas commis. S’il acceptait de se rendre à Tunis l’enfant serait libéré.

Le passeport diplomatique
Il me regarda longuement et me déclara : « j’ai quitté Tunis il y a plus de 40 ans après ma bar-mitsva et je n’y suis jamais retourné. Mais il est dit, qui sauve une âme sauve l’humanité. Je suis prêt à me rendre à Tunis pour cette mission qui est une mitsva ». Cette conversation dura moins de 3 minutes. Elle témoigne de la grandeur du rav Joseph Sitruk. Je le remerciai, mais il rajouta qu’il souhaitait se rendre à Tunis avec un passeport diplomatique et qu’il n’en possédait pas. Je lui répondis que j’allais trouver un moyen de lui en procurer un. On se quitta avec sa promesse de nous revoir bientôt.

Quand je quittai la synagogue, je fus aussi perplexe que lorsque j’avais quitté l’ambassade de Tunisie quelques jours plus tôt. Je ne connaissais personne dans les milieux politiques qui pouvait m’aider à obtenir ce passeport diplomatique…

Mais la chance me sourit. J’avais une amie d’adolescence, le docteur Janine Haddad, qui était très proche du ministre de l’Economie Dominique Straus Kahn. Il souhaitait se présenter à la mairie de Sarcelles. Elle accepta de m’organiser un rendez-vous. Je me rendis à Bercy et fut reçu dans le bureau du ministre qui m’écouta de manière distraite. Il prêta peu d’attention à ma demande d’obtention d’un passeport diplomatique pour le grand rabbin de France.

10 ans de prison ferme
Devant son silence, je lui indiquai que j’avais longtemps vécu à Sarcelles où je gardai de nombreux amis. S’il acceptait de m’aider, je ferai campagne pour son élection. Il sourit, satisfait de mon offre et me communiqua le numéro de sa ligne directe.

Les semaines passaient, j’avais pris comme avocat pour défendre l’enfant, Béji Caid Essebsi. C’était un ancien ministre de l’Intérieur de Bourguiba, et opposant à Ben Ali. Il était redevenu avocat et m’informa bientôt de la tenue du procès du jeune enfant. L’après-midi du procès, il me téléphona pour m’annoncer que malgré sa plaidoirie indiquant l’absence de preuves, le tribunal avait condamné l’enfant à 10 ans de prison ferme.

Ma peine fut immense devant ce jugement. Je me précipitai à l’ambassade de Tunisie, mais l’ambassadeur me rassura. Pour gracier l’enfant, il était nécessaire qu’il fût condamné. Il ajouta que depuis le début de cette affaire, étant donné le handicap des parents, il me considérait comme tuteur de fait. Voici qu’il me demandait de rédiger moi-même la demande de grâce présidentielle.

Le dénouement
Après toutes ces péripéties, je me sentais incapable d’assurer seul une telle décision qui pouvait être lourde de conséquences. Je contactai à nouveau mon ami Benny Cohen, qui, après consultation, m’indiqua que le Beth Din de Paris se réunirait pour débattre de ce cas exceptionnel et statuer sur cette demande de grâce présidentielle. Quelques jours après, je reçu un appel du Rav Sitruk. Le grand rabbin m’indiqua que je pouvais rédiger cette demande de grâce et qu’il irait à Tunis la semaine suivante.

Tout se passa comme souhaité. Le rav Joseph Sitruk se rendit à Tunis où il fut chaleureusement accueilli par les autorités et par le président Ben Ali. Le jeune garçon fut libéré et arriva le soir même à Orly où le ministre Dominique Strauss Kahn l’attendait avec moi dans le salon d’honneur de l’aéroport en présence des journalistes de Radio J et d’Antenne2.

Je pris le jeune garçon à ma charge jusqu’à sa majorité. Il termina ses études à Paris et réalisa son alya. Il est aujourd’hui marié père de trois enfants et vit à Raanana.

Dominique Strauss Kahn fut élu à la mairie de Sarcelles et Beji Caid Essebsi est aujourd’hui président de la république Tunisienne.

Sans l’aide et l’implication du Rav Joseph Haïm Sitruk cette affaire aurait bien pu tourner au drame.

Pierre Mamou

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