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Les Églises face à la Shoah : Entre silences et résistances

Le 4 novembre 1942, les cardinaux Emmanuel Suhard (au centre, sur la marche) et Pierre Gerlier (au premier plan), respectivement archevêques de Paris et de Lyon, sont reçus par le maréchal Pétain et Pierre Laval, à Vichy.

Les Églises face à la Shoah : Entre silences et résistances

Une exposition à Paris apporte de la nuance dans un débat souvent polémique : l’attitude des chrétiens pendant le génocide juif.

Par Sophie Laurant - Le Pelerin

Alors que l'heure semble faire la part belle aux opinions tranchées, voici qu'au Mémorial de la Shoah, à Paris, se déploie un très dense parcours décortiquant, de façon précise et nuancée, l'attitude des Églises – et en particulier de l'Église catholique – pendant le génocide juif. Les commissaires ont eu accès à des archives inédites provenant d'une quarantaine de musées, de congrégations et surtout du Vatican où elles ne sont disponibles que depuis 2020. Ce propos courageux est aussi difficile à présenter, les documents en papier n'étant pas les objets les plus attrayants pour les visiteurs. Il faut donc prendre son temps, car il y a beaucoup à lire. Mais des panneaux très pédagogiques et de nombreuses photographies ou films scandent le parcours.

"En France, l'élite religieuse des années 1940 a grandi à la fin du XIXe siècle et a été très marquée par la séparation de l'Église et de l'État en 1905", explique Caroline François, co-commissaire. Au moment de la défaite, la Révolution nationale de Philippe Pétain qui appelle à un sursaut moral ne peut que leur parler. Au niveau européen, la naissance de l'URSS et la progression des idées communistes athées font autant peur, sinon plus, que la montée des fascismes. Le tout, sur un fonds culturel d'antijudaïsme chrétien hérité du Moyen Âge qui facilite l'antisémitisme racial de ces partis. "Nous avons voulu revenir sur le contexte, souligne Caroline François, pour ensuite parler des silences, des actions et des protestations qui ont traversé les Églises. Car pour chaque confession, le message n'est pas univoque ; ni selon que l'on parle des fidèles, des hiérarchies, des différents pays européens. Et les attitudes ont évolué au fil du temps."

Les protestants, premiers à réagir

Les protestants, que leur passé de minorité persécutée et leur familiarité avec la Bible rapprochent des juifs, seront les premiers à réagir: dès mars 1941, le pasteur Marc Boegner (1881-1970), président de la Fédération protestante de France, écrit une lettre de soutien au grand rabbin, dans laquelle il déplore "le principe raciste" du statut des juifs voté par Vichy. Une vitrine en présente une copie manuscrite, effectuée par une réfugiée juive au village résistant du Chambon-sur-Lignon (Haute-Loire), preuve émouvante de son importance et de sa diffusion.

Les grandes rafles, un tournant

"Ce sont les grandes rafles de 1942 qui vont faire basculer l'opinion publique en général, et les chrétiens en particulier", précise Caroline François. "Choqués par les arrestations de familles entières, des évêques se concertent en zone Sud et cinq d'entre eux font lire en chaire une lettre de protestation." Puis elle ajoute: "Cinq c'est peu, mais parmi eux il y a de grandes figures comme Mgr Pierre Gerlier, primat des Gaules et Mgr Jules Saliège, archevêque de Toulouse (Haute-Garonne). Surtout, elle sera immédiatement ronéotypée et même recopiée en série par des élèves des écoles catholiques!" Le brouillon annoté de celle de Mgr Pierre-Marie Théas, évêque de Montauban (Tarn-et-Garonne),  montre l'engagement personnel de ces prélats.

À partir de là, nombreux seront les chrétiens qui rejoindront les réseaux de sauvetage des juifs et les congrégations qui les cacheront. Quelques objets comme l'autel portatif du père Jacques, prisonnier parmi les autres au camp de Compiègne (Oise), rappellent que ce n'était pas sans risque.

En fin de parcours, à travers l'affaire de la pièce de théâtre polémique de 1963, Le vicaire, est abordé le rôle de Pie XII. L'exposition, là encore, éclaire le silence du pape: "Il laisse se développer l'aide humanitaire, mais pratique une diplomatie prudente, car il cherche avant tout à éviter des représailles de Hitler contre les catholiques", résume la commissaire. On repense cependant au texte du journal résistant Combat, en 1944: "Nous voulions que l'esprit fît ses preuves avant que la force vînt l'appuyer et lui donner raison." Des regrets que les évêques français reprirent à leur tour, lors d'une cérémonie en 1997, à Drancy (Seine-Saint-Denis).

L'exposition

"À la grâce de Dieu": Les Églises et la Shoah

Jusqu'au 26 février 2023.
17 rue Geoffroy l'Asnier 75004 Paris
Tél.: 01 42 77 44 72

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