MICHÈLE FITOUSSI - LA FAMILLE DE PANTIN - Par Alain Chouffan

MICHÈLE FITOUSSI - LA FAMILLE DE PANTIN - Par Alain Chouffan
 
“Quel livre ! Et quel talent !”
 
Tunes, courez acheter ce livre ! Tous les grands moments de votre jeunesse y défileront. D’incroyables moments de nostalgie. Le livre de Michèle Fitoussi La famille de Pantin (1) est un vrai régal. Et une photo de couverture très originale (2). Elle a eu l’idée géniale de mélanger son histoire personnelle, émouvante, complexe, originale, à l’histoire du judaïsme tunisien depuis l'Antiquité, Didon, La Kahina jusqu’à nos jours.
 
C’est toute sa famille, disparus et vivants, qui défilent: Sarah, Albert, oncle Pap, tante Pim, parents, grans-parents, cousins de l’autrice… qu’elle fait revivre, avec un talent incroyable. Et à travers eux, c’est toute l’histoire des Juifs de Tunisie qui défile. Un petit chef d'œuvre, puissant et malancolique.
 
Ce n’est pas le premier livre de Michèle Fitoussi. Elle en a écrit une dizaine tous remarquables (3). C’est vrai qu’elle est douée. Sa passion de l’écriture a commencé très tôt. “j’ai eu très tôt une passion pour la langue française dit-elle. A 4 ans je savais déjà lire ! C’est mon père qui m’a donné ce goût de la lecture.
 
C'était un grand lecteur et il m'offrait toujours des livres. Lire est devenu une passion à laquelle j'ai très vite ajouté l'écriture puisque je crois que j'ai toujours inventé des histoires que je notais dans de grands cahiers d'écolier. Je suis allée à l'école très jeune aussi, à l'institut Emilie de Vialar à Tunis puis à Paris, ou nous sommes arrivés en 1960, quand j’avais 6 ans, dans des écoles privées car je n'avais pas encore tout à fait six ans, et on ne m'acceptait pas dans le primaire. J'étais précoce. J'ai sauté une classe. J'ai toujours été poussée par mon père, qui me faisait un peu peur quand il s'agissait de signer mes carnets, car si j'ai toujours été la meilleure en français , dans toutes les classes où je passais, mon niveau en math et en sciences laissait un peu , beaucoup !, à désirer. Il était très exigeant’
 
Née à Tunis en novembre 1954, Michèle Fitoussi s’en souvient encore : “J’étais littéralement férue de mythologie. J’avais huit-neuf ans, et mes héros étaient Achille, Hercule,Vénus, Athéna. J’avais l’habitude de vivre avec eux, de les fréquenter de façon intime, et si cela peut sembler curieux aujourd’hui, c’était une chose normale, pour les gens de ma génération, de fréquenter les héros grecs et latins. Je n’ai pas fait de grec, mais j’ai fait du latin, et cela a considérablement élargi mes horizons.” Sa passion était telle qu’elle lisait tout ce qui lui tombait sous la main.
 
Des livres de toutes sortes. Un souvenir précis de La Clase de l’Oncle Tom qui lui a appris ce qu’était l’injustice et l’esclavage. “J’avais sept ans et je me souviens avoir pleuré à chaudes larmes en le lisant. Plus tard, j’ai lu des romans d’Hector Malot, Sans famille, et En famille, des nouvelles de Jean-Paul Sartre que j’ai lu à sept-huit ans. Je ne les ai évidemment pas comprises mais je me souviens du titre “L’enfance d’un chef”. Mes parents, chacun à leur manière, m'ont poussée dans mes études et permis de réaliser mes ambitions. Ma mère avait un leit-motiv : : "Soyez indépendantes, ayez un métier, ne dépendez pas d'un mari." Divorcée très tôt, elle avait dû gagner sa vie et ce n'était pas simple. Contrairement à mon père qui était avocat à Tunis - il a changé de métier en arrivant en France - elle n'avait pas de diplômes. Elle n'avait pu poursuivre ses études car son frère et elle avaient dû tenir le magasin de mon grand-père, qui était gravement malade. Elle s'est arrêtée l'année de sa terminale. Sans diplômes, elle a travaillé à Paris dans des boutiques de mode, plutôt réservées à une clientèle fortunée. Elle parlait quatre langues, elle se présentait bien. Surtout elle était incroyablement douée en calcul mental comme l'était du reste toute sa famille. Ce manque d'études était un vrai gâchis, elle aurait pu aller très loin. Et sa vie était dure. Elle faisait tout ce qu'elle pouvait pour nous. Rien n'était trop beau ni trop bien. Et elle nous a encouragées , tout en n'imposant rien. Mon père avec qui nous ne vivions pas, n'impose rien non plus à part les bonnes notes.
 
Dans ma famille cependant, il n'était pas question de ne pas aller à la fac.Nous étions des filles mais personne ne nous a jamais mis de limites. En tous cas pas mes parents. Nous devions réussir. Et peut-être deux fois plus car la vie à Paris était quand même beaucoup plus difficile. J'ai choisi Sciences Po, je voulais être journaliste, ma sœur a fait des études d'architecture. Je pense aussi que j'ai été stimulée par l'admiration de ma famille qui voyait dans ma précocité l'expression d'un génie (ce que je ne suis absolument pas). Mais les compliments font plaisir, on a envie de se montrer à la hauteur et je crois que cette façon d'éduquer les enfants, en leur répétant qu'ils sont formidables, est très sépharade. Tunisienne aussi sans doute. J'ai fait la même chose avec mes propres enfants : j'ai transmis le goût de la lecture et de l'effort . Et je fais de même avec mes petits- enfants auxquels j'offre surtout des livres, souvent ceux qui m'ont charmée enfant.” Après Sciences Po, Michèle Fitoussi s’est fixé deux objectifs : être journaliste et romancière. Elle décroche, d’abord, un poste au magazine féminin Elle ou elle devient rapidement éditorialiste, et sans doute la plus belle plume du journal.
 
« Si de nombreuses pages sont consacrées à l’histoire du pays, c’est qu’il m’a semblé nécessaire et intéressant de redonner de l’histoire à des gens qui semblaient ne pas en avoir » (4) Elle qui, un temps, avait pensé qu’il n’y aurait pas suffisamment de matière pour un livre, a compris qu’elle avait eu tort : « Nous avons un passé. Nous étions parmi les premiers arrivés sur cette terre d’Afrique. Nous étions là avec les Phéniciens, les Libyens, les Hellènes, les Berbères, bien avant les Romains, les Chrétiens, les Vandales, les Byzantins, les Arabes, les Turcs, les Italiens, les Espagnols et les Français, enfin », énumère-t-elle avant de laisser sa plume survoler une longue histoire faite de hauts et de bas.
 
Enfin, elle a recollé les morceaux de son judaïsme . Et elle évoque sa formidable découverte d’Israël où elle n’était jamais allée. « J’ai tout de suite été attirée par ce pays » écrit-elle. Elle explique ce « coup de foudre » par la présence de l’orientalité, de la lumière, de la Méditerranée - sa « matrice » et son berceau- et du balagan. Elle renchérit : « Et puis, il y a cette sensation assez extraordinaire d’avoir l’impression de retrouver des cousins à chaque coin de rue ! Au fond, il y a en Israël une familiarité que je ne ressens pas en France ». Que dirait-elle, aujourd’hui, à la petite fille prête à se battre pour faire admettre qu’elle était « française », gênée qu’elle était par la voix forte, les mains qui parlent en même temps que la bouche et par l’accent des siens ?(5). Lui signifierait-elle, comme elle l’écrit, que « qu’elle le veuille ou non, ses racines sont là-bas » ? « Bien sûr ! Mais je lui dirais aussi que je suis riche de ce que je porte en moi : la France, ma judéité, mes deux enfants nés d’une mère juive tunisienne et d’un père catholique () de mon petit-fils dont le père est basque et espagnol et de ma découverte d’Israël ».
 
(1) Michèle Fitoussi. La famille de Pantin. Editions Stock. 2023
(2) Dans l’immeuble de couverture sis 18 rue de Rome, à Tunis, habitait André Mamou, directeur de Tribune Juive, et qui a vécu avec toute sa famille au second étage jusqu'à ses 18 ans avant d’aller à Paris. L’immeuble appartenait à une compagnie d’assurances italienne, Triste et Venisse. En mai 1943, les Anglais avaient libéré Tunis, l’armée allemande chassée la 2eme DB de Leclerc arriva et les Italiens furent dépossédés de leurs biens.
(3) C’est en 1987 qu'elle sort son premier roman, Le Ras de bol des Superwomen, dans lequel elle raconte son quotidien entre activités professionnelles et domestiques et qui se classe comme un best-seller. Elle rencontre à nouveau le succès avec Lettre à mon fils en 1991, et révèle un aspect plus intime et sensible de sa plume. Et puis toute une série de biographie d’essais, et de documents : une biographie d’Héléna Rubinstein, un personnage qui la faisait rêver. “J’imaginais une Scarlett O’Hara quittant la Pologne avec ses pots de crème et ses talons. J’ai découvert comment les femmes se sont émancipées à travers leur corps. Héléna n’était pas féministe, mais favorableà l’ascension des femmes. Elle savait à quel point l’apparence importe dans un monde d’hommes. Elle a donc enjoint aux femmes d’utiliser la séduction pour parvenir à leurs fins”. Le Ras de bol des Superwomen dans lequel elle raconte son quotidien entre activités professionnelles et domestiques et qui se classe comme un best-seller. Elle rencontre à nouveau le succès avec Lettre à mon fils, en 1991, et révèle un aspect plus intime et sensible de sa plume. Elle est l’auteur d’une dizaine de livres, romans, essais, et documents. Entre autres : une biographie d’Héléna Rubinstein, un personnage qui la faisait rêver. “J’imaginais une Scarlett O’Hara quittant la Pologne avec ses pots de crème et ses talons. J’ai découvert comment les femmes se sont émancipées à travers leur corps. Héléna n’était pas féministe, mais favorableà l’ascension des femmes. Elle savait à quel point l’apparence importe dans un monde d’hommes. Elle a donc enjoint aux femmes d’utiliser la séduction pour parvenir à leurs fins”. Suivent d’autres ouvrages comme La Prisonnière (1999), traduit dans près de trente langues et fruit de sa collaboration amicale avec Malika Oufkir, eu encore Victor (2007) dont elle fut la scénariste du film réalisé par Thomas Gilou, récit drôle et mordant. Ou la nuit de Bombay (2014) et une biographie de Janet Flanner, une grande journaliste américaine du New Yorker , portrait d’une femme libre, témoin de son temps dans les années trente (2018).
(4) Excellent article de Ghis Kormann dans The Times of Israël. 9 avril 2023
(5) Michèle Fitoussi est divorcée du journaliste politique Nicolas Domenach.
 

 

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