À Djerba, « Chez Youna », les recettes juives de Hara Kebira

À Djerba, « Chez Youna », les recettes juives de Hara Kebira

par Hatem BOURIAL

Aux portes de Houmt Souk, à Djerba, le petit village de Hara Kebira continue à préserver son identité juive. On y trouve ainsi une communauté installée en ces lieux depuis des lustres, une communauté qui vit paisiblement à l’ombre sacrée de ses synagogues.

 

Dans une rue passante de ce village se trouve l’un des conservatoires de la cuisine juive tunisienne. Pour être plus précis, il s’agit d’un petit restaurant de quartier où l’on peut déguster des préparations casher sur le pouce. Ici c’est « Chez Youna » et le slogan que j’ai inventé pour ces lieux qui ne paient pas de mine est le suivant: « Chez Youna, c’est mieux que bon! ».

On y vient simplement pour un en-cas mais ce que Youna prépare est succulent et mérite plus qu’un détour. A chacune de mes visites dans l’île et sans exagération aucune, je me précipite les papilles en alerte, chez l’ami Youna.

Mes festins à cette enseigne sont des plus simples. Ils ont pour nom bricks et fricassés. Youna a un tel tour de main qu’il parvient à en faire que l’on ne peut goûter nulle part ailleurs. Dans ses fricassés menus et dorés à point, ce sont peut être les câpres qu’il ajoute ou la sauce dont il les enduit qui sont son arme secrète. Ses briks sont quant à eux indescriptibles, croustillants à souhait et avec un oeuf juste comme il faut. Et là encore, je ne sais pas quels sont les tout petits riens qu’il ajoute et qui font toute la différence.

Ce n’est pas fini: la maison est aussi fameuse pour ses keftas et ses banatages. Youna les réussit comme un chef qui maîtriserait les arcanes les plus insondables de l’alchimie de notre cuisine juive tunisienne. Une simple croquette et vous voilà comme transporté dans le temps des saveurs les plus impénétrables.

Encore une tournée! Chez Youna, il y a aussi du poulet grillé que les voisins sont nombreux à venir acheter pour le shabbat. C’est bien entendu cacher et cela a toutes les saveurs du branches d’olivier dont est pourvu le petit grill qui se trouve devant la boutique.

Et si le coeur vous en dit, un petit bol de mdamess n’est jamais de refus. Cette soupe de fèves est des plus réussis et je m’en régale à chaque visite. C’est que, santé ou pas, je me lâche chez Youna avec une sorte d’obligation morale de goûter à tout.

En général, mon menu est invariable avec les fèves en soupe pour commencer, un brik tout de suite après, deux fricassés pour la résistance et une pièce de kefta et une autre de banatage pour terminer. Gargantua à Djerba, mais que voulez-vous, tout est si irrésistible!

Je ne terminerai pas cette évocation sans une mention spéciale, que dis-je! c’est plutôt de palme d’or ou de César qu’il faudrait parler. C’est que pendant que je déguste comme un cycliste en pleine ascension d’une alpe, Youna m’a préparé le petit colis sans lequel je ne repars jamais. Vous allez rire car ce sont vingt sachets de kakis que j’emporte avec moi et qui sont mon vade mecum pour les longs apéros au soleil.

Les kakis de Youna, c’est une autre dimension. D’abord, ils ne se présentent pas comme les autres kakis car ils sont comme de petits rubans dorés et creux à l’intérieur. On les savoure sous la dent puis ils fondent dans le palais. Pas trop salés, ils ont le croquant d’un pain azyme bien frais et la texture de ces biscuits à l’italienne.

De forme rectangulaire, ils font six centimètres de long et deux de large et tiennent dans des petits paquets que Youna remplit patiemment. Repu, joyeux et nostalgique, je quitte la petite échoppe pour revenir à pied à Houmt Souk, non sans un regard pour le restaurant d’Isaac chez qui je me rends de temps en temps. Le lendemain, retour à Tunis avec ma précieuse cargaison et la mémoire vive de toutes les saveurs gourmandes.

Et, à chaque fois rebelote, retour à Djerba et direction Youna…

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