Lectures de Jean-Pierre Allali - Quelle démocratie pour Israël ?, par Pierre Lurçat
Depuis plusieurs mois, à l’appel d’organisations de gauche et d’opposants à Benyamin Netanyahu, des milliers de personnes manifestent en Israël aux cris de « Demokratia, demokratia ! ». Le Premier ministre, malgré certains succès politiques, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, est voué aux gémonies. On murmure qu’Israël, jusqu’ici montré en exemple comme pays de libertés, est en passe de devenir une dictature. Un éclairage objectif et argumenté devenait nécessaire. C’est pourquoi on sera infiniment reconnaissant au juriste, essayiste et traducteur israélien, Pierre Lurçat, de nous éclairer sur ce sujet sensible et controversé.
Comme le dit le titre de l’ouvrage, la question centrale est simple : qui détient le pouvoir ? Les élus du peuple, issus d’élections ou les juges ? Et, comme on va le voir, en Israël, ce n’est pas si simple ! Les choses ont commencé à se compliquer en 1990 avec la « Révolution constitutionnelle » initiée par le juge Aharon Barak, un véritable « putsch judiciaire ». C’est en effet à cette occasion qu’a été instauré un système judiciaire et politique sans équivalent dans le monde démocratique. Dès lors, la Cour suprême la plus activiste du monde s’est arrogé un droit de regard sur la quasi-totalité des décisions et des actes du gouvernement, de l’armée ou encore de l’administration. Il faut dire que l’absence de constitution a facilité grandement cette situation. Eh oui, Israël n’a toujours pas, soixante-quinze ans après sa renaissance, de constitution et se contente de lois dites « fondamentales ». En 1948, David Ben Gourion avait préféré temporiser et, entre 1958 et 1992, neuf lois fondamentales ont été adoptées ; la loi fondamentale sur la Knesset, celle sur les terres de l’État, celle sur le gouvernement, celle sur le budget, celle sur l’armée, celle sur Jérusalem, capitale d’Israël, celle sur le pouvoir judiciaire et celle sur le contrôleur de l’État. Plus tard, viendront s’ajouter la loi fondamentale sur la dignité et la liberté humaine et sur la liberté professionnelle.
Pierre Lurçat nous explique comment le juge Aharon Barak, lui-même d’origine lituanienne a réussi, petit à petit au fil des ans, à rogner sur les pouvoirs des élus au profit des juges. Et c’est ainsi qu’un groupe minoritaire de « Juifs d’origine ashkénaze, laïcs et de gauche » a littéralement pris le pouvoir. Lurçat ne mâche pas ses mots parlant de « conception totalitaire et quasi-religieuse du droit » ou encore de « fondamentalisme juridique ».
Dès lors, le projet de réforme judiciaire proposé par Benyamin Netanyahu, n’a comme objectif que de redonner à la Knesset plus de pouvoir et à limiter celui des juges devenus envahissant. Une réforme du système de nomination des juges fait partie des pistes de réflexion. Comme aussi, l’idée de réformer les pouvoirs du conseiller juridique du gouvernement.
Une étude magistrale et édifiante !
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions L’Éléphant, avril 2023, 132 pages