Remous au pays du Cèdre
David Bensoussan
L’auteur est professeur de sciences à l’Université du Québec
Depuis l’indépendance du Liban en 1943, les principaux postes du gouvernement libanais sont répartis sur une base confessionnelle : le président doit être un chrétien maronite, le premier ministre un musulman sunnite et le président de la Chambre des députés doit être un musulman chiite. Le gouvernement actuel a été formé en octobre 2016 après deux ans de négociations opposant le mouvement du 14 mars à celui du 8 mars.
Un gouvernement multiconfessionnel
Le mouvement du 14 mars regroupe les partis opposés à l’ingérence syrienne au Liban et comprend : l’Alliance du futur, parti sunnite dirigé par Saad Hariri (28 sièges sur 128 aux élections de 2018), les Forces libanaises dirigées par Samir Gagea (15) qui représente le courant chrétien opposé à la Syrie ainsi que le parti socialiste progressiste (16) dirigé par Walid Jumblatt qui recrute ses membres au sein de la minorité druze.
Le mouvement du 8 mars est venu contrer celui du 14 mars : en font partie : Le Courant patriotique libre dirigé par Gebran Bassil, neveu du président Aoun (24 sièges), le parti Amal (17) qui est un parti chiite dirigé par Nabih Berri (en poste depuis 1992) ainsi que le Hezbollah (14).
Le ras-le-bol de la population
Or, les manifestations qui se déroulent aujourd’hui au Liban touchent l’ensemble de la société, toutes confessions confondues. Le cinquième de la population libanaise a défilé dans la rue pour contester la classe politique. Le Hezbollah ne veut pas des élections anticipées alors qu’il fait la pluie et le beau temps à la gouvernance du Liban ; ses militants armés de bâtons ont tenté d’intimider les manifestants. Le premier ministre Hariri a offert sa démission le 29 octobre. Celle-ci a suivi de celle de Samir Gagea du parti des Forces libanaises.
Que veulent les manifestants ?
Le Liban d’aujourd’hui est devenu méconnaissable en raison de l’économie chancelante, des pannes d’électricité et de la voirie désorganisée. Les manifestants exigent la démission de la classe politique dans son ensemble, qu’ils accusent de corruption et de collusion.
Au Liban, 25% du revenu national est détenu par 10% de la population. Le chômage atteint 30%, le taux d’inflation est de 7% et la dette nationale (publique et externe) s’élève à 150% du PNB. La perception de corruption place le Liban à la 140e position sur 190 pays. Craignant la fuite des capitaux, les banques ont fermé leur porte plus d’une fois. Ce fut la taxation de l’utilisation de WhatsApp qui aura été la goutte qui a fait déborder le vase. Cette taxe a été annulée depuis.
La confiance des manifestants dans les promesses politiciennes est à son plus bas. Ils réclament une réforme structurelle de la gouvernance, soit un nouveau gouvernement de technocrates non affiliés à des partis sectaires, qui fassent de l’emploi leur priorité. À noter que tout au long des manifestations, l’armée n’a pas fait usage de la force.
L’ombre de l’Iran
Le Hezbollah est un parti chiite militant qui reçoit de l’Iran des subsides annuels de 800 millions de dollars. Son dirigeant Nasrallah, tout comme ceux du gouvernement iranien, accuse les manifestants d’être manipulés par des agents étrangers.
Le Hezbollah dispose de 6 000 combattants armés et de près de 130 000 missiles et fait fi du gouvernement ou de l’armée libanaise. Par ses interventions armées, il ne fait que contribuer à la destruction de Syrie et de l’Irak alors que les populations de ces pays sont sévèrement touchées par les guerres, les épidémies et la sécheresse.
Le Hezbollah tire sa force de la pression qu’il exerce sur l‘ensemble du pays. Il a investi Beyrouth en 2008 et il en a résulté des affrontements qui ont fait 80 morts. Le gouvernement libanais est tombé en 2011 à la suite du refus du mouvement du 8 mars d’accepter les conclusions de l’enquête du Conseil de sécurité de l’ONU sur la responsabilité du Hezbollah dans l’assassinat d’Hariri père. Par la suite, des proches du premier ministre Saad Hariri (Wissam al-Hassan et Mohammed Chatah) furent assassinés. Ce sera seulement en fin 2016 qu’un nouveau gouvernement sera formé, son président Michel Aoun étant supporté par le Hezbollah.
À Beyrouth - comme à Bagdad - les chiites sont descendus dans la rue pour manifester leur mécontentement. Dans les pays du Croissant fertile, les manifestations déplorent les conditions socio-économiques et critiquent l’hubris iranienne. En Irak, la foule a exprimé clairement son ressentiment envers l’Iran et des tireurs embusqués ont fait des centaines de morts. Au Liban, les critiques envers le Hezbollah et l’Iran se font encore à mi-voix.