RIEN N’A PU LE RETENIR - L’OISEAU S’EST ENVOLÉ, par Alain Chouffan

RIEN N’A PU LE RETENIR

L’OISEAU S’EST ENVOLÉ

Hubert Khiat s’en est allé. Il faisait partie des “miens” autrement dit, de mes proches. Avec son départ, c est tout un pan de ma vie qui s’en va. Une vie de misère que nous avons traversée ensemble ! Ouahhhhh ! Les souvenirs se bousculent dans ma tête. En vrac :

Ensemble, à Tunis, nous avons partagé des soirées mondaines ou j’y étais invité en tant que journaliste, au journal”La Presse”. Hubert était fier de côtoyer tous ces gens connus. A l’aise, il parlait avec eux, trouvant toujours un prétexte. Une autre fois, il m'a remplacé, dans un jury d’élection de Miss Tunisie. Il en est sorti émerveillé ! “ Incroyable ! Elles m’ont toutes donné leurs numéros de téléphone! J’en ai pour tout l’hiver” m’a t-il dit avec un regard complice et une voix d adolescent.

Ensemble, nous avons préparé notre première année de pharmacie. Le soir, nous travaillons sur la « reconnaissance des plantes médicinales » qui se terminaient par des crises de rires à n’en plus finir. Nous avions la rage de réussir. Pour sortir de notre milieu de “pauvres” comme on nous appelait.

Ensemble nous avons quitté Tunis pour Paris. Nous espérions trouver une chambre pas trop chère”. Nous avons trouvé quatre murs blancs : une buanderie désaffectée dans une cour ! Avec au milieu de ces murs, une mezzanine qui coupait en deux leur hauteur pour faire deux...chambres ! Nous avons passé une nuit à discuter pour savoir lequel des deux allait habiter en haut, son accès se faisant par une courte échelle. A l’intérieur, il n’y avait ni toilettes, ni fenêtres, ni armoire, ni robinet, rien d’autre que des murs blancs tachés de peinture noire. Et, le matin, pour sortir, nous devions défoncer la porte, bloquée par la neige. On s'y mettait à deux pour y parvenir à coups d’épaule ! C’était un calvaire. Une vie de misère et de souffrance. une vie de chien ! Nous avions décidé de partir ailleurs.

Ensemble, nous avons cherché cette fois, une chambre d'hôtel, rue Delambre, à Montparnasse. Une chambre pour nous deux oui ! Nous avons dormi pendant des mois dans le même... lit. Le matin, Hubert était toujours de mauvaise humeur parce que je le réveillais pour aller à la Faculté. Lui, à la fac de pharmacie, et moi, à la fac de droit et des sciences économiques, rue d’Assas, à 200 mètres. Nous étions inséparables. On s’attendait à midi pour déjeuner, au Foyer juif, rue Médicis, à deux pas du grand café “Le Rostand”, quartier général des étudiants tunes.

Ensemble , nous avons dragué sur le Boulevard Saint-Michel, de jeunes parisiennes qui se moquaient de nous parce que nous avions les “poches vides” , comme elles disaient, pour leur offrir un café ! Là, nous avons pris conscience qu’il nous fallait vite trouver un petit job d’étudiant. Ce qui fut fait. Lui, dans une pharmacie, moi en donnant des cours de maths. Que de rires, de complicités, d’amitié, de souvenirs de cette époque ! A jamais incrustés, cimentés même dans nos mémoires. Nous avions un mot de passe “Montparnasse” pour exprimer, devant une vitrine, qu’un achat était trop cher pour nous. Cette misère a forgé notre amitié. Elle était notre cordon ombilical. Inébranlable et inséparable.

Les années passent. Une nouvelle vie commence. Nos mariages, nos enfants, l’exercice de notre métier, lui, pharmacien, moi, journaliste, chacun dans son domaine. Et puis bien sûr, les voyages ! Inoubliables ! En Inde, au Brésil, au Sénégal, à Berlin, en Gambie, en Turquie, et j’en passe, et les vacances à Ibiza, les locations communes de la même FINCA, pendant des années. Tout défile en ce moment, encore sous le choc de cette terrible nouvelle. Notre amitié ne cessait de se renforcer par nos confidences. Sur tous les sujets. Sur lui. Sur les tunes qu’il aimait, sur ceux qu’il critiquait et ceux qui l’ont humilié. Il était rancunier. Il n’oubliait rien. Il pensait à tout. Son avenir, ses inquiétudes sur la vie, sa famille qu’il adorait. Il était fier de ses 3 enfants, Carole, Laura, Michael... de ce dernier quand il est devenu pharmacien “Tu t’imagines ! Eh! coco ! pharmacien comme moi ! je n’ose y croire”. Nicole, bien sûr, toujours avec tendresse et une pointe d’ironie “elle m’écoute plus la coquine ! Elle se lâche” . Il inventait des mots, des expressions, toujours prêt à plaisanter avec son humour décalé. Du “Grand Hubert” comme je le lui disais. Il était invité dans toutes les fêtes tunes, et là, il s'abandonnait. Il dansait de tout son saoul, un verre de whisky à la main. Il s’oubliait, il riait, il taquinait ceux qui étaient en face de lui. C’est çà, Hubert, la danse dans la peau. Le bonheur de vivre. La joie d être avec des amis. Vivre intensément. Plaisanter. Ses amis l'adorent. Il restait imperturbablement lui même comme son instinct le dirigeait. Nature. Pur . ...

Et même si nous fréquentions des amis différents, nous n’avions jamais rompu le fil de notre amitié. Lui, baignait comme un petit poisson dans l’ambiance tune. Moi, par ma profession de journaliste, au milieu de mes fréquentations professionnelles, dans un monde différent. Mais Hubert était toujours là. On ne pouvait s empêcher de se voir en tête à tête. On passait des nuits chez Castel, au restaurant, au Flore à discuter de tout et de rien. Avec l’accord de Nicole, bien sûr. La politique, les dessous de la politique surtout, le passionnait. Mais sa vraie passion, c’était les... “Tunes”. Il les connaissait un par un. Et Il connaissait tout sur eux. Leur histoire, leur famille, leurs petits secrets. Il était à lui seul un “Who’s who” tune. La mémoire des Tunes. Il adorait papillonner de bande en bande. D’ailleurs, on aurait pu le surnommer « Papillon ». Mais il avait déjà un surnom: “l’oiseau” parce qu’il allait picorer “la ou la soupe est chaude” disait-il. A Tunis, puis à Paris on s’appelait “Hochlaf” du nom du photographe de la Presse qui nous accompagnait dans les réceptions. Un jour, il m’a dit qu’il voulait me faire sortir de mon monde d'intellectuels, “trop fermé” à ses yeux, pour m'entraîner dans le milieu “tune” qu’il estimait plus adapté pour nous voir plus souvent. Ce qu’il a fait. Il m’a présenté quelques perles tunisiennes comme Pierre Besnainou, Bibal, Jacques et Carole Liscia, Paulo et Jean-Jacques Berdat, Gérard Boublil, qui sont devenus par la suite mes amis. Quand je lui faisais remarquer qu’il avait réussi ce “transfert”, il me répondait avec un coup d’oeil approbateur : “Mais c’est normal frérot ! Toi, tu m’as fait kiffer avec tes personnalités, Castel, et tant d’autres, laisse-moi alors te présenter à mon tour de vrais “tunes”!”. Il n’était jamais méchant, toujours ironique. Une ironie qui passait bien. Presque naturelle. Il avait l’art de poser des questions en décalé alors qu’il connaissait d’avance la réponse . Juste pour s’informer.“Quoi c’est vrai ? Pas possible! Non je ne te crois pas !” Et, la personne s'acharne alors pour le convaincre , à dire tout de ce qu’elle sait. C’était là son piège préféré. Tout savoir.

Il me fascinait. Je m’en prenais quelquefois à lui, en lui reprochant de “trop connaître" sur les gens! C’était malgré lui. Il adorait çà. Et moi je l'adorais. En fait, je l'admirais. Davantage qu’il ne l’a jamais soupçonné. J’avais un besoin constant de son regard sur moi, même pour me désapprouver. Au plus vifs de nos désaccords, je faisais le plus grand cas de sa rigueur. Dans un certain sens, il jouait le rôle qu’ont longtemps joué pour moi des amis du journal Je ne vois pas de moment de ma vie auquel il n’ait été associé, même sans le savoir. Notre amitié était si intense qu’un jour je lui ai dit : “Si l’un de nous disparaît, l’autre ne saura plus à qui parler de certaines choses”. C’est mon cas aujourd’hui. La vie est impitoyable. “Elle ne vaut rien” disait André Malraux ajoutant, mais rien ne vaut une vie”. Surtout lorsqu’elle s’en va, brutalement, à jamais. Une amitié qui dure aussi longtemps ne meurt jamais. C’est sûr, elle continuera à vivre dans mon coeur…. Adieu Hubert ! Adieu mon frère !!

Alain Chouffan

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