Sépharades et Ashkénazes- par Hanania Alain Amar

Plusieurs situations vécues ces dix dernières années m’ont conduit à vouloir coucher sur le papier mes réflexions sur la question troublante des relations étranges et troublées entre les communautés sépharade et ashkénaze en France. La situation est bien connue en Israël où les pionniers pour la plupart venus d’Europe centrale avaient une connaissance partielle et surtout partiale des communautés sépharades vivant en pays arabo-musulman. Ils ne tenaient pas compte en pensant de la sorte que les sépharades existaient et existent aussi en France, en Espagne, au Portugal, en Italie, aux Pays Bas, en Belgique, en Grèce, et pas seulement au Maghreb (Algérie Maroc et Tunisie), en Iran, en Turquie etc. 

Les ashkénazes du tout jeune Etat d’Israël virent d’un très mauvais œil l’arrivée massive des Juifs d’Afrique du Nord après 1948, date de la première vague d’immigration massive vers la Terre Promise. La cohabitation fut longtemps difficile, les ashkénazes arborant un mépris et une arrogance insupportable pour les Marocains appelés « Maroko sakin », ce qui veut dire « Marocain au couteau », donc bagarreurs, voyous et truands… La démographie bien plus importante de la communauté sépharade et l’évolution politico-sociale font qu’un renversement est en train de se produire, une véritable révolution, l’arrivée au gouvernement de plusieurs ministres d’origine maghrébine (marocaine en particulier) et — fort malheureusement — la poussée des mouvements religieux qui puisent leurs troupes chez les sépharades. 

L’histoire devrait pourtant enseigner à tous les Juifs du monde leur origine unique et commune au Proche Orient, là où il n’y avait pas de « séparation » entre deux communautés. Les ashkénazes « n’existent » que depuis le Xe - XIesiècle de l’ère chrétienne environ, le monde juif depuis plus de cinq millénaires !

Le mot « ashkénaze » vient du nom porté par l’un des arrière petits-fils de Noé. La dispersion consécutive aux deux Temples de Jérusalem fit que des Juifs s’installèrent en Germanie, en Pologne, dans toute l’Europe centrale, en Russie, et constituèrent le berceau de ce qui allait devenir le monde ashkénaze. 

Arthur Koestler a consacré tout un ouvrage à cette question que j’ai évoquée dans mon travail à paraître relatant la vie et l’œuvre de ce génie :

« La Treizième tribu. 

Totalement et précocement détaché de la religion ─ au sens de la foi et des pratiques rituelles ─ de ses aïeux, Arthur Koestler n’a cessé de s’intéresser au monde juif dans ses aspects culturels, historiques, philosophiques. Il l’a largement manifesté sans détours lors de son engagement sioniste, y compris en rejoignant le sionisme révisionniste de Z’eev (Wladimir) Jabotinsky, en travaillant dans un kibboutz ─ il en fait le récit dans La Tour d’Ezra ─ , en étant proche des militants de l’Irgoun et plus tard en rencontrant Chaïm Weizmann, David ben Gourion et Menahem Begin. 

Par ailleurs, il a contribué à la recherche d’une solution au problème israélo-arabe et en couvrant la naissance de l’Etat d’Israël ─ il écrit à ce propos un livre, Naissance d’une nation. Son souci, dès les premiers pas du jeune Etat, sera de mettre en garde les Israéliens contre les « rabbins maléfiques », force négative, frein puissant qui pouvait entraver les initiatives modernes indispensables à une nouvelle démocratie désireuse de rejoindre le concert des nations développées. 

Lorsqu’il écrit et surtout lorsque paraît La Treizième tribu, les sionistes lui reprochent ses hypothèses et ses conclusions. Il sera, encore une fois, mal compris. Le point nodal de son livre avait de quoi surprendre et/ou irriter. Arthur Koestler écrit en effet que les Juifs ashkénazes n’ont strictement aucun lien avec les Juifs sémites du Grand Israël biblique qui sont, selon l’auteur, les seuls Juifs authentiques. Les ashkénazes seraient issus de la tribu des Khazars convertis au judaïsme à l’époque à laquelle Charlemagne régnait en Occident, soit il y a environ 1300 ans, alors que les sépharades peuvent revendiquer plus de 5700 ans d’ancienneté dans l’histoire connue. 

L’empire païen des Khazars s’étendait du Caucase (formidable barrière naturelle contre les invasions) à la Volga. 

Plutôt que de choisir le christianisme des successeurs de Constantin ou de se soumettre à l’islam stoppé dans son élan, le roi des Khazars choisit le judaïsme auquel il se convertit entraînant à sa suite sa propre famille, la cour puis son peuple. Cette thèse a été rejetée avec mépris par le monde ashkénaze religieux ou non et ce fut une occasion pour les ennemis arabes d’Israël d’argumenter sur « l’illégitimité » des colons venus d’Europe centrale pour y bâtir de nombreuses implantations et enfin un Etat juif souverain et indépendant proclamé en mai 1948. 

Arthur Koestler a contesté ce point de vue arabe et antisioniste, voire antisémite plus ou moins camouflé, en affirmant que la légitimité vient du fait que les premiers pionniers avaient bel et bien acheté les terres à réhabiliter à des propriétaires arabes qui avaient totalement laissé à l’abandon des territoires entiers désertifiés, non exploités, devenus secs et arides. Ces propriétaires, relayés par les politiques et les terroristes palestiniens, auront par la suite une audace sans nom en affirmant qu’ils avaient été spoliés de leurs « merveilleuses terres ancestrales ». Sur le plan de l’ancienneté, ils étaient perdants, mais aussi sur la capacité des pionniers à fertiliser les terres acquises et faire « reverdir le désert », ce dont les propriétaires arabes étaient incapables car ils s’en moquaient et ne possédaient aucune technologie permettant l’équivalent même lointain du miracle israélien. 

Ce fut le dernier livre ─ au sens plein du terme ─ d’Arthur Koestler qui, encore une fois, ne sera pas compris dans le message courageux qu’il a voulu laisser à ses contemporains ». 

Mais venons-en aux circonstances qui m’ont fait prendre conscience personnellement de l’antagonisme entre les deux branches majeures du judaïsme.

La première eut lieu au début des années 2000. Une consœur, ashkénaze, psychiatre et apparemment sensible à la psychanalyse, s’exclama avec un air de dégoût quand elle apprit que j’étais d’origine séfarade marocaine : « Ah ! Quelle horreur, mais ce sont des sauvages ». On aurait pu penser que sa formation aurait pu la dispenser d’un tel jugement témoignant à la fois d’une ignorance insondable, mais aussi d’une bêtise affligeante !

La seconde « expérience » se déroula avec une dame d’âge mûr, ashkénaze « bon teint » — responsable d’une association culturelle juive — qui s’étonna qu’un juif originaire du Maroc pût parler de racisme et d’antisémitisme, estimant sans doute que, du fait de la Shoah, le monopole de la douleur et de l’affliction revenait aux seuls ashkénazes ! Ce n’était pas une vision comptable que je souhaitais exposer, mais les tentatives de recherche de sens à l’insensé, toutes victimes confondues, Juifs, Tsiganes, Arméniens… La liste est malheureusement trop longue pour continuer ! Je déclinai l’offre de conférence, empli de dégoût mais aussi de désolation. 

Le plus récent incident eut lieu chez moi, alors qu’une collègue de travail de mon épouse et son mari, tous deux ashkénazes et de passage dans ma ville dînaient chez nous. Je fus surpris de les entendre évoquer ainsi un mariage auquel ils avaient assisté : « Oui, nous sommes allés à un mariage mixte, elle est du Maroc et lui de France ». J’interrompis la conversation :

 -                     Ils ne sont pas de la même religion dis-je naïvement

 -                     Elle est séfarade et lui ashkénaze

 -                     Et vous appelez cela un mariage mixte ? 

 -                     Mais oui, c’est comme cela que nous disons

 -                     Et que dites-vous quand il s’agit de religions différentes ? 

 -                     Silence

 -                     Tu comprends, Alain, — dit alors le mari en tortillant un peu du croupion — les séfarades sont plutôt « traditionnalistes » et peu cultivés

 -                     Peu cultivés ? Mais comme tu y vas, mon cher ! Vois-tu, dans mon cas, tu as déjà « tout faux », il se trouve que mon grand-oncle, le grand Rabbin David Sabbah, fut juge au Haut Tribunal Rabbinique du Maroc et auteur d’un traité de droit mosaïque majeur ! Mais il y en a d’autres !

La conversation s’enlisa un peu, mais l’ambiance était « plombée ». Je ne pus résister au plaisir de leur envoyer un message électronique destiné à parfaire leur culture, dans lequel je fis un bref rappel des gloires séfarades, Rachi de Troyes, Maïmonide, Spinoza, pour ne citer que ceux-là !

De telles divisions conduisant à un véritable ostracisme à l’intérieur d’une même religion me firent penser au schisme, à la scission du christianisme en deux courants, catholique et protestant. Mais il y avait eu aussi la Saint Barthélemy, l’Edit de Nantes, la calamiteuse révocation de cet édit sous le règne du sinistre et sanguinaire Louis le quatorzième et les récents affrontements en Irlande qui auraient dû résonner dans les mémoires !

Références bibliographiques

 CHOURAQUI  André : Histoire des Juifs en Afrique du Nord, Paris, Hachette, 1985. 

 KOESTLER Arthur, La Treizième tribu, 1976, rééd. Tallandier, 2008. 

 RAHMANI Moïse, Réfugiés juifs des pays arabes. L’Exode oublié, Editions Raphaël (Suisse) 2003. 

 TRIGANO Shmuel, (sous la direction de), Le Monde séfarade, Paris, Seuil, 2006 (deux volumes). 

 ZAFRANI Haïm : Mille ans de vie juive au Maroc. Paris, Maisonneuve et Larose, 1983. Réédition sous le titre Deux mille ans de vie juive au Maroc, Casablanca, Eddif, 1999. 

 ZAFRANI Haïm : Ethique et mystique. Judaïsme en terre d’Islam, Paris, Maisonneuve et Larose, 1991. 

 ZAFRANI Haïm : Juifs d’Andalousie et du Maghreb, Paris, Maisonneuve et Larose, 1996.

Commentaires

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F

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6 années 10 mois
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<p>non non et non</p>

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