Soit tu anéantis le Hamas, soit tu es dans la panade !

Soit tu anéantis le Hamas, soit tu es dans la panade ! (011904/19) [Analyse]

Par Ilan Tsadik © Metula News Agency

 

Après des comptages et des recomptages, on connaît désormais depuis quelques jours les résultats définitifs des élections générales qui se sont déroulées en Israël le 9 avril dernier. Au final, deux partis arrivent en tête, le Likoud de Binyamin Netanyahu et Khakhol-Lavan (bleu-blanc) de Benny Gantz et Yaïr Lapid. Les deux partis recueillent 35 sièges chacun sur les 120 que compte la Knesset.

 

Ces résultats ont maintes fois fluctué depuis le début du dépouillement des bulletins réguliers, puis de celui des enveloppes spéciales, celles des soldats, des personnes à mobilité réduite, de certains personnels électoraux obligés de travailler loin de leur local de vote assigné, etc.

 

Pour moi, c’est déjà l’endroit de relever que dès 3h05 du matin la nuit suivant le scrutin, la Ména, publiant sa propre synthèse, avait annoncé ce score final de 35 sièges pour le Likoud et pour Kakhol-Lavan. C’est, à ma connaissance, le seul media qui avait vu juste aussi tôt et qui n’a jamais changé, depuis, son estimation. Notre agence y est parvenue suite à la décision de Stéphane Juffa et de mon père, Jean Tsadik, juste après minuit, soit avant l’allocution de Binyamin Netanyahu, de jeter à la corbeille les évaluations des instituts de sondages qui racontaient n’importe quoi, même sur la base des urnes-test qu’ils avaient disposées à la sortie des bureaux de vote.

 

A quatre personnes et sous la direction d’un expert en probabilités, en se basant sur les quelques résultats réels existant aux premières heures du mercredi, en fonction des constantes de vote passées des dix plus grandes agglomérations du pays, nous avons réussi à établir une prévision solide, même si nous n’aurions pas mis nos mains au feu que n’allions pas nous tromper d’un siège de plus pour ceux-ci ou d’un de moins pour ceux-là. Trois heures de travail sérieux et un brin de chance ont fait le reste. Mais la chance aime le travail sérieux.

 

Je n’en retire aucune fierté, ni même une satisfaction d’avoir eu raison là où les autres se sont trompés, sans doute à cause de l’habitude, hu hu. Mais un enseignement tout de même : il ne faut jamais se fier totalement à qui que ce soit, jamais cesser de réfléchir de façon indépendante, et surtout, jamais croire qu’un objectif est hors de portée avant d’avoir essayé de l’atteindre.

 

Trêve d’autosatisfaction, ce n’est pas principalement pour vous raconter cela que j’ai allumé mon ordinateur (pris ma plus ne signifiant plus rien du tout). Ni d’ailleurs pour provoquer des polémiques gratuites, pour effrayer ceux qui ont voté (ou soutenu) Bibi, ou pour donner des espoirs à ceux qui l’ont combattu.

 

Mais pour répéter, premièrement, que le Likoud n’est pas le plus grand parti d’Israël mais l’un des deux plus grands partis d’Israël à égalité avec un autre au nombre de députés. Si l’on peut considérer, au moment où 65 élus ont communiqué au Président Rivlin qu’ils soutenaient la candidature de Netanyahu au poste de Premier ministre, qu’il s’agit d’une victoire du bloc conservateur-religieux, sur le plan personnel, Bibi n’a pas battu Gantz et c’est un fait. Les électeurs de Shas, du Judaïsme de la Torah, d’Israël Beyténu n’ont pas voté pour la victoire de Bibi mais exclusivement pour celle de leurs candidats.

 

Ce match nul serait une péripétie sans importance si cette constatation ne modifiait pas fondamentalement les conditions auxquelles Binyamin Netanyahu doit désormais faire face afin de tenter de construire une coalition.

 

Jusqu’à la fin de la semaine dernière, la commission électorale attribuait 36 sièges au Likoud contre 35 à Kakhol Lavan. Sur la base qui veut que ce soit le leader du plus grand parti qui se voit confier la possibilité de former un gouvernement, Benny Gantz était définitivement sur la touche.

 

Maintenant, Bibi va disposer de 28 jours pour présenter une coalition au vote de confiance de la Knesset, puis d’une rallonge de 14 jours s’il n’y est pas parvenu dans le premier délai imparti. Mais s’il n’y réussit toujours pas, Benny Gantz jouirait de toute la légitimité voulue pour tenter sa chance à son tour. Et s’il échouait lui aussi, on serait reparti pour de nouvelles élections.

 

Je sais… il y a beaucoup de si pour en arriver là. Si (encore un !) je ne me basais que sur le hasard, je dirais que la probabilité de nous retrouver dans cette situation avoisine zéro. Ce n’est ainsi pas le hasard qui pourrait nous y conduire, non plus que Benny Gantz, mais les partenaires potentiels de M. Netanyahu ; ceux-là mêmes qui ont conseillé au Président Rivlin de lui confier la tâche de former le 35ème gouvernement de la courte histoire de l’Etat hébreu. Car, et c’est remarquable, le fait d’avoir suggéré au Président de donner sa chance à Bibi ne les oblige en aucune manière, pas même du point de vue éthique, à lui voter la confiance à la Knesset.

 

Ils ne le feront que s’ils auront obtenu lors des négociations en vue du partage des ministères et des présidences de commissions les postes qu’ils attendent. Ou s’ils se résolvent à accepter moins que leurs espérances en ayant la conviction qu’il vaut mieux pour eux accepter ce qu’on leur aura proposé que générer une crise politique à l’issue de laquelle ils pourraient se retrouver à la rue comme Bennett et Shaked.

 

Cette petite analyse est d’autant plus vraie qu’avec le nombre restreint de partis qui ont obtenu suffisamment de suffrages pour être représentés dans la nouvelle Knesset, il suffirait pratiquement que l’un d’entre eux refuse sa confiance à Binyamin Netanyahu pour le priver de majorité.

 

En rabotant les plus petites formations de droite pour mobiliser les électeurs contre le péril Gantz, Bibi a fait des rescapés des négociateurs affamés dans la course aux portefeuilles.

 

Evidemment, je ne parle pas d’une situation théorique, cela n’aurait pas d’intérêt. Je pense, comme nombre d’analystes, à un certain Avigdor Lieberman et aux cinq sièges qu’il trimbale avec lui dans son escarcelle sans jamais s’en éloigner.  

 

Cinq mandats, ce n’est pas grand-chose, me direz-vous. Mais ça n’est pas rien, puisque rien c’est quelque chose, comme le rappelait Raymond Devos, mon humoriste préféré. Pas grand-chose, d’autant plus que Lieberman en comptabilisait un de plus à la dernière Knesset, mais cela suffit afin d’empêcher Netanyahu de former une coalition et pour nous renvoyer devant les urnes.

 

Et aussi, et cela ne passe pas inaperçu, pour empêcher la Knesset de se réunir et, par voie de conséquence, de voter la loi en gestation qui bloquerait la levée de l’immunité d’un élu tout le temps qu’il remplit son mandat. Ici on l’appelle le "khok hatzarfati", la loi française, en souvenir de celle qu’avait votée l’Assemblée nationale tricolore pour protéger Jacques Chirac des casseroles qu’il avait à ses trousses.

 

Il suffirait ainsi que les tractations pour la formation d’une coalition s’enlisent pour voir Bibi contraint de se présenter devant le proc général et s’y livrer à une audition, avec un acte d’accusation dans trois affaires pénales qui lui pendent au bout du nez. Or certains de ses alliés, à l’instar de Moshé Kakhlon et des quatre députés de Koulanou [héb. : tous ensemble, rien à voir avec Marc-Emmanuel], ont déjà averti qu’ils n’appuieraient pas la candidature de M. Netanyahu si ce dernier était inculpé. Alors que s’il est déjà Premier ministre, ils ne se rueraient pas aux barricades.

 

Tout cela fait de notre tovaritch  Raspoutine Lieberman l’homme de la situation, pour ne pas dire le personnage le plus puissant du petit monde politique israélien. Il est même plus influent que Benny Gantz, puisque si Lieberman refuse de voter la confiance à Netanyahu, et même si Reuven Rivlin invite Gantz à tenter à son tour de former une coalition, les chances de l’ancien chef d’état-major de Tsahal de parvenir à réunir 61 députés autour de son projet sont objectivement… hum… quasi-nulles.

 

L’ennui pour Netanyahu est que le vieil animal politique au fort et grave accent russe est naturellement au courant du rôle charnière qui lui échoit et qu’il n’a pas attendu les pains azymes pour faire monter les enchères.

 

Ne le voilà pas qui "exige" en échange de ses cinq mandats, accessoirement le portefeuille de l’Intérieur, mais surtout celui de la Défense. Un ministère qu’il occupait au début de la législature précédente et dont il avait bruyamment démissionné pour protester contre la manière – objectivement catastrophique, en tant que résident de Sdérot et rédacteur à la Ména, je peux difficilement dire le contraire - qu’avait eue Bibi de traiter la confrontation avec le Hamas de novembre dernier. 

 

L’affaire pourrait s’arranger, car Bibi n’a aucune peine à se montrer débonnaire à l’endroit de Lieberman lorsqu’il a le feu aux tresses, même s’il a déjà laissé miroiter ce poste très convoité à deux élus du Likoud, Yoav Galant, général en réserve de l'Armée israélienne, et Avi Dichter, l’ancien chef du Shin Bet [le service de sécurité intérieure israélien. Ndlr.]. Qu’à cela ne tienne, pour sauver ses tresses, Netanyahu pourrait se montrer persuasif avec Galant et Dichter, et leur faire une offre de celles qui ne se refusent pas.

 

La question n’est cependant pas là : Yvette (c’est à la fois son nom de baptême – Yvette Lvovitch – et son surnom) ne se contente pas de réclamer ces deux portefeuilles, il pose également comme condition sine qua non à sa participation au prochain gouvernement que Netanyahu s’engage par écrit, dans un délai stipulé d’avance, à réoccuper Gaza et à ratiboiser le Hamas. Sinon, affirme-t-il, il ne votera pas la confiance et il y aura de nouvelles élections.

 

Ce n’est pas à proprement parler un caprice de demoiselle gâtée, mais une nécessité stratégique à laquelle mon père et Juffa souscrivent également. Mais de là à en faire une condition incontournable à la formation du prochain gouvernement, c’est du jamais vu : ou tu t’engages à déclencher une guerre dans les trois mois, ou tu vas t’exposer à la taule face à Mandelblit en juillet au risque, de surcroît, de faire tes adieux à la politique ! C’est rude, comme disent nos amis belges.

 

D’une part, en politique comme dans les maisons de passe, rien n’est jamais inébranlable, et tout cela pourrait très bien se terminer par un accord aussi secret que flou entre les deux hommes et par une accolade en forme de photo de famille.

 

Mais de l’autre, parlant de famille, rien n’est moins sûr, particulièrement parce que le contentieux entre les deux personnages est personnel et profond. Yvette déteste Bibi. Il avait débuté sa carrière au Likoud et il raconte volontiers à qui veut bien l’entendre qu’il était le mentor de Netanyahu, celui qui a organisé son ascension politique, celui qui écartait ceux qui se plaçaient en travers de son chemin, et celui qui se sacrifiait lorsque c’était nécessaire pour ne pas gêner la progression de son "ami".

 

Cette vérité, tout le monde politique la connaît. Tout comme tout le monde sait que Lieberman n’a pas été payé de retour et que Bibi l’a transformé, comme il le fait avec tous ceux qui l’entourent, en sous-fifre privé de pouvoir, en faire valoir émasculé. C’est ainsi qu’Yvette n’avait eu du portefeuille de la Défense que le titre, que non seulement Bibi prenait toutes les décisions militaire importantes à sa place, avec ses propres conseillers, mais aussi, le plus souvent, sans le consulter ni même le tenir au courant.

 

A l’instar du cas de la vente des sous-marins allemands à l’Egypte, à propos de laquelle M. Netanyahu a reconnu publiquement qu’il n’avait pas tenu au courant le ministre israélien de la Défense, Yvette, non plus que le chef du Renseignement. Je l’ai aussi vu de mes yeux et entendu de mes deux oreilles à la télévision déclarer qu’il avait dûment informé le Conseiller juridique du gouvernement de sa décision. Mais pas plus tard que le lendemain, le conseiller en question – on est toujours en question lorsque l’on est conseiller – émettait un communiqué écrit, un acte extrêmement rare dans le cadre de sa fonction, pour témoigner que Netanyahu n’avait jamais abordé la question des Dolfin [les sous-marins allemands. Ndlr.] avec lui.

 

Du Bibi tout craché. Il a menti, une fois de plus, et alors ? Il a mis en danger la suprématie régionale d’Israël dans le domaine hyper-sensible des sous-marins tactiques pour des raisons que personne ne connaît, et alors ? Alors, parce que ces questions ont une réponse dans ce cas précis, un millier d’Allemands au moins étaient au courant de la transaction – il fallait bien les construire ces sous-marins pour l’Egypte -, tout l’état-major égyptien l’était aussi, et pas le ministre israélien de la Défense ni notre chef du Renseignement.

 

Et si certains d’entre vous pensent que je suis un gauchiste parce que je ne m’arrête pas de réfléchir lorsque j’entends le nom de Netanyahu ou parce que je dis les choses telles que je les perçois, alors je veux bien être traité de gauchiste. C’est d’ailleurs presque arrivé à Avigdor Lieberman dans l’entourage de Bibi, et on n’y hésitera pas à lancer cette accusation si Yvette maintient ses conditions. Je serai en bonne compagnie.

 

Netanyahu a réussi l’exploit de diviser Israël en deux catégorie : la "droite", ceux qui le soutiennent sans poser de questions en fermant les yeux et en se bouchant les oreilles, et la "gauche", c’est-à-dire tous les autres.

 

Mais la campagne électorale est terminée on ne va pas ressasser. Finie pour nous en tout cas, sans doute pas pour Lieberman, pour qui, semble-t-il, elle ne fait que commencer. Et je vous assure que s’il peut empêcher Bibi de former une nouvelle coalition sans y laisser beaucoup de plumes, il ne s’en gênera pas. Il pourrait même avoir un orgasmof !

 

Pour ne rien arranger aux affaires du Premier ministre probable, la clientèle électorale d’Yvette est particulièrement attachée à sa personne. Elle est constituée d’émigrants de l’ex-Union Soviétique, dont certains ne pipent pas l’hébreu couramment ; au point que les messages de campagne d’Israël Beyténu à la TV étaient en russe. Lieberman n’a donc pas de soucis à se faire si le pays est acculé à de nouvelles élections qui se dérouleraient sans Bibi. En vérité, il ne pourrait qu’augmenter son capital de députés.

 

Et pour ne vraiiiiiment rien arranger, Avigdor a également fait savoir qu’il n’est absolument pas question que la nouvelle majorité ne vote pas la "Loi de Conscription", déjà adoptée en première lecture et sur laquelle la Knesset doit impérativement prendre une décision avant la date butoir du 28 juillet. Cette loi prévoit – mais je résume à l’hyper-essentiel pertinent au sujet de cet article – que tous les jeunes Juifs en âge de servir sous les drapeaux devront effectuer leur devoir militaire.

 

Pour les partis religieux de Shas et du Judaïsme Unifié de la Torah, qui détiennent 8 mandats chacun, l’intransigeance d’Yvette fait office de l’étoffe rouge que l’on agite devant les yeux du taureau à la corrida. Ils ont prévenu à leur tour : s’ils n’obtiennent pas toutes les assurances que la Loi de Conscription sera rejetée et que les jeunes ultrareligieux n’auront pas l’obligation de faire leur service militaire, ils appelleront aussi à de nouvelles élections.

 

Sur le papier, cela semble compromis voire inconciliable. Mais on connaît les talents de magicien de Bibi Roi et messie d’Israël - c’est du moins de cette manière que ses partisans du Likoud l’appellent -  pour démêler les intrigues au demeurant inextricables.  Reste qu’à quelques heures du Seder de Pessakh, la Pâque juive, et en ce Vendredi saint de Pâques chrétiennes – tiens, cette année cela tombe le même jour – je ne voulais surtout pas que vous pensiez, en vous accoudant, qu’au pays des Hébreux, après des élections mouvementées, nous allions passer un printemps politique monotone.  

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