Souvenirs de dialogues avec Ben Gourion, fondateur de l'Etat d’Israël. Par Jean Daniel

Souvenirs de dialogues avec Ben Gourion, fondateur de l'Etat d’Israël

 

EDITO. Cet homme était décidément un réaliste illuminé. Par Jean Daniel.

Naissance d’une nation ! Pour ce peuple qui ne s’était jamais senti nulle part chez lui, c’est l’ivresse. Il y a toujours de nombreux Israéliens pour vivre de telles journées avec les mêmes sentiments de joie qu’à l’origine. Une précision solennelle s’impose déjà sur les dates. C’est le 29 novembre 1947 que l’Assemblée générale des Nations unies adoptait par 33 voix contre 13 et 10 abstentions le partage de la Palestine. Israël est devenu un Etat, tandis que l’Etat palestinien n’a toujours pas vu le jour.

Ce fut donc le 14 mai 1948 que naquit l’Etat d’Israël. Les Israéliens et leurs amis, frères en religion ou alliés en géopolitique, célèbrent ce 70e anniversaire. C’est bien en mai 1948 que David Ben Gourion lit solennellement la "Déclaration d’indépendance de l’Etat d’Israël". C’est l’annonce officielle d’un "Etat juif en terre d’Israël".

Quelques années auparavant, au cours de mon premier voyage en Israël, j’ai eu le privilège de rencontrer le "Vieux Lion", ce petit homme trapu à la chevelure de clown solennel, guide et prophète, qui forçait l’admiration. Je me souviens d’un échange que j’avais pu entendre entre deux érudits humoristes. L’un d’entre eux s’était égaré jusqu’à comparer David Ben Gourion à Moïse. La réponse m’avait frappé : "Moïse a eu le saint honneur de ne pas voir la Terre promise, alors que votre Ben Gourion, lui, l’a tout simplement créée."

Mais, pour illustrer et décrire la déception qu’il devait provoquer plus tard chez ses héritiers les plus dévots, soulignons encore le fait que ce prophète déclarait avec force que l’on ne pouvait pas parler du sionisme si l’on oubliait ses projets d’établir un "socialisme" avec ses enfants et la paix avec ses voisins.

Une rencontre imprévisible et extraordinaire

Comme pour confirmer le caractère révolutionnaire de ses propos, le 23 mai 2017, Arte diffusait une version inédite d’un entretien de six heures avec Ben Gourion. Interview plus qu’éclairante puisque David Ben Gourion y a répété ce qu’il m’avait dit la première fois :

"Chaque fois qu’il y aura un choix à faire entre la paix et les territoires, je choisirai la paix !"

La déclaration s’adressait à plusieurs jeunes gens dont certains paraissaient choqués. Ben Gourion eut l’occasion de les moucher :

"Je vous répète qu’entre la paix et les territoires je choisirai toujours la paix !"

Ce fut le point final de cet entretien exceptionnel qui nous plonge dans des abîmes d’amertume et de réflexion. Il est évident que les vicissitudes et les aventures de la géopolitique arrivent à rendre ridicules toutes les illusions, les analyses et les utopies dans les meilleures civilisations.

Je voudrais revenir sur cette rencontre si imprévisible et extraordinaire avec David Ben Gourion. A Paris, j’avais réussi à rencontrer l’ambassadeur de France en Israël. Je me souviens encore de son nom de famille, il s’appelait Gilbert. Il était extrêmement familier de toutes les affaires du Proche et du Moyen-Orient. Evidemment, je lui ai confié que mon désir le plus grand était de rencontrer David Ben Gourion. Un large rire lui servit de réponse. On ne le sollicitait que pour cela : la rencontre avec le "Vieux Lion".

Quand j’ai cru à une fin de non-recevoir, il m’a retenu en me disant que nous pouvions faire un pari et un échange. Si jamais il arrivait à me faire rencontrer le président israélien, alors ce serait à la condition que je pose la question et que j’obtienne une réponse sur le fait de savoir si David Ben Gourion croyait en Dieu ou pas. Je n’avais rien à perdre ! J’ai aussitôt accepté, et bien m’en a pris.

"Il y a le Livre, le Livre et le Livre"

J’ai enfin rencontré David Ben Gourion et osé lui poser la question. Il était en train d’écrire une lettre philosophique au président de Birmanie avec lequel, disait-il, il avait une sorte de complémentarité mystique. Il m’a d’abord longuement fait attendre sa réponse. Et puis soudain, il s’est levé et a brandi une énorme Bible qui ressemblait à une sculpture et qu’il caressait de temps à autre. "Tout est là, répétait-il, vous entendez bien, tout."

"Vous me demandez si je crois en Dieu, et je sais de qui vient cette question. Mais il faut lui dire simplement qu’il y a le Livre, le Livre et le Livre. Tout ce que vous ne trouvez pas dans la Bible, c’est parce que vous ne savez pas le chercher."

Cet homme était décidément un réaliste illuminé. Sans lui, il n’y aurait pas eu de coup de force pour imposer l’indépendance à l’ONU. Mais après la guerre de Six-Jours (du 5 au 10 juin 1967), il a proclamé partout qu’il était prêt à rencontrer le colonel Gamal Abdel Nasser, son vaincu terriblement humilié dans tout le monde arabe.

Il reste qu’Israël, au moment où j’écris, se trouve toujours au cœur de tous les risques de conflits mondiaux. Mais le malheur est que les Palestiniens sont demeurés un peuple occupé et sous domination étrangère. On y retrouve les mêmes acteurs. En particulier les Anglais, les Français et les Palestiniens. On y retrouve aussi les Russes. A l’époque de la crise de Suez, en 1956, il s’agissait pour Moscou de sauver Nasser. Aujourd’hui il n’est plus question que du maintien du régime de Bachar al-Assad.

Jean Daniel - L'Obs

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