Tables de jeu a la belle etoile, par Jose Boublil

Tables de jeu a la belle etoile

 

Nous sommes en 1980 ou 1981, en vacances, que dis-je en lévitation kiffeuse...Nous venons de dîner, à 45 seulement ce soir, Beeela compris, au Pirate .De plus en plus de mal avec ma kippa de décrire les assiettes gastronomiques de ce restau boycotté par les rabbins locaux.

Le diner a duré deux heures 45, de hurlements, saoulerie, crachats et autres rires saccadés de Bibal ou de Gilles N z"l.
Pas un aristo pour demander le silence, sachant qu'il n'avait aucune chance de l'obtenir. 
Le récit en détail des 8450 calories de crevettes du chef vous sera conté à une autre occasion.

Car mon propos ce soir, c'est l'arrivée en camion blindé des 45 fous furieux sur l'esplanade des cartes, café de Sidi Bou Said où le livreur de thé aux pignons , monsieur Nasser ou Naceur, selon son pedigree , est le patron envers et contre tout et tous.

Les grappes humaines sortent des caisses des années 60, entre 404 peugeot et Alfa romeo giula ti; quelques taxis, et même des motos. Nasser, super jovial, son plateau en équilibre instable joue les funambules. Il y a une bonne douzaines de verres brûlants, tous remplis des graines blanches; une grosse théière en métal pour compléter le liquide, et deux ou trois cafés .

Il accueille les nouveaux , et leur désigne des tables selon le degré de vice. Pour les surexcités de la carte, la zone doit être tranquille.

Là, pas question de jouer et papoter en même temps. Les tarifs de la partie, ou de l'ego des joueurs, sont exorbitants.Ainsi, une table est en abonnement perpétuel pour Jeannot et ses beloteurs; lui, il donne des cours de belote dont le discours mériterait une place dans Pagnol. Pour Adrien, dont le tarif de la contrée est 
au moins le prix du séjour à Djerba pour 8 semaines, on n'est pas dans la démonstration mais dans la concentration. Chacun ses figures de style.

Au centre de l'esplanade, on joue plutôt à la scopa (ou scobba, puisque les arabes ne prononcent pas le "P"). Le but est de passer le temps, puisque la Baraka n'est pas encore ouverte, ou plutôt il n'y a encore personne. Les parties de ce jeu qui demande d'avoir au moins 45 de QI sont des gags à répétition. Les uns renversent leur thé à 120°, sur les cartes. Nasser est furieux; et le pauvre "renverseur" se tape une brûlure au troisième degré.

A chaque table, les mecs ont un bouquet de jasmin sur l'oreille, ponctué d'un bouton de rose rouge . Les filles ont récolté un collier de cette même fleur, qui donnent parfois envie de faire l'impasse sur la baraka.

Cette ambiance complètement hors du temps-imaginez deux cent ou deux cent cinquante vicieux des cartes sur 100 metres carrés- se passe à 11h du soir, sous un ciel aux milliers d'étoiles, et une température proche du bonheur absolu.

La séquence eut plusieurs options . La plus courante fut l'ascension du village pour rejoindre le café des nattes et ses bouffées de Chicha ou de Narguilé goût pomme. Certains , amoureux de notre nature tunisienne montaient jusqu'au célèbre café de la grotte. Certains l'ont appelé "café des délices", mais 
ils l'ont autant fréquenté que moi les piste de ski de Gstaat....

L'autre option, qui dura un été , fut notre arrestation par la police locale , pour avoir osé discuter sur la chaussée à quelques dizaines de mecs. Ce qui devait être une rassra fut un déconnage dont je tairais ici les dérives ...

Voilà donc comment un simple verre de thé se transformait en une cérémonie protocolaire longue et délicieuse , entre les odeurs des fleurs blanches, le goût des pignons de pin ou des amandes grillées dans le liquide sucré , et les filles survoltées par l'attente de la prochaine étape: la baraka ou " A la fin de l'envoi je touche! Cyrano de Bergerac".

Ajouter un commentaire

CAPTCHA
Cette question est pour verifier que vous etes une personne et non une machine et ce, pour empecher tout envoi de spam
Image CAPTCHA
Saisir les caractères affichés dans l'image.
Français