Tunisie - René Trabelsi : « Désormais, on met en avant un tourisme durable et alternatif »

Tunisie - René Trabelsi : « Désormais, on met en avant un tourisme durable et alternatif »

ENTRETIEN. Coqueluche du gouvernement Chahed, le ministre tunisien du Tourisme et de l'Artisanat a choisi de consolider le balnéaire et de diversifier l'offre du pays. Il explique. Propos recueillis par notre correspondant à Tunis, Benoît Delmas

Attablé au Grand bleu devant une brick au thon, René Trabelsi vante la beauté des lieux. La mer à perte de vue, somptueuse, la nourriture typiquement tunisienne. Monsieur le ministre du Tourisme est en représentation. Il vend la destination Tunisie avec constance. Quand on lui dit qu'il est la tête de gondole du gouvernement, il l'admet bien volontiers. Ce juif tunisien, 57 ans, affiche vingt-deux années de vie professionnelle dans ce secteur « avec deux boîtes de tourisme et un tour operating ». Il dirige l'un des ministères les plus emblématiques tant ce secteur est un des piliers de l'économie nationale, pesant pour « 14 % du PIB ».

Les deux secteurs qu'il dirige pèsent lourd en termes d'emplois : « 350 000 pour l'artisanat, 500 000 pour le tourisme, auxquels s'ajoutent deux millions d'emplois indirects. » Quelques jours auparavant, le ministre a enfilé sa jebba pour se rendre sur le plateau de Cyril Hanouna. Un TPMP (Touche pas à mon poste) spécial Tunisie a été tourné à Hammamet et Tozeur, union des deux produits que sont le balnéaire et le désert. Une émission de plus de deux heures qui a conquis une audience de 1,2 million de téléspectateurs pour sa première partie, 710 000 pour sa seconde. Entretien.

Le Point Afrique : Vous venez du secteur privé. Quels sont les premiers enseignements de votre expérience de ministre ?

René Trabelsi : Quand j'étais à la tête de mes entreprises, en face d'un ministre du Tourisme, on demandait, on proposait. Je me rends compte que ce n'est pas si facile d'être ministre. Il n'a pas tous les pouvoirs, il y a des règles et une lenteur administrative qui font qu'on ne peut avancer comme on le souhaite. J'ai découvert des gens de qualité dans cette administration, eux-mêmes victimes de la paperasserie, des lourdeurs. J'essaye d'éliminer ces obstacles. Mon équipe s'est réveillée, casse les obstacles...

J'ai fait une réunion « 48h chrono » avec les chefs de service, expliquant qu'il n'y a aucune raison qu'un dossier reste plus de deux jours sur un bureau. Les problèmes se règlent avec d'autres ministères : Finances, Agriculture, Intérieur, Commerce… Comme je suis quelqu'un qui ne vient pas du sérail, il y a une volonté de m'aider, une sympathie. Je parle le même langage que la fédération des hôteliers, ça donne du punch. Le tourisme, c'est périssable, il faut aller vite. Une fois la saison passée, c'est trop tard. On peut risquer de perdre des touristes, des investisseurs.

C'est votre première saison comme ministre. Comment s'annonce-t-elle ?

En 2015, trois attentats : Bardo, Sousse, Tunis. N'importe quel pays aurait pu s'écrouler, c'était l'objectif. La Tunisie est restée debout, la sécurité est revenue. Aujourd'hui, 15 % du budget de l'État est consacré à la lutte contre le terrorisme. Ces 15 % ont été enlevés à d'autres ministères, que ce soit la Culture, le Sport, l'Éducation… La Tunisie avait la volonté politique et devait entrer dans la guerre contre le terrorisme. Je ne parle pas de mettre plus de policiers autour des musées, des hôtels, mais d'une guerre plus profonde, avec un service de renseignements plus puissant, avec une coopération internationale, des fichiers mutualisés. Aujourd'hui, la Tunisie est au niveau des autres pays qui reçoivent des touristes. En 2018, on a senti un retour.

On a mis le paquet pour recommercialiser la destination Tunisie. Tous les marchés européens sont en progression de 30 % cette année. Les Russes sont venus en dépannage suite aux problèmes avec la Turquie et l'Égypte. Ils sont restés, ils veulent s'installer. Pour 2020, les TO russes visent le million. C'est un marché qui nous aide l'hiver. On travaille pour promouvoir la Chine. Ce sont des gens qui ont un fort pouvoir d'achat, qui visitent tout et qui prennent énormément de photos qui vont sur les réseaux sociaux. En com, ça m'intéresse. Les Américains représentent un nouveau marché, car c'est une clientèle qui n'est pas balnéaire, mais culturelle, sportive (golf, balnéothérapie). Pour l'offre médicale, c'est très important. Je veux amener une clientèle pour les saisons basses, du 1er novembre au 31 mars, lorsque les arrivées sont moindres, que des hôtels ferment, car ils n'ont pas de contrats avec les TO. Le désert est un produit phare.

Comment diversifier l'offre ?

Je suis comme beaucoup de Tunisiens. Je ne connais pas très bien l'intérieur du pays. Je veux faire découvrir la richesse historique, ce patrimoine exceptionnel qu'on trouve à l'intérieur du pays. Il y a un potentiel énorme. Désormais, on met en avant un tourisme durable et alternatif.

Vous êtes en fonction pour un an. Pour quelles raisons avez-vous accepté ?

C'était une décision très réfléchie vu ma situation en France. Je suis père de famille, je suis installé depuis très longtemps, j'ai mes affaires, deux boîtes de tourisme et mon tour operating. Arrivé en Tunisie sans avoir jamais fait de politique, vu ma religion, il fallait réfléchir. Youssef Chahed m'a dit : « Si tu veux faire quelque chose pour la Tunisie, c'est le moment ou jamais. » Ça a été le déclic : utiliser le pouvoir de ministre pour aider mon pays.

Selma Elloumi, votre prédécesseur, a fixé un objectif de 10 millions de touristes en 2020. Faut-il privilégier la quantité ?

Je pense que plus il y a de touristes, plus le chiffre d'affaires augmente. On ne peut pas venir à l'aéroport et sélectionner les clients, ceux qui sont en all inclusive ou ceux qui sont dans les palaces. La Tunisie est un des rares pays qui peut proposer plusieurs produits et pour toutes les bourses. Si on ouvre l'Open Sky en 2020 (actuellement bloqué par le Brexit, NDLR), c'est une nouvelle clientèle qui va arriver depuis de nouveaux aéroports, Beauvais, Le Havre, Montpellier, ce qui n'est pas le cas actuellement. La France a plus de 60 millions d'habitants, elle reçoit plus de 65 millions de touristes. Pareil en Espagne. La Tunisie doit psychologiquement dépasser son nombre d'habitants par celui de touristes. On doit dépasser les 12 millions de touristes (la Tunisie compte 11 millions d'habitants, NDLR). Il suffit qu'on augmente de 30 % le nombre de touristes en basse saison et on obtiendra les 10 millions de Mme Elloumi.

Combien de touristes en 2019 ?

Le chef du gouvernement m'a fixé un objectif de 9 millions. Vu la progression, on va atteindre ce chiffre. Fin mai, on est à 3,4 millions alors que la saison n'a pas commencé. On a un très bon mois de juin. Mathématiquement, on arrive aux 9 millions.

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