13 janvier 1898 : Emile Zola publie sa lettre ouverte "J'accuse" dans L'Aurore
13 janvier 1898 : Emile Zola publie sa lettre ouverte "J'accuse" dans L'Aurore
Le 13 janvier 1898, en première page du quotidien parisien L’Aurore, Emile Zola publie son retentissant "J’Accuse !".
Il se lève ainsi contre l'antisémitisme d'Etat qui a condamné le Capitaine Dreyfus. À l'occasion de la date anniversaire de sa parution, redécouvrons cet article sur l'une des mobilisations historiques contre l'antisémitisme, celle d'Emile Zola.
Ce jour-là, le journal L'Aurore est vendu à plus de 200.000 exemplaires en à peine deux heures. "J'accuse !" devient l'une des lettres politiques les plus retentissantes de tous les temps. Mais, c’est Clémenceau, alors directeur de L’Aurore, qui trouve le fameux titre accusateur qui barrera la Une de son journal.
Au travers de ce texte, véritable pamphlet accusateur, Emile Zola s'adresse directement au président de la République Félix Faure et conteste une décision de justice au nom des valeurs universelles. Dans une suite forte et répétitive, commençant par le célèbre "J’accuse", l’écrivain accuse les ministres de la Guerre, les officiers de l’état-major et les experts en écriture convoqués lors du procès d’Esterhazy d’être responsable de la condamnation d’un innocent, en acquittant un coupable.
Plus encore, pour appuyer son exposé, l'écrivain décide de s'exposer publiquement, afin de comparaître aux assises pour qu'un nouveau procès, puisse se dérouler : "Je n'ai qu'une passion, celle de la lumière, au nom de l'humanité qui a tant souffert et qui a droit au bonheur. Ma protestation enflammée n'est que le cri de mon âme. Qu'on ose donc me traduire en cour d'assises et que l'enquête ait lieu au grand jour !", écrit-il.
C'est cet article qui relance l'affaire Dreyfus, au moment où, le véritable coupable (le commandant Esterházy) étant acquitté, tout pouvait sembler perdu pour le camp dreyfusard.
Par là-même, Emile Zola pourfend les antisémites et les ligues factieuses de l’époque.
Voici quelquex extraits :
"Mais quelle tache de boue sur votre nom - j’allais dire sur votre règne - que cette abominable affaire Dreyfus ! Un conseil de guerre vient, par ordre, d’oser acquitter un Esterhazy, soufflet suprême à toute vérité, à toute justice. Et c’est fini, la France a sur la joue cette souillure, l’histoire écrira que c’est sous votre présidence qu’un tel crime social a pu être commis. Puisqu’ils ont osé, j’oserai aussi, moi. La vérité, je la dirai, car j’ai promis de la dire, si la justice, régulièrement saisie, ne la faisait pas, pleine et entière."
"On s’épouvante devant le jour terrible que vient d’y jeter l’affaire Dreyfus, ce sacrifice humain d’un malheureux, d’un « sale juif » ! Ah ! tout ce qui s’est agité là de démence et de sottise, des imaginations folles, des pratiques de basse police, des moeurs d’inquisition et de tyrannie, le bon plaisir de quelques galonnés mettant leurs bottes sur la nation, lui rentrant dans la gorge son cri de vérité et de justice, sous le prétexte menteur et sacrilège de la raison d’État ! Et c’est un crime encore que de s’être appuyé sur la presse immonde, que de s’être laissé défendre par toute la fripouille de Paris, de sorte que voilà la fripouille qui triomphe insolemment, dans la défaite du droit et de la simple probité. C’est un crime d’avoir accusé de troubler la France ceux qui la veulent généreuse, à la tête des nations libres et justes, lorsqu’on ourdit soi-même l’impudent complot d’imposer l’erreur, devant le monde entier."
"Mais cette lettre est longue, monsieur le Président, et il est temps de conclure. J’accuse le lieutenant-colonel du Paty de Clam d’avoir été l’ouvrier diabolique de l’erreur judiciaire, en inconscient, je veux le croire, et d’avoir ensuite défendu son oeuvre néfaste, depuis trois ans, par les machinations les plus saugrenues et les plus coupables.
J’accuse le général Mercier de s’être rendu complice, tout au moins par faiblesse d’esprit, d’une des plus grandes iniquités du siècle.
J’accuse le général Billot d’avoir eu entre les mains les preuves certaines de l’innocence de Dreyfus et de les avoir étouffées, de s’être rendu coupable de ce crime de lèse- humanité et de lèse-justice, dans un but politique et pour sauver l’état-major compromis.
J’accuse le général de Boisdeffre et le général Gonse de s’être rendus complices du même crime, l’un sans doute par passion cléricale, l’autre peut-être par cet esprit de corps qui fait des bureaux de la guerre l’arche sainte, inattaquable.
J’accuse le général de Pellieux et le commandant Ravary d’avoir fait une enquête scélérate, j’entends par là une enquête de la plus monstrueuse partialité, dont nous avons, dans le rapport du second, un impérissable monument de naïve audace.
J’accuse les trois experts en écritures, les sieurs Belhomme, Varinard et Couard, d’avoir fait des rapports mensongers et frauduleux, à moins qu’un examen médical ne les déclare atteints d’une maladie de la vue et du jugement.
J’accuse les bureaux de la guerre d’avoir mené dans la presse, particulièrement dans L’Éclair et dans L’Écho de Paris, une campagne abominable, pour égarer l’opinion et couvrir leur faute.
J’accuse enfin le premier conseil de guerre d’avoir violé le droit, en condamnant un accusé sur une pièce restée secrète, et j’accuse le second conseil de guerre d’avoir couvert cette illégalité, par ordre, en commettant à son tour le crime juridique d’acquitter sciemment un coupable."