Au cœur de la poudrière moyen-orientale, par David Bensoussan

Au cœur de la poudrière moyen-orientale

David Bensoussan

L’auteur est professeur de sciences à l’Université du Québec

 

Il ne fait aucun doute aux yeux des gouvernements américain, anglais, français et allemand que l’Iran a été derrière l’attaque des installations pétrolières saoudiennes en date du 14 septembre. Les Houtis du Yémen, l’un des pays les plus pauvres de la planète, ont déclaré être derrière l’envoi de missiles Scud et de drones au cœur de l’Arabie saoudite et même des missiles de haute précision volant à très basse altitude pour échapper aux radars. Nous sommes témoins d’un impérialisme iranien - auquel se heurte l’expansionnisme « ottoman » du président turc Erdogan – dans un Moyen-Orient déstabilisé.

Un Moyen-Orient désuni

Le printemps arabe a été un cri de cœur de citoyens qui se sont élevés contre les régimes autoritaires pour demander plus de dignité, d’égalité et de justice sociale. Mais cette révolte a sombré dans la violence en Libye et en Syrie et dans la réaction encore plus autoritaire en Égypte. Seule la Tunisie semble avoir réussi son tournant démocratique. En outre, l’Égypte, les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite sont en conflit avec la mouvance des Frères musulmans soutenue par la Turquie et le Qatar, mouvance qui avait essayé de récupérer à son profit le printemps arabe.

Pour les pays arabes, le problème palestinien n’est plus prioritaire : le danger iranien est perçu comme étant crucial. La guerre contre les Houtis au Yémen piétine avec des conséquences désastreuses sur la population civile. L’Arabie et les pays du Golfe misent sur la protection américaine et sont ouverts à la collaboration avec Israël pour pallier au danger iranien.

Israël fait face au Hamas à Gaza, au Hezbollah au Liban et aux milices iraniennes en Syrie. Une tension constante existe quant à l’existence de plus de 120 000 missiles dont le Hezbollah dispose au Liban car ce dernier se rapporte à l’Iran et non au gouvernement libanais. Advenant un conflit, ces missiles ne pourraient être éliminés qu’au prix de lourdes pertes en Israël et il en résulterait une destruction majeure au Liban.

Les grandes puissances coincées

La Russie s’affirme au Proche-Orient. Elle offre un support militaire à l’Iran et n’émet pas de réserves aux initiatives militaires d’Israël visant à éloigner les forces iraniennes de sa frontière. Suite au retrait des forces américaines du Rojava, son influence s’est accrue encore plus.

Après le gradualisme naïvement optimiste du président Obama vis-à-vis de l’Ian, le président Trump a usé de presque toutes ses cartes de sanctions économiques contre ce pays. Il ne veut pas d’une guerre et l’Iran en profite pour lancer de plus en plus d’attaques contre l’Arabie et l’industrie pétrolifère avant les élections intérimaires américaines du mois de novembre.

L’Union européenne tente de ménager l’Iran en voulant maintenir ou revoir les clauses du traité des 5+1 portant sur les technologies nucléaires iraniennes tout en offrant des façons détournées de contourner les sanctions américaines, mais vainement. Même la Chine s’est retirée du projet d’exploitation du plus grand gisement gazier au monde à South Pars, projet préalablement abandonné par la compagnie française Total.

C’est peut-être par aversion au président Trump que des médias européens laissent l’Iran jouer la carte de victime au Proche-Orient, ignorant les abus des droits de la personne en Iran, les attentats iraniens en Europe déjoués in extrémis, le contrôle de plusieurs pays par des milices armées à la solde de l’Iran ainsi que les menaces génocidaires réitérées envers Israël.

L’Iran saucissonné par les Gardiens de la Révolution.

En Iran même, les Gardiens de la révolution iraniens se conduisent comme un état dans l’État. Leur dernier congrès a plus ressemblé à celui d’un parti politique que celui d’une milice. Le chef d’État-major de l’armée iranienne Muhammad Baqeri a annoncé les lignes directrices de la politique iranienne tout comme si le gouvernement civil n’existait pas : selon lui, l’influence iranienne au Liban en Syrie, en Irak et au Yémen est un fait accompli. Il a également vanté ensuite les effets bénéfiques des milliers de commerces contrôlés par les Gardiens de la Révolution, mieux gérés selon lui que ceux qui sont sous le contrôle du secteur public lequel serait miné par la corruption et l’inefficacité. Le message à peine voilé est que si les Gardiens de la révolution étaient en charge du pays, l’Iran aurait trouvé la panacée à ses problèmes socio-économiques.

Le chef des Gardiens de la révolution Hossein Salami a quant à lui déclaré : « l'Iran a "la capacité d'annihiler" Israël et qu'il devait être "rayé du monde." La deuxième étape de la révolution est celle qui réorganise la constellation du pouvoir en faveur de la révolution… Dans un troisième temps, nous penserons à la mobilisation mondiale de l'islam. » Le chef du corps Al-Quds Qassem Soleimani à quant à lui a renchéri en ajoutant que l’Amérique n’était qu’un épouvantail.

Il faut se demander si les Gardiens de la révolution dont la puissance économique et militaire permet d’avoir une influence déterminante sur les politiciens iraniens ne cherchent pas à prendre en main la prochaine présidence. Aussi, il faut envisager la possibilité qu’aux présidents chapeautés (Bani Sdar qui dut s’enfuir de son pays et Raja’i qui mourut dans un attentat peu après sa nomination) et enturbannés (en noir pour les descendants de Fatima et en blanc pour les Iraniens de souche) succèderont des présidents porteurs de coiffes militaires.

Cette nouvelle réalité laisse penser que l’emprise des radicaux iraniens est croissante et qu’il y a peu de chance de trouver des voies de compromis ou de modification de la politique iranienne, peu importe l’intérêt et les besoins du peuple iranien.

Une nouvelle donne

Le président turc cultive chauvinisme et islamisme de la mouvance des Frères musulmans, éloignant de plus en plus son pays de la démocratie.  L’isolationnisme déclaré du président Trump a constitué une brèche pour son incursion militaire récente dans le territoire kurde en Syrie. En effet, la Turquie est obsédée par la question kurde et occupe des territoires dans le Nord de la Syrie pour contrer l’émergence d’une entité kurde autonome. Les Kurdes sont encore une fois abandonnés à leur sort et Erdogan parle ouvertement de nettoyage ethnique.

La Turquie doit en principe tenir compte de la sympathie occidentale aux Kurdes, du bon vouloir de la Russie qui a une base militaire en Syrie alors même que la Russie protège le dictateur syrien honni par le pouvoir turc et que l’Iran considère la Syrie comme son protectorat.

Au-delà du mélange explosif d’islamisme et de dérive autoritaire de la Turquie, une autre donne inquiète les analystes. Comme l’Iran, le président turc a « milicisé » la Syrie en faisant de la Turquie la porte dérobée pour Daesh puis en armant des milices syriennes antigouvernementales.

Or, la rivalité séculaire entre la Turquie et l’iran (anciennement Empire ottoman et Perse) a augmenté d’un cran. Un mur long de 144 kilomètres a été construit le long de la frontière turco-iranienne. Le président turc Erdogan a réitéré son intention d’acquérir la bombe atomique. Son intention serait-elle de contrer l’Iran qui a pris une longueur d’avance dans ce domaine ?

Préparerait-il sa sortie de l’OTAN ? La Russie qui tient à augmenter ses ventes d’armes pour compenser la baisse de ses revenus pétroliers et qui joue un rôle de plus en plus prononcé dans la région va surement faire pression pour ce faire.

Au Moyen-Orient, la poudre explosive continue de poudroyer…

 

 

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