Juliette Bessis, Par Sophie Bessis
Juliette Saada est née à Gabès le 16 septembre 1925. Elle y passe sa petite enfance jusqu’à la mort de son père survenue en 1930. Sa mère s’installe alors à Tunis avec ses trois enfants, Juliette – appelée Zouzou depuis sa petite enfance – et ses deux frères aïnés. Juliette Saada a toujours gardé un attachement profond pour son Sud natal où elle est régulièrement revenue durant sa jeunesse.
A l’âge de 16 ans, elle rencontre Aldo Bessis, jeune agronome issu d’une famille de la vieille bourgeoisie juive tunisoise, qui a adhéré au parti communiste tunisien en 1938 et devient – avec quelques autres – un de ses dirigeants clandestins durant la période de l’occupation allemande de novembre 1942 à mai 1943. Juliette partage les convictions de son futur mari et adhère au parti communiste dont elle devient rapidement une militante active. Aldo Bessis et Juliette Saada se marient le 3 février 1944 et consacrent leur temps à leur parti, à leurs activités syndicales au sein de l’USTT, syndicat affilié au parti communiste, et à la lutte pour l’indépendance qui entre alors dans sa phase finale.
Après la naissance en 1947 de sa première fille, Sophie, Juliette devenue Bessis – seul nom qu’elle gardera – reprend ses études qu’elle avait abandonnées en classe de seconde au moment des mesures antijuives prises par le régime de Vichy, passe son baccalauréat, entre en année de propédeutique puis entame une licence d’histoire-géographie à l’Ecole des hautes études de Tunis, embryon de la future université tunisienne, rattachée à la Sorbonne où les étudiants allaient alors passer leurs examens oraux. Elle obtient sa licence au début des années 1950, puis son diplôme d’études supérieures en géographie qui a pour thème l’étude monographique de la plaine de Sminja-Moghrane, tandis que son diplôme annexe porte sur les mines de fer de Djerissa. Ce n’est que plus tard qu’elle abandonnera la géographie pour se consacrer pleinement à l’histoire.Après la naissance en 1954 de sa seconde fille Sandra, elle est nommée en 1956 professeur à l’annexe de Khaznadar du collège Sadiki où elle enseigne jusqu’en 1961, avant d’être mutée au lycée Alaoui de Tunis. Sadiki-Khaznadar, où les professeurs de gauche sont alors nombreux, a été pendant ces années un creuset de la formation de la première génération de gauche de la Tunisie indépendante.
En 1962, la fonction publique tunisienne entame un processus d’épuration de ses hauts fonctionnaires juifs et Aldo Bessis se voit contraint de quitter le ministère de l’Agriculture où il était entré en 1947. Engagé à l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), il part avec sa famille au Cameroun. Juliette est alors nommée, à titre d’expert de l’Unesco, professeur d’histoire à l’Ecole normale supérieure de Yaoundé. En 1964, la famille s’installe pour quelques mois à Addis Abeba en Ethiopie avant qu’Aldo Bessis ne soit nommé au siège de la FAO à Rome. Juliette restera profondément marquée par ses années subsahariennes et consacrera plus tard à l’Afrique noire une partie de ses cours à l’université de Vincennes.
Après le décès prématuré de son époux en avril 1969, Juliette Bessis vit trois ans à Genève où elle est expert du Bureau International du Travail, avant de le quitter en 1972 pour s’installer définitivement à Paris où elle commence une riche carrière universitaire centrée sur l’étude de la Tunisie et du Maghreb contemporains. Sa thèse, soutenue en 1980, a pour titre : L’Italie mussolinienne et la Tunisie, 1922-1943. Elle en tire un livre en 1981 paru sous le titre de La Méditerranée fasciste. Dès lors, enseignement et écriture absorbent tout son temps. Elle travaille et publie beaucoup jusqu’à sa retraite en 1995. De 1972 à 1995, elle a enseigné à l’Université de Paris VIII-Vincennes, devenue au début des années 1980 Paris VIII Saint-Denis et à l’Université de Paris I, sans compter sa participation à de nombreux séminaires et colloques, en France comme en Tunisie et au Maghreb. En 1997, elle livre une sorte de testament d’historienne dans son ouvrage Maghreb, la traversée du siècle, tandis que ses nombreux articles sont regroupés dans un recueil intitulé Maghreb, questions d’histoire. Elle a consacré une part importante de ses travaux à l’histoire du syndicalisme tunisien – dont une biographie de Farhat Hached parue dans la collection Les Africains dirigée par le professeur Charles-André Julien aux éditions Jeune Afrique. Elle a également beaucoup écrit sur l’époque de la seconde guerre mondiale en Tunisie, en particulier autour du rôle du Néo-Destour, puis de l’épisode de Moncef Bey et du moncéfisme. Enfin la crise yousséfiste et les débuts de l’indépendance ont fait partie de son champ de recherches
Jusqu’à trois ans avant son décès, elle est revenue tous les ans en Tunisie, qu’elle n’a jamais cessé de considérer comme son pays avec lequel, depuis son départ en 1962, elle a entretenu des relations passionnelles et douloureuses, faites d’amour et aussi de rancune pour le sort que la Tunisie indépendante a réservé à sa minorité juive. Dans les années 1970, elle s’était activement engagée pour la libération des militants de l’organisation de gauche Perspectives – parmi lesquels elle comptait beaucoup d’amis – condamnés à de longues peines de prison et enfermés au bagne de Borj Roumi. Elle avait été enthousiasmée par la révolution de janvier 2011 qui lui a rappelé les luttes de sa jeunesse et ses convictions qu’elle n’a jamais abandonnées malgré son éloignement du militantisme actif.
Juliette Bessis est morte à Paris le 18 mars 2017 à l’âge de 91 ans.