La fameuse rafle des juifs de Tunisie

La fameuse rafle des juifs de Tunisie

Le 9 décembre 1942 (le 2  Tevet 5703) restera à jamais gravé dans la mémoire des Juifs de Tunisie.

Dans les années 1940, 110 000 Juifs vivaient en Tunisie. Après la défaite de juin 1940 et l’établissement du régime de Vichy en France, les Juifs de Tunisie ont fait l’objet de toutes les mesures antisémites édictées en France. Le 8 novembre 1942, les nazis envahissent le pays. De novembre 1942 à mai 1943, les Juifs de Tunisie furent considérés par les forces d’occupation comme des ennemis et traités en ennemis. Pendant cette période, les nazis organisent des rafles dont la plus importante se déroule à Tunis.
Au total, près de 5 000 Juifs sont envoyés dans des camps de travaux forcés. À partir d’avril 1943, commenceront les premières déportations vers les camps en Europe.

 

Tunisie sous occupation nazie

Réaction de la Wehrmacht à l’Opération Torch : elle envahit la Tunisie à partir de la Libye et occupe ce pays pendant six mois effroyables pour les Juifs.

A Tunis, Hitler a envoyé le SS Walter Rauff. Celui-ci « a été chargé en 1941 du programme technique d’extermination des Juifs par des camions à gaz. Il y a eu plusieurs centaines de milliers de morts par ce moyen de mise à mort. C’est un spécialiste de la mise à mort des Juifs », précise l’historien Serge Klarsfeld. Ayant fui en Amérique latine après la guerre, jamais jugé, Rauff meurt le 14 mai 1984 au Chili. Serge et Beate Klarsfeld n’ont pas obtenu son extradition.

Le 8 décembre 1942, Rauff exige des dirigeants de la communauté Juive « 3 000 hommes munis de pelles, de pioches et de vivres pour le lendemain, 8 h ». Officier de la Légion d’honneur, Maurice Borgel, président de cette communauté, proteste. Agenouillé, ce septuagénaire est cravaché violemment par Rauff.

« Le bey avoue son impuissance. C’est la fatalité. Le résident général informe la communauté que les Allemands lui ont interdit de s’occuper des Juifs. Alors il se lave les mains. Ce jour-là, il a signé la fin du protectorat français en Tunisie, parce que le traité de protectorat imposait à la France de protéger la personne du bey et ses sujets contre toute puissance étrangère », souligne Claude Nataf.

Au matin du 9 décembre 1942, faute de réunir les 3 000 personnes, les Allemands raflent des Juifs à Tunis .

« Afin d’arrêter la rafle, la communauté accepte de prendre en charge le recrutement et fait coller des affiches en appelant les Juifs de 17 à 50 ans à se présenter. C’est la mobilisation générale », observe Claude Nataf. Lieu de réunion : l’école de l’AIU de Tunis. Destination : des camps de « travaux de terrassement et de défense du pays ». Des camps brièvement évoqués dans Le Maghreb sous la croix gammée, documentaire de Bill Cran et Karin Davison.

« Entre le 9 décembre 1942 et début janvier 1943, 5 500 jeunes Juifs partiront vers ces camps de travail. Le pire était celui de Bizerte gardé par des SS. C’était le camp où il y a eu les plus grandes violences commises contre les Juifs, et plusieurs Juifs ont été fusillés par les Allemands sous prétexte de prétendues tentatives d’évasion », rappelle Claude Nataf.

iL faut environ 48 heures à ces milliers de Juifs – dont André Nahum (1921-2015), futur médecin à Sarcelles, Chalom-Charles Perez et Georges Smadja – pour rejoindre, sans manger ni boire, le camp de Bizerte, port maritime majeur situé à 60 km de Tunis et entièrement évacué de sa population civile et par l’Armée française.

A Bizerte, ces jeunes Juifs rejoignent la caserne Philebert. Dans les chambrées : uniquement de la paille. Le travail ? « Creuser des tranchées, combler les trous de bombes, décharger les camions de munitions ». Et ce, sous les bombardements quotidiens des Alliés. En cinq mois, nombre de ces Juifs perdent 20 kg.

Les travailleurs Juifs sont contraints de porter une étoile sur le poitrine et dans le dos pour mieux les repérer en cas de tentatives de fuites. Selon Claude Nataf, « cette mesure est rapidement tombée en désuétude dans presque tous les camps. En revanche, tous les Juifs du Sahel ont été obligés de porter l’étoile jaune, y compris les bébés ». Pour Léon Masliah, alors âgé de huit ans, ce port était « presque un signe de fierté. Je ne pense pas que mes parents partageaient ce point de vue parce qu’ils savaient de quoi on parlait ».

Or, Giraud refuse d’abroger les lois antisémites, mais accepte les Juifs qui s’engagent pour poursuivre, dans cette nouvelle armée française en cours de création, le combat contre les forces de l’Axe. Mais « au lieu de les envoyer sur le front, pour une préparation militaire, il les envoie au camp de travail de Bedeau, où ils portent un uniforme spécial noir pour les distinguer des autres », note Michel Abitbol. Et là, jugés non dignes du combat, faiblement alimentés, les yeux baissés, ils sont astreints à des travaux pénibles : « casser les cailloux, faire les routes, abattre les arbres, etc. » Et ce, sous 35° à 40 °C dans la journée, et un écart thermique d’environ 40°-45° C entre les températures diurnes et celles nocturnes. La nuit, la couverture protège des scorpions. « Les punitions étaient extrêmement sévères », déplore Léon Chouraki. Cet aspect était négligé par l’exposition L’Outre-mer français dans la guerre 39-45.

« En janvier 1943, les Juifs sont mobilisés dans des compagnies de pionniers Juifs avec des officiers français, puisque nous étions à l’époque encore Juifs indigènes », précise Georges Hadjadj, né en Algérie.

Les Allemands imposent des amendes collectives très lourdes aux Juifs : 23 millions de francs à Tunis, 40 millions de francs à Sousse, 40 millions à Sfax » (Claude Nataf).

« La Résidence générale a demandé à un organisme bancaire de prêter cet argent avec la garantie des bourgeois, des possédants. Et cela a été payé », note André Nahum.

Léon Masliah se souvient : « Avec une hargne, avec une haine que je ne comprenais pas, ils ont raflé les bijoux, le peu de choses précieuses que nous avions, et nous ont laissé dans un état de dénuement total ».

Alors que « les hommes sont dans des camps, les Allemands pénètrent chez eux, terrorisent, frappent, violent leurs femmes et se servent à loisirs ».

Les déportations des Juifs de Tunisie « ont lieu en avril 1943, trois semaines avant la libération du territoire tunisien. Quarante déportés ne sont pas revenus. C’est très peu par rapport aux six millions de Juifs d’Europe continentale tués lors de la Shoah. Mais cela éclaire la nature du projet génocidaire des nazis. Partout où les Allemands ont pris pied, ne serait-ce que 24 heures comme à Rhodes, ou six mois comme en Tunisie, ils ont persécuté la population Juive, dans le but de la détruire » (Claude Nataf).

Parmi les Juifs déportés : Victor Cohen Hadria, ancien Bâtonnier de l’Ordre des avocats de Tunis assassiné à Auschwitz, Edouard Benjamin Dana, pupille de la Nation et résistant, déporté à Auschwitz, envoyé dans le ghetto de Varsovie pour le déblayer où il est abattu alors qu’il tentait de fuir.

Profanée, la synagogue de Tunis est transformée en hangar où sont stockés les biens dont les Juifs ont été spoliés.

Le 7 mai 1943, la Wehrmacht fuit l’avancée des Alliés. Les Anglais libèrent Tunis, les Français libres s’emparent de Bizerte. Les Juifs peuvent enfin enlever les étoiles jaunes de leurs vêtements.

Le 30 mai 1943, en Algérie, les généraux Giraud et de Gaulle coprésident le Comité français de libération nationale.

Ce n’est que six mois plus tard, avec l’éviction de Giraud en novembre 1943, que la législation antisémite de Vichy est annulée. Le décret Crémieux est rétabli, les Juifs d’Algérie retrouvent leur nationalité française, et se voient confier des armes.

Malgré l’occupation, plusieurs musulmans tunisiens ont caché et sauvé leurs compatriotes juifs de la déportation. D’autres, s’en sont réjouis, hélas.

Le Bey de Tunis aurait payé une rançon en or pour que les juifs tunisiens ne soient pas déportés dans les camps de concentrations.

Habib Bourguiba, leader du mouvement nationaliste tunisien en exil, a refusé toute collaboration avec les forces de l’axe fasciste et nazi.

Tous les hommes juifs de plus de 16 ans ont été pris au travail obligatoire sur le port de Tunis et il y’ a eu  encore des morts, car les allemands leur interdisaient de se protéger pendant les bombardements. A Tunis les conditions des Juifs étaient bien pires qu’à Sfax ou Sousse.

Selon  Freddy Eytan, ancien ambassadeur d’Israël en Afrique du Nord, la France avait abandonnés les juifs tunisiens aux mains des Nazis, alors qu’elle continuait à se soucier, attentionnée, du sort des Français non juifs.

Le père de Freddy Eytan, Ouzy, est d’origine italienne et fut un dirigeant sioniste qui a milité pour l’émigration des juifs de Tunisie en Eretz. Lors de l’occupation nazie, il est arrêté et envoyé dans un camp de travail forcé à Bizerte. Il réussit à s’évader et poursuivit ses activités pour la cause d’Israël en militant dans la clandestinité avec le Mossad le-Aliyah Bet.

Un dernier rappel  : La Tunisie ne reconnait pas cette date anniversaire dans ses programmes scolaires  et les médias, qui se sont libérés après la révolte de 2011, mènent aussi une attitude négationniste.

Les autorités israéliennes ont tenu à reconnaître le préjudice subi par les juifs d’Afrique du Nord pendant la Seconde guerre mondiale en leur permettant de recevoir une allocation annuelle.

Le 10 février 2008, la Cour du District de Tel-Aviv a décidé que «  Les Juifs tunisiens qui vivaient sous le régime Nazi méritent le même statut que leurs homologues européens et ont droit à des dédommagements en tant que victimes des persécutions nazies».

 

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