MUSÉE DU PATRIMOINE JUIF À TUNIS - LUCETTE VALENSI : “TOUTES LES RAISONS SONT RÉUNIES POUR LA CRÉATION DE CE MUSÉE”

MUSÉE DU PATRIMOINE JUIF À TUNIS - LUCETTE VALENSI : “TOUTES LES RAISONS SONT RÉUNIES POUR LA CRÉATION DE CE MUSÉE”

Le projet d’un musée du patrimoine judaïque tunisien se concrétise. En tout cas, il est imminent. C’est la ministre du tourisme et de l’artisanat, Madame Elloumi-Rekik, de l’artisanat, qui a conçu, dès 2015, l’idée de ce musée. En 2017, déjà à Djerba, elle avait annoncé la mise en place d’un comité de pilotage qui travaillerait à l’élaboration de ce projet. C’est Lucette Valensi qu’elle a choisi pour diriger ce comité. Si Lucette Valensi a accepté ce n’est pas en raison de sa compétence – historienne renommée, elle n’est pas muséographe ! - mais parce qu’elle était convaincue de l'utilité et de la faisabilité de ce projet. Dès Juillet 2017, ce comité s’est mis au travail à Tunis. Aujourd’hui, il a une vision assez claire de ce que sera le musée. Un document préparatoire a été remis à Mme Elloumi-Rekik ainsi qu’au conseiller du Président de la République, M. Arfaoui, définissant les grandes lignes du projet que Lucette Valensi a présenté lors d’une réunion, le 22 mai, à Paris, au Musée d’art et d’histoire du judaïsme, en présence de son directeur, Paul Salmona. En voici les grandes lignes :
1. Un lieu : l’idée d’un bâtiment séparé tend à être écartée pour des raisons de sécurité, mais aussi parce que la vie juive n’était pas enclose, enclavée, mais était partie prenante de l’ensemble historique du pays. Un département, ou une galerie spécifique, dans un ensemble muséal national a donc la préférence du comité. Cette formule aurait l’avantage de réduire les frais de gestion, de mutualiser les ressources et les services. Elle aurait il est vrai le défaut de réduire l’autonomie des personnels chargés de la programmation de cette galerie ou de ce département.
2. Ce sera un musée de collections : aux ressources abondantes, déjà existantes et inventoriées, les juifs de la diaspora tunisienne apporteront grâce à l’association qui fait l’objet de la seconde partie de cette réunion : objets rituels ou non, objets de la vie quotidienne, costumes, manuscrits, imprimés en hébreu, judéo-arabe, italien, français, etc, objets archéologiques. Mme Valensi ouvre une parenthèse sur la définition des objets à caractère ethnographique qui devraient ou non figurer dans les collections. M. Salmona, Directeur du MAHJ, donnera plus tard l’exemple regrettable de la destruction récente des formes et outils d’un atelier de chapellerie, que le musée aurait dû sauver et accueillir.
3. Un musée moderne, qui aura recours à la technologie numérique (aujourd’hui, elle peut évoluer très vite) qui mettra en contexte les objets exposés, ou comblera les lacunes que présenteront les collections, pour la période médiévale notamment (suit une illustration). Le musée ne saurait être un mausolée renfermant sous vitrine des objets hors d’usage mais un musée dynamique capable d’attirer et de fidéliser son public.
4. Ce musée vivant organisera, avec d’autres institutions culturelles du pays (musées, cinémathèque, universités, etc.) ; avec des musées de France et d’ailleurs, des expositions temporaires et thématiques ; des expositions itinérantes ; des festivals de cinéma ou des soirées musicales ; des cycles de conférences ; des parcours touristiques, et autres manifestations qui sont indiquées dans le document remis à Mme la ministre.
Dans sa conclusion, Lucette Valensi a précisé quatre remarques plus générales :
1. La Tunisie a pris un tournant décisif, car au lendemain de l’Indépendance, pesait encore fortement une contrainte : se libérer du rapport de domination entre puissance coloniale et pays libéré. Fallait-il conserver ou détruire l’héritage colonial et les institutions qu’il avait créés ? Fallait-il promouvoir la culture traditionnelle ou lui tourner le dos dans un projet décidément modernisateur ? La Tunisie d'aujourd'hui est de plain-pied dans le contexte international, présente à l’UNESCO, à l’ICCROM, l’ICOM, et elle a dépassé la phase post-coloniale.
2. Au contraire de la situation qui prévalait au lendemain de l’Indépendance, quand de jeunes licenciés d’histoire se voyaient subitement chargés de diriger les musées des ATP (arts et traditions populaires) le personnel des musées est aujourd’hui professionnalisé, grâce aux formations assurées dans les universités. Une division du développement muséographique s’attache à suivre les normes internationales et scientifiques de la muséographie et de la muséologie. Une législation solide garantit, avec le Code du patrimoine promulgué en 1994, la protection des traces et vestiges de toutes les périodes de l’histoire de la Tunisie.
3. Le travail d’inventaire critique a été accompli pour ce qui concerne le patrimoine culturel des juifs de Tunisie.

Lucette Valensi a toutes les raisons de croire que les conditions juridiques, politiques, sociales, “sont réunies pour favoriser la création d’un musée du judaïsme tunisien, et que sa réalisation aura un effet bénéfique sur les citoyens tunisiens, sur les juifs de Tunisie et leurs descendants, sur les relations que les uns et les autres entretiennent. Loin de nourrir la haine et d’encourager la discorde, on peut, en toute lucidité, œuvrer à une meilleure connaissance réciproque”. 
Après son intervention, Abdelhamid Larguèche, directeur du patrimoine au Ministère tunisien de la culture a rappelé la genèse du projet, et la prise en compte, dans l’enseignement supérieur, de la présence des juifs dans tous les domaines –des métiers, du savoir, de l’art, etc. “La construction d’une culture de la diversité fait partie du projet de démocratisation du pays a-t-il dit. Un processus qui prendra du temps, et exigera de la constance devant des obstacles qui ne manqueront pas de surgir.”
Les interventions des deux vice-présidents de la nouvelle association, M. Pierre Mamou et Mme Violette Attal-Lefi, exposent le but de cette association : accompagner le projet tunisien de création du musée ; faire appel aux dons et dépôts d’artefacts, documents sonores, manuscrits, ou imprimés, etc., dès le 12 juin, au cours d’une toute prochaine réunion. M. Salmona précise les différentes formes de dons et de dépôts que peuvent choisir les donateurs. Face au public, nombreux ce jour là, la discussion qui a suivi a laisser entendre des points de vue variés et des commentaires contestables sur le texte des statuts de l’association qui ont été distribués aux présents. 
A l’ouverture de cette réunion, l'historienne a d’abord rendu hommage au sociologue , Paul Sebag, à l’historien Jacques Taïeb, au peintres Gorgi, au photographes Yvan Lumbroso, bibliographies (Robert Attal), linguistes (David Cohen) qui ont contribué, en leur temps, à la constitution du patrimoine culturel des juifs de Tunisie ou à l’histoire de ce patrimoine. Elle a rendu hommage aux vivants, romancières et romanciers, historiennes et historiens et historiens, cinéastes, collectionneurs, photographes, qui ont mis en mots, mis en scène, mis en images, la vie que les juifs de Tunisie ont partagée avec les Tunisiens musulmans, mais aussi pendant un long siècle, avec les Maltais, les Grecs, les Italiens et les Français. Hommage également à ses collègues qui, à Tunis, ont introduit dès les années 1990 un enseignement sur les minorités (juifs, mais aussi ibadites, berbères, descendants d’esclaves noirs, turcs, etc.) dans le curriculum universitaire, puis une formation sur le patrimoine et la muséologie, dans deux universités de la capitale, Tunis.
Car c’est là qu’a été posée une première borne sur la voie qui conduit au projet de création d’un musée du patrimoine culturel judéo-tunisien. Les historiens tunisiens ont en effet infléchi le grand narratif national qui retenait surtout la dimension arabe et musulmane de l’identité du pays. Ils l’ont infléchie en présentant une histoire inclusive, qui rend compte de la diversité religieuse et sociale du pays ; en rétablissant la continuité historique de ce petit pays qui fut l’Afrique berbère, romaine, byzantine, puis l'Ifriqiya, le Bilad Tunes des dynasties successives, la province lointaine de l’Empire ottoman, le Protectorat français et enfin la Tunisie indépendante. 
“Continuité, en effet, précise Lucette Valensi car les juifs ont toujours été présents dans cette longue histoire, mêlés à la vie économique, savante, esthétique et culturelle depuis l’Antiquité jusqu’au milieu du XXe siècle. De chaque période de l’histoire du pays, restent des traces matérielles et immatérielles, qui auraient dû être illustrées par Mme Afef Mbarek, auteur de l’inventaire le plus riche du patrimoine juif de Tunisie. Suit la présentation d’objets archéologiques, manuscrits, imprimés, artistiques existant en Tunisie.
La richesse, la diversité de ces traces peut d’ores et déjà être montrée dans un musée. Celui-ci, quand il verra le jour, aura trois missions :
● civique et pédagogique, pour la jeunesse tunisienne et les citoyens de Tunisie, qui sauront l’infini chatoiement du passé de leur pays ; 
● mémorielle pour les juifs de Tunisie et leurs descendants, réintégrés dans l’histoire longue du pays ;
● politique, à l’intention des citoyens tunisiens comme au reste du monde, en montrant que la Tunisie assume son passé pluriel. Elle sera de fait, avec le Maroc, le seul pays arabe doté d’un musée –ou d’un département dans un musée national- consacré à la culture juive. Mais à la différence du Maroc, il ne s’agira pas d’un musée privé mais bien d’un musée national entretenu par l’Etat tunisien.

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53 années 8 mois
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Pour la semaine algérienne organisée par la ville de Rennes du 15 au 19 juin, nous recherchons un conférencier sur l'archéologie romaine du Maghreb.

Pouvez vous nous aider ?

Fernand Nedjar.

Président de l'association de jumelage Rennes-Sétif. 

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