Mort de Brigitte Smadja : le Théâtre à L’école des loisirs, et bien plus encore

Mort de Brigitte Smadja : le Théâtre à L’école des loisirs, et bien plus encore

Brigitte Smadja, écrivaine et directrice de collection, est décédée le mercredi 15 février 2023. Elle avait 68 ans. « Nous avons l’immense tristesse de vous annoncer le décès de Brigitte Smadja. Son départ précipité laisse un vide considérable dans nos cœurs. Brigitte était une figure emblématique de la maison, autrice de nombreux romans », indique son éditeur, L'école des loisirs. par le CRILJ.

Brigitte Smadja est née à Tunis, « une sorte de paradis sur terre ». Son père tient, pendant les mois d’été, le restaurant du casino de La Goulette, sa mère est femme au foyer. Brigitte est une petite fille heureuse, espiègle un peu, bonne élève assurément. Mais son père meurt, en 1963, d’une maladie que la médecine ne sait pas soigner.

Un nouveau territoire

Liliane Smadja que plus rien ne retient en Tunisie prend l’avion pour la France avec ses trois enfants. Brigitte a huit ans. La famille habitera d’abord Sarcelles, chez une tante, puis Saint-Denis, puis dans un deux-pièces du quartier de la Goutte d’or.

« L’exil a été douleurs, certes, mais il a été aussi et surtout une chance immense pour moi. En France, j’ai eu la possibilité de faire des études supérieures, d’enseigner, d’écrire, de choisir librement mon destin. »

– Brigitte Smadja

Pour ne pas déranger, Brigitte étudie la nuit, sommairement installée dans la baignoire de la salle de bains. Elle a son bac à dix-sept ans, passe les IPES, fait sa valise un an plus tard et s’installe chez une copine. Admise à l’ENS de Fontenay–Saint-Cloud en 1974, elle est reçue à l’agrégation de lettres en 1977. Elle sera, sa vie durant, professeure en collège ou en lycée puis à l’École supérieure des arts appliqués Duperré.

Un de ses anciens élèves de l’école d’art se souvient : « Elle est à claquer quand elle s’emporte, avec ses jugements à l’emporte-pièce. Trop sûre d’elle. Mais d’autant plus captivante et impressionnante pendant ses cours. »

Sylvie Hazebrouck, désormais journaliste indépendante et metteuse en scène, ne le contredit pas : « S’il y a un prof qui m’a, qui nous a tous marqués, c’est elle. Elle nous mettait dans sa poche. Elle avait l’art de faire un boulot très sérieux tout en souriant, de mêler spontanément le quotidien avec ce qu’on était en train d’étudier. Elle incarnait ce qu’elle enseignait. On voyait qu’elle y croyait. »

Écrire des histoires

À trente ans, Brigitte Smadja commence à écrire, ressortant un grand cahier acheté longtemps auparavant. C’est Syros qui publie La triche, son premier texte, en 1987. Brigitte, hésitante un peu, signera Émilie. Depuis 1991, hormis une poignée d’exceptions chez Bayard et Syros, elle est, en jeunesse, fidèle à L’école des loisirs, maison dans laquelle elle publiera près de cinquante livres dans les collections « Mouche », Neuf » et « Medium ».

Citons Il faut sauver Saïd, en 2003 (qui reçoit le Prix Sorcière l’année suivante) et dans lequel le petit héros connaît une entrée en sixième qui pourrait lui être fatale et les séries « Maxime » (1991-2000), « Ma princesse » (1993-1998), illustrées toutes deux par Serge Bloch, et « Les Pozzis » (2009-2015), illustrée par Alan Mets. La tarte aux escargots (1995) dont le point de départ a, comme nombre de ses livres, un lien avec la biographie de l’autrice, se vendra à plus de 20.000 exemplaires et il intégrera la liste d’honneur de l’IBBY (Honour List) en 1998.

Dernier titre, en 2021, en « Médium » : Le jour où tout a failli basculer. Brigitte Smadja écrira également plusieurs romans en direction de lecteurs adultes dont Mausolée, en 2001, chez Actes-Sud, où l’autrice règle littérairement ses comptes avec une Tunisie dans laquelle il n’y a plus de place pour la nostalgie. Et puis, il y a la découverte du théâtre, en 1970, avec une représentation de Bérénice qui a bien failli ôter à Brigitte Smadja l’envie de revenir.

Samy Frey qui devait jouer Titus ayant été, parce que malade, remplacé au pied levé par le metteur en scène, un Roger Planchon qui, estima la jeune spectatrice, était trop âgé pour le rôle et un peu bedonnant. Heureusement, un ami fou de théâtre l’entraine dans les salles plusieurs fois par mois et c’est le bonheur.

Le théâtre, ou l'autre aventure

Quand, en 1992, elle publie publie Drôles de zèbres en « Mouche », Nathalie Sultan, une amie, lui demande d’adapter son texte pour la scène. Brigitte accepte. Geneviève Brisac qui trouve la pièce à son goût ne peut toutefois pas la publier puisqu’il n’y a pas de collection dédiée au théâtre à L’école des loisirs.

Changement de perspective quelques semaines plus tard : si Brigitte Smadja est d’accord pour s’en occuper, ouvrons une collection qui s’appellera simplement « Théâtre ». Elle est partante et la collection est créée. Vingt ans plus tard, sa directrice explique pour Les Cahiers du CRILJ :

« Les premières pièces parues, dont La jeune fille, le diable et le moulin d’Olivier Py, l’ont été au printemps 1995. À l’époque, dans le paysage éditorial, le théâtre jeune public était en souffrance. Aucun éditeur important ne s’y intéressait. Et l’argument était de taille. Le théâtre ne se vendait pas.

Or, professeur en collège, puis en lycée, je savais d’expérience que les moments de théâtre au sein de ma classe avaient toujours été des moments forts. Je savais aussi que j’aurais voulu travailler avec mes élèves sur d’autres textes que ceux de Molière, de Marivaux, La Fontaine, ou sur un bidouillage à partir d’un conte de Grimm, d’Andersen ou de Perrault et cela ne retire rien à l’admiration que je porte à ces auteurs, bien entendu.

Il me semblait néanmoins possible d’imaginer un espace pour une écriture dramatique contemporaine à destination du jeune public. C’est le défi que je me suis lancé. »

Le catalogue qui s’étoffe année après année — plus de cent soixante titres — accueillera notamment Catherine Anne, Liliane Atlan, Nadine Brun-Cosme, Jean-Pierre Canet, Jacques Descorde, Philippe Dorin, Eugène Durif, Philippe Gauthier, Fabrice Melquiot, Dominique Paquet, Éric Pessan, Karin Serres et Catherine Zambon dont la pièce Mon frère, ma princesse (2012) raconte l’histoire d’Alyan qui, à cinq ans, préfère porter le costume de fée de sa sœur plutôt que jouer au foot et ce n’est pas simple. Dans la collection, deux pièces seront signées Brigitte Smadja : Bleu Blanc Gris, en 1991, et Drôles de zèbres, en 1996.

Dans la première parue, l’autrice raconte la Tunisie de son enfance, l’apprentissage du deuil après la mort de son père et son intégration en France.

« La différence entre un auteur de romans et un auteur de théâtre, c’est que l’auteur de romans écrit tout seul, en silence et dans son coin des histoires qui sont faites pour être lues tout seul, en silence et dans son coin. Alors qu’un auteur de théâtre écrit tout seul, en silence et dans son coin des histoires qui sont faites pour être lues tout fort, avec d’autres et devant tout le monde. […]

Quant au propos, au sujet ou au thème, tout est possible. Ceux qui écrivent doivent savoir qu’ils s’adressent à un public de lecteurs enfants ou adolescents en même temps qu’ils ne doivent jamais céder sur ce qui distingue leur musique de celle d’un autre. Il y a de la violence chez Olivier Py comme il y en a chez Grimm. Mais ce n’est jamais le propos seul qui fait une pièce, un poème ou un roman. »

À l’annonce de la subite disparition de son amie, Anaïs Vaugelade exprime son émotion : « Il y aura sans doute des tonnes de choses à dire en souvenir de Brigitte Smadja. Moi, je veux juste raconter que pendant vingt-trois ans nous avons partagé le même mini bureau, à l’étage de L’école des loisirs, une cohabitation faite de manuscrits transférés et de post-it affectueux.

Nous tombions rarement d’accord sur nos lectures et ça n’avait pas d’importance, j’aimais son sourire en tranche de soleil, ses petits cheveux d’enfant et les bijoux brillants qu’elle mettait à ses oreilles, et cette manière orientale qu’elle avait dans toutes ses affaires, et sa voix, sa grosse voix rieuse de star des années 70, et — oulalah — rien qu’à évoquer cette voix, j’éprouve le vide de sa disparition. Nous nous écrivions des petits mails il y a dix jours encore, et voilà. C’est quand même incroyable la mort. »

Pendant plus de 20 ans j’ai tâché d’épauler Brigitte dans son rôle d’éditrice. J’ai admiré sa profonde intelligence, sa vivacité quand elle révélait et guidait les auteurs de sa collection Théâtre. Un voile d’amitié a bien vite recouvert notre relation de travail. Nous prenions toujours le temps de parler de ses élèves, de nos enfants, de nos petits-enfants.

Comment accepter la fin de cette intimité joyeuse ? Quand nous aurons séché nos larmes, nous réaliserons que l’esprit prévaut sur tout et que Brigitte continue à vivre dans toutes les œuvres qu’elle a laissées. Je vais relire tous les Pozzis.

– Hommage de Sylvie Ballul, sa collaboratrice et amie

Crédits photo © C. Crenel/ L'école des loisirs

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