Nouvelle vécue, de Viviane Scemama Lesselbaum : «Petit conte de Lag Baomer»

Nouvelle vécue, de Viviane Scemama Lesselbaum : «Petit conte de Lag Baomer»

 

Plus de pains tressés appelés communément « hallot », plus de farine, plus d’œufs, quelques gouttes d’huile, plus de légumes : carottes, pommes de terre, salades ; frigos et congélateurs étrangement vides prêts à être débranchés et redémarrer pour Pessah.

Lendemains de fêtes : réveil rebranché : sonnerie réglée à 6 heures 15. Préparation du petit déjeuner accompagné de quelques matsot égarées. France 24, Guysen aux abonnés absents. Petits éternuements du matin qui ne me font pas oublier les acariens qui me tiennent compagnie tous les soirs, et qui à l’aube, applaudissent à mon retour à la vie.

Fidèle fouineuse, licenciée-es-fripes, atteinte de la « fièvre acheteuse » aux Chiffonniers d’Emmaüs en France pendant une quarantaine d’année, établie aujourd’hui en Israël, les personnes que je rencontre s’inquiètent de ma santé : « Pourquoi es-tu voutée ? Tu es fatiguée ? Redresse-toi »! Je fais fi de ces commentaires, car jusqu’à aujourd’hui je conserve un immense respect pour tout ce qui touche les « schmattès ». Bric à brac que je sublime.

Nuls ! Jaloux, ils n’ont rien compris. Ils n’ont pas connu les joies de marcher tête baissée, ramassant une vis Parker, un fil électrique avec, en promotion, accordées, les fiches mâles et femelles, faire la différence entre une planche composée d’aggloméré ou de contre plaqué, faire les frais de location d’un « espace » pour ramener deux repose-pieds copies authentiques du style Henri II ; heureuse, enfin, de toutes ses acquisitions, comme toute brocanteuse, mendigote et si proche du « schnorrer » quand on veut expliquera ces choses en yiddish.. Ces repose-pieds remplaceront aisément ces chaises en paille tressée Ö combien inconfortables. J’ai remisé l’un d’eux, et savoure par avance la joie qu’exprimera le prophète Elie en y posant son séant à la Pâque 5774.

Toilette entreprise, je prépare mon « caddie » et file en direction du supermarché.

Notre petit jardin à peine franchi, je découvre, étalée, une magnifique planche aux dimensions que je recherchais pour installer une nouvelle étagère à la bibliothèque que je viens de confectionner. Mon « caddie »est prêt à recevoir ce précieux cadeau.

Tout à coup, un petit jeune d’une douzaine d’années m’interpelle en hébreu : «- c’est à nous, on met de côté pour Lag Baomer ! »

Comme vous pouvez l’imaginer l’enseignement de l’hébreu auquel j’au eu droit à l’époque, était dirigé par des professeurs qui s’exprimaient plus particulièrement en français, insistant parallèlement, à ce que je retienne quelques phrases utiles et expressions en hébreu.

Sûre de mon droit, je lui réplique dans sa langue maternelle: « -c’est à moi ! ». Il insiste autant que moi, puis finit par céder, s’éloigne.

Je fais demi-tour, installe avec précaution, mon trésor que je monte à la maison.

Je reprends des achats. Le garçon hors de ma vue, peu sûre de moi, tête baissée, je glisse mon regard à droite, à gauche, de crainte de le voir réapparaître…

Ce matin, la planche sciée à la bonne mesure, mes livres « favoris » y ont pris place.

L’après-midi, n’y tenant plus, sachant que le supermarché sera à nouveau achalandé en gourmandises, je me dirige directement au rayon glaces et sorbets en promotion et les installe dans mon sac de congélation.

Au retour, je salue de loin quelques connaissances ; l’une d’elles, charmante au demeurant, m’entretient longuement. Le sac des glaces commence à se sentir à l’étroit…

À hauteur du petit jardin je retrouve mon petit adolescent qui m’interpelle, me fait signe de m’arrêter. Zut ! Pensai-je, et ce n’est pas de l’hébreu. Il me reconnait. Je lui explique ce qu’il est advenu de la planche en question. Moitié anglais, moitié hébreu, lui fais comprendre que j’en ai tiré une étagère supplémentaire pour ma bibliothèque.

Attentif, ravi, il me dit : « -Kol ha cavod ! En veux-tu une autre ? » En bonne mammy, je l’aurais embrassé.

Je lui signifiai que cela me suffisait. Ma réponse, bras levés, fut : « -Barouh Hachem ! ».

J’ai pris ce soir une photo de la bibliothèque et suis descendue pou la lui montrer. En enfant raisonnable il n’était plus là. Demain après-midi, je le guetterai, l’approcherai, montrerai à ce garçon au grand cœur le devenir de cette planche qui caressera et accompagnera mes futures lectures.

Un ange est passé, je ne l’ai jamais revu.

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