Retour à Séfarad de Pierre Assouline. Entretien
« Il y a deux ans, Sa Majesté Felipe VI m’a dit : “Comme vous nous avez manqué !”. En fait, il s’adressait à l’ensemble des séfarades à travers le monde, ces descendants des Juifs expulsés d’Espagne en 1492 par le duo infernal, les rois catholiques Ferdinand d’Aragon et Isabelle de Castille.
À l’occasion d’une nouvelle loi nous accordant la citoyenneté, le roi d’Espagne nous offrait de revenir au pays.
Sur le moment, je l’avoue, j’ai un peu hésité. Cinq siècles après, tout de même… Puis j’ai pris pour moi cet appel historique. »
Que recouvre le mot Séfarad ?
Ce n’est pas un mystère, «séfarade» désigne les descendants de Juifs expulsés d’Espagne, plus précisément, pour les Français, les Juifs d’Afrique du Nord. Mais c’est avant tout un lieu. Dans l’Ancien Testament, Séfarad est une contrée lointaine qui servira de refuge aux Juifs. Les commentateurs hébraïques ont ensuite assimilé ce lieu à l’actuelle Espagne, alors qu’il se situait probablement du côté de l’Irak.
Plus on avance dans le livre, plus Séfarad devient flou. Serait-ce un mirage ?
Après l’expulsion, les séfarades sont partis les uns vers le Maroc, puis l’Algérie, la Tunisie, les autres se sont dirigés vers l’Empire ottoman.
Au fil du temps, le terme «séfarade» s’est galvaudé : est séfarade celui qui n’est pas ashkénaze, donc d’Europe centrale. Pourtant les séfarades sont présents en Bulgarie, en Bosnie…
Ce qui définit encore aujourd’hui les séfarades ? Les noms et les prénoms, souvent à consonance hispanique, certains particularismes dans la prière, et le plus important, la pratique du vieux castillan, l’espagnol du xve siècle. Un attachement qui a toujours ébloui les Espagnols.
Le deuxième mot important du titre, c’est «retour»…
Le discours du roi Juan Carlos a tout déclenché. Quand j’ai découvert qu’une loi prévoyait d’attribuer la nationalité espagnole aux séfarades, j’ai décidé, par fantaisie romanesque et pour des raisons symboliques, de faire la démarche et de la raconter.
Si les Juifs ont été expulsés, les convertis se sont mêlés aux catholiques au point de créer des généalogies indémêlables…
Surtout chez les nobles et chez les aristocrates, mais pas seulement. Les Espagnols disent n’avoir pas vus de Juifs depuis cinq siècles, alors qu’un nombre hallucinant d’entre eux est d’origine juive.
Derrière un ton léger perce une certaine gravité…
Je me suis beaucoup amusé en écrivant ce livre, mais son vrai sujet, ce ne sont ni les séfarades, ni l’Espagne. C’est une réflexion sur l’identité. Je suis français, né au Maroc avec une double filiation séfarade et judéo-berbère, et très européen. Je supporte mal que toute revendication d’identité soit aujourd’hui rejetée comme meurtrière et nationaliste par essence, bloquant tout débat. L’identité, ce n’est pas là où on habite, c’est ce qu’on a à l’intérieur. Sauf sur un point : en tant qu’écrivain, ma vraie patrie, c’est ma langue. Je ne suis pas esclave de ma langue, mais je l’habite. Jamais je n’écrirai dans une autre langue que le français.
Au fond, ce retour a-t-il un sens ?
C’est symbolique, pour moi comme pour les Espagnols. Quel chemin de croix pour obtenir ce passeport que je n’ai pas encore, mais le roi a bien fait de créer cette ouverture. Pour moi, ça a été une aventure formidable, éclairée par la lecture du Quichotte, qui traverse le livre et qui est mon livre de chevet depuis longtemps.
Entretien réalisé avec Pierre Assouline à l'occasion de la parution de Retour à Séfarad.