Lectures de Jean-Pierre Allali - Cinq ans. Savoir étudier le Commentaire de Rachi sur la Torah, par Daniel Toledano
Comme on le sait, il existe quatre niveaux d’interprétation du texte biblique : le pchat, le remez, le drach et le sod. Quatre mots dont les initiales forment miraculeusement le vocable PARDES, le paradis.
Le pchat, c’est le sens immédiat, le degré zéro en somme de la lecture. Le remez, c’est l’interprétation allusive. Le drach se veut symbolique. Quant au sod, il renvoie, comme son nom l’indique, au secret.
Dans son étude sur Rachi, Daniel Toledano nous explique, pour commencer, que le célèbre commentateur de Troyes avait une nette préférence pour le pchat. La seule lecture capable d’être comprise par un enfant de cinq. Pas de finasseries, le texte, rien que le texte. Pour le Rabbi de Loubavitch, nous rapporte Daniel Toledano, « Un enfant de cinq ans peut expliquer ces choses à un vieillard à la barbe blanche, du fait que celui-ci n’est pas tellement enclin à étudier selon le vrai sens littéral …mais plutôt d’après le Drach, le Remez ou le Sod ». Cela dit, à la lecture de ce livre intéressant mais particulièrement ardu, on ne peut s’empêcher de penser que même le pchat est probablement inaccessible à un enfant de cet âge. Du moins à notre époque. Peut-être, les jeunes, du temps de Rachi, étaient-ils plus doués !
Daniel Toledano, qui se réfère très souvent au Rabbi de Loubavitch et à ses écrits, considère que « La vocation profonde du Commentaire de Rachi est de rejoindre le projet messianique qui tout comme lui représente la révélation la plus grande au niveau le plus bas. Ainsi les plus hauts secrets investissent-ils le niveau le plus élémentaire de l’Étude, le Pchat du Pchat, représenté par l’Enfant de 5 ans. En ce sens, incarner l’Enfant de 5 ans, c’est œuvrer ardemment pour préparer et hâter le monde à la venue du Machia’h. ». En d’autres termes : « L’enfant de 5 ans avec son regard nouveau, est un avant-goût de Machia’h ».. Ou encore : « Avec son souffle nouveau, l’Enfant de 5 ans assure en quelque sorte l’oxygénation à la fois de la Connaissance, du Juif et de l’Univers »
La partie centrale de cet ouvrage érudit est constituée de commentaires sur les 54 péricopes, sections hebdomadaires du texte biblique, les « parachiote », de « Berechit » ( La satisfaction du Créateur » à « (Vezot) Haberakha » (Une vision prophétique). L’auteur pose à chaque fois une question à laquelle on n’aura pas nécessairement pensé et apporte sa propre réponse.
Ainsi, à propos de « Toledot » (Le silence de D.ieu) : « Pourquoi D.ieu n’intervient-Il pas quand Yits’hak a voulu bénir ‘Essav, de sorte que Rivka et Ya’acov sont obligés d’agir pour contrarier son projet ? ». Réponse : « D.ieu exclut tout acte de médisance consistant à révéler à Yits’hak que son fils ‘Essav est un impie ».
Ou encore, sur « A’hare (Mot) (La maladie d’Aharon) : « De quel mal Aharon souffre-t-il pour que Rachi évoque dans son allégorie un patient malade et non une personne saine ? ». Réponse : À la manière de Nadav et Avihou, Aharon est littéralement malade d’amour pour D.ieu ». Pas mal trouvé !
En fin d’ouvrage, Daniel Toledano nos propose un étonnant rapprochement entre l’acronyme Rachi et la ville de Lunel. Cette ville, surnommée « La petite Jérusalem médiévale aux 12ème et 13ème siècles, a abrité en son sein une grand communauté juive dont plusieurs grands maîtres comme Rabbi Chémouel Ibn Taboun et le Ba’al Hamaor. Or Lunel, nous dit Toledano, doit son nom à la lune, en hébreu « yaréah ». Et Rachi se réfère à Rabbi Chélomo Yarhi, c’est-à-dire Rabbi Chélomo le Lunellois. Il fallait y penser !
Acronymes, acrostiches, zestes de guématria... Daniel Toledano semble prendre un plaisir à jongler avec les textes de la tradition hébraïque.
Une petite remarque sur le travail de Daniel Toledano : c’est la première fois que je lis un ouvrage où le corpus des notes dépasse, en volume, celui du texte proprement dit. Peut-être eut-il fallu intégrer une partie de ces notes, certes très éclairantes, dans le sujet lui-même.
Reste un ouvrage, certes, je le redis, d’une lecture ardue, mais très intéressant.
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions du Merkos L’Inyonei Chinuch. New York-Paris. 2ème édition. 2019. 274 pages.