Dernier hommage à Jeanne Chiche par Hichem Skik.
Jeanne! Ya Jeanne! Petite sœur !
Je me sens douloureusement écartelé entre la souffrance de te parler désormais au passé- toi, si vive, si présente!- et le besoin de te dire Adieu, un dernier adieu, moi qui espérais te dire bientôt " Bienvenue chez toi!", après les nouvelles rassurantes que tu m'as données il y a peu sur la guérison de la blessure que tu t'étais faite à la jambe ici, à Khereddine !
...Ça se déroule dans mon esprit comme un film en accéléré...
C'était hier...Mais maintenant, je me rends à l'évidence: il y a bien bien longtemps...bien longtemps que nous nous sommes rencontrés.
Je réalise que nous devrions fêter cette année la...60e année de notre amitié ! Autant dire pratiquement toute notre vie!
C'est, en effet, en 1964 que nous nous sommes rencontrés :
- à la Sorbonne, où tu terminais tes études de géographie et moi celles de français
-mais aussi, et en même temps, dans les rangs du Parti communiste tunisien, où nous militions dans la même cellule étudiante.
Et depuis...
Que de luttes nous avons menées ensemble au sein de l'UGET pour enfin conquérir la Corpo des lettres aux dépens des Destouriens, qui commençaient à perdre du terrain en France. Nous avions été élus au Bureau de la Corpo, dont j'ai été Secrétaire général !
Que de luttes menées ensemble aussi au sein du PCT, que de tracts, de numéros de nos journaux clandestins, Espoir et Attariq distribués !
Mais aussi, combien d'agréables moments dans la maison de tes parents au bord de la mer à La Goulette, où tes si gentils parents nous accueillaient avec une hospitalité sans limites!
Plus tard, lorsque le Maroc et toi vous êtes mutuellement adoptés , nos contacts se sont espacés, mais ne se sont jamais rompus. On se voyait lorsque tu venais en vacances retrouver ta Tunisie, tes racines, ton cocon.
J'ai dit " vacances" mais je ne suis pas sûr que ce mot s'applique réellement à ton mode de vie, car il y a toujours une conférence, un colloque...importants à Tunis et tu dois impérativement y assister.
Il y a, comme l'année dernière, un séminaire de réflexion- formation avec les forestiers de Siliana , et tu dois absolument l'animer, pendant plusieurs jours...
Car tu étais, au Maroc comme en Tunisie, passée de la cartographie et de la géographie à la géographie humaine et à la sociologie, voire à l'anthropologie.
Dans ton immense curiosité scientifique et ta passion de la recherche de terrain, tu avais toujours une recherche à achever, une autre que tu viens de débuter, et plusieurs autres en projet! Ainsi, tout en aidant les forestiers de Siliana à analyser et à résoudre les problèmes fonciers liés au territoire, tu testais sur moi- et certainement sur d'autres de tes amis- la problelatique et le questionnaire sur les modes de transmission de la propriété foncière par héritage. Donc, parler de vacances, dans ton cas ⁸n'est pas tout à fait approprié. C'est pour cela que je te disais parfois- sans trop croire que tu m'entendrais- " Ya Jeanne! repose- toi un peu! Reste un jour sans rien faire!"
Toi seule, avec ma famille, savez combien je me suis réjoui de venir, il y a près d'un an, habiter juste en face de votre maison de Khereddine!
Combien j'ai adoré qu 'on se voie presque tous les jours quand tu es en Tunisie! qu'on se fasse des petits coucous matinaux, toi de ton jardin, moi de ma fenêtre! Combien nous aimions échanger... tout et n"importe quoi: nouvelles politiques, sociales, littéraires.. en Tunisie et dans le monde( ces derniers temps: les horreurs subies par les Palesiniens, à Gaza et ailleurs), derniers cancans de la ville, état de ta collection de coquillages, dégustation d'une douceur marocaine ou de notre couscous familial du
dimanche...
Tout ça, il faudrait se résoudre à considérer que c'est fini?!
Jeanne! Ya Jeanne!
Pour moi, Jeanne tu as été, avec tes petits défauts...
et Jeanne tu resteras, avec tes immenses qualités, ton grand cœur, ton amour des autres!
Tu le sais certainement, mais j'aime à te le redire aujourd'hui de tout mon cœur :
nous sommes nombreux, très nombreux à t'aimer, et nous savons que le mot "amitié " compte énormément pour toi.
Adieu, Jeanne! Ya Jeanne! Petite sœur !
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