L’antisémitisme musulman : Causes, Conséquences et Remèdes

L’antisémitisme musulman : Causes, Conséquences et Remèdes

 

Alors que l’islam est devenu le principal carburant de l’antisémitisme, rares sont ceux qui instruisent son procès.

Par Ferghane Azihari

Citoyens déloyaux, peuple déicide, usuriers sans scrupule, communautaristes, excessivement assimilés… De l'Empire romain au socialisme en passant par l'ère chrétienne et la construction des États-nations, le rejet des juifs a été motivé par des raisons multiples et contradictoires . Mais voilà que le vieil antisémitisme est, quatre-vingts ans après la Shoah, éclipsé pour se réincarner sous les traits d'une superstition que peu osent désigner : l'islam.

À la question posée par Sonia Mabrouk à Yaël Braun-Pivet de savoir quel est le principal carburant de l'antisémitisme aujourd'hui, la présidente de l'Assemblée nationale feint son ignorance sur un ton apeuré. Confronté à la même interrogation, le ministre de l'Intérieur se veut plus précis : l'extrême gauche, l'extrême droite et un islam « radical » et contraire à ses valeurs. D'aucuns pensaient pourtant que la radicalité consistait à revenir à la racine des choses…

Invité sur France Inter, le sociologue Pierre Rosanvallon, qui occupait jusqu'à peu une chaire au Collège de France, alerte non contre l'extrême sensibilité des populations immigrées à l'antisémitisme mais contre le discours qui soulignerait ce phénomène bien documenté. Les clercs officiels érigent l'ignorance en vertu, dès lors que le réel dérange. Toujours sur France Inter, le comique Waly Dia ironise courageusement sur un pays qui prétend lutter contre l'antisémitisme en rééditant les pamphlets de Céline en les assortissant de critiques. Comme si Bagatelles pour un massacre constituait le livre de chevet de Merah, de Coulibaly, ou des assassins de Mireille Knoll et de Sarah Halimi .

Le recteur de la grande mosquée de Paris, quant à lui, s'insurge dans Le Monde contre l'association entre islam et antisémitisme et s'étonne que la mauvaise foi dont il fait preuve l'expose à l'accusation d'insincérité par les spécialistes de l'entrisme frériste, comme l'anthropologue Florence Bergeaud-Blackler. La Sainte-Alliance du déni qui sévit dans les milieux politiques, médiatiques, académiques et confessionnels communie dans la religion de Rousseau et son célèbre commandement : « Écartons tous les faits, car ils ne touchent point à la question. »

Des préjugés antisémites chez les musulmans
Car les faits sont têtus. En 2015, le chercheur allemand Günther Jikeli révélait que les musulmans étaient surreprésentés parmi les auteurs d'actes antisémites. Cette disproportion ne concernait pas seulement la France : « Les attaques physiques contre des juifs et la profanation et la destruction de synagogues ont été, pendant la période étudiée, principalement le fait de jeunes musulmans, le plus souvent d'origine arabe », concluait déjà en 2003 un rapport commandité par une agence de l'Union européenne.

À cela s'ajoutent les préjugés antisémites, auxquels les musulmans européens sont beaucoup plus sensibles que leurs concitoyens non musulmans : « En 2006, 47 % des musulmans de Grande-Bretagne, contre 7 % de la population totale, disaient avoir une opinion « négative » des juifs. En France, cette opinion concernait 28 % des musulmans et 13 % de la population totale ; en Allemagne, 44 % des musulmans et 22 % de la population. En France, 7,1 % des chrétiens et 43,4 % des musulmans déclaraient qu'on ne pouvait pas faire confiance aux juifs, contre respectivement 10,5 % et 28 % chez les chrétiens et musulmans en Allemagne, et 7 % et 56,7 % chez les chrétiens et musulmans en Belgique », poursuit Jikeli en s'appuyant sur le Pew Research Center.

Sans surprise, l'adhésion aux préjugés antisémites est bien plus forte dans le monde islamique, dont sont originaires la plupart des Européens de confession musulmane. Une étude de l'Anti-Defamation League révèle qu'entre 56 % (Iran) et 93 % (Cisjordanie et Gaza) des personnes sondées approuvaient au moins six des onze énoncés antisémites sur lesquels on les avait interrogées. La moyenne dans les pays du Proche-Orient et en Afrique du Nord était de 74 %.

Cette ultrasensibilité aux préjugés antijuifs dans le monde musulman se traduit par des prises de parole officielles délirantes et des faits sociaux extraordinaires. Il n'est pas rare que d'éminentes personnalités fassent l'apologie de Hitler dans le monde arabo-musulman, comme Sadate en 1953.
Récemment, le président des Comores a appelé à la décimation des Juifs. Son propos a mis deux semaines pour faire scandale. Comme le fait remarquer le politologue Pierre-André Taguieff, les classiques de la littérature antisémite européenne – comme le Protocole des Sages de Sion ou Mein Kampf – ont été réappropriés par le monde arabo-musulman avec succès au point d'y figurer parmi les best-sellers.

L'antisémitisme dans la pseudo-théologie musulmane
L'extraordinaire réceptivité des musulmans aux préjugés antisémites n'empêche pas le déni de sévir chez les « responsables » de cette communauté, qui arguent que la judéophobie est étrangère au credo islamique. Face au rabbin Haïm Korsia, le recteur de la grande mosquée de Paris, Chems-eddine Hafiz s'est permis une pseudo-leçon de théologie en prétextant que le Coran mentionne les prophètes israélites pour laver l'islam du soupçon qui pèse sur lui. Mais cet argument brandi pour impressionner le profane ment par omission.

Les historiens considèrent la présence de traditions juives et chrétiennes dans le Coran comme un indice révélateur du contexte dans lequel il a été formé. L'islam est, en effet, une superstition qui naît dans les environs de la Péninsule arabique dans l'Antiquité tardive, au carrefour de nombreuses traditions, parmi lesquelles figurent diverses chapelles juives et chrétiennes. Les deux grandes puissances de l'époque que sont l'Empire romain d'Orient et la Perse – que l'Islam finira par engloutir – hébergent d'importantes communautés israélites et chrétiennes.

Plutôt que d'arriver avec un message révolutionnaire – ce qui aurait affaibli les chances de succès de la nouvelle prédication –, les inventeurs de l'islam ont préféré plagier les hérésies et les traditions qui circulaient dans leur environnement, en prétendant en être les véritables dépositaires. Aussi, la mention de traditions juives et chrétiennes dans le Coran a moins une finalité œcuménique qu'un objectif impérialiste. Il s'agit de les mentionner pour mieux les dépasser. Car, loin de se présenter comme « le dernier monothéisme » comme l'Occident a l'habitude de le faire, l'islam se veut la restauration d'un message qui a été défiguré par les juifs et les chrétiens. Dans la plus ancienne hagiographie de Mahomet qui nous est parvenue – dont la fiabilité historique est faible – ce dernier déclare aux Juifs : « Convertissez-vous : vous savez maintenant que je suis un prophète envoyé de Dieu. Cela est écrit dans votre Livre. » Le procès d'intention est au cœur de la pseudo-théologie musulmane.

C'est ainsi que ce peuple de falsificateurs qui dénie encore aujourd'hui la prophétie de Mahomet est dépeint sous les traits les plus désagréables dans les sources coraniques. Le Juif est maudit, injuste, perfide. Et parmi les nombreux faits d'armes légendaires fièrement attribués à Mahomet par les traditions islamiques figurent aussi bien l'assassinat de juifs que le commandement d'en torturer.

L'antisémitisme musulman n'est pas tombé du ciel
Nul besoin de se tourner vers le ciel pour comprendre les racines de l'antisémitisme musulman. Né dans un monde chrétien et gréco-romain, l'islam a recyclé les traditions antisémites de l'époque antique. Les historiens décèlent d'ailleurs de nombreuses similitudes entre le droit musulman et le droit romain appliqué aux juifs.

En effet, sous l'Empire byzantin, « les Juifs ont vu leurs droits progressivement restreints, en particulier par Justinien, et tout en gardant une relative liberté de culte, ils sont devenus des citoyens de seconde zone : interdiction de construire de nouvelles synagogues, exclusion de la fonction publique, valeur moindre du témoignage en justice, encouragement des conversions au christianisme, interdiction de l'apostasie en sens inverse, etc. : tout cela évoque bien des points du futur statut des dhimmi en terre d'islam », soulignent les orientalistes Muriel Débié et Vincent Déroche.
Si la condition des juifs en terre d'islam a été plus enviable que leurs homologues en terre chrétienne dans les temps prémodernes, il n'en demeure pas moins que les juifs n'ont jamais été les égaux des musulmans. « Inhérente au système, institutionnalisée dans le droit et la pratique, la discrimination représentera une donnée permanente et nécessaire de la société musulmane », écrivait l'orientaliste Bernard Lewis.

Mais à la différence de l'Histoire de l'Europe où l'amélioration de la condition juive au XIXe siècle – sous l'influence des Lumières et du libéralisme – fut un processus interne, l'amélioration de la condition juive en terre d'islam fut le fait de la pression impériale européenne. De plus en plus émancipé en Europe – au point de susciter la jalousie de ses concitoyens –, le juif reste, en Orient, enfermé dans un statut subalterne, jusqu'à ce que la pénétration occidentale s'accentue.

En visite au Maroc à la fin du XIXe siècle, l'écrivain Pierre Loti, peu suspect d'islamophobie, relate la condition du quartier juif de Fès : « On sent qu'on vit dans cet antre en crainte perpétuelle des voisins, arabes ou berbères. Et, devant leur entrée de ville, est le dépôt général des bêtes mortes (une galanterie qu'on leur fait) : pour arriver chez eux, il faut passer entre des tas de chevaux morts, de chiens morts, de carcasses quelconques, qui pourrissent au soleil, répandant une odeur sans nom ; ils n'ont pas le droit de les enlever. »

Quand le colonisé s'émancipe
L'émancipation des juifs est très mal vécue dans le monde arabo-musulman. Elle est essentiellement perçue comme un processus extérieur et contraire aux valeurs traditionnelles. Celles-ci prescrivent aux musulmans de regarder le juif comme un être inférieur, mais jamais comme leur égal. La création d'Israël en 1948 parachève cette humiliation. Le peuple de falsificateurs conforte une présence souveraine sur une terre censée être islamique.

Comble de l'offense, cette « entité sioniste » bâtit en 70 ans une prospérité que le monde musulman a été incapable d'offrir à ses résidents en 1 400 ans. Une prospérité qui ne profite pas qu'aux juifs : il y a en effet plus d'Arabes et de musulmans qui prospèrent dans le petit État hébreu qu'il n'y a de juifs dans le vaste monde que l'islam a forgé depuis les conquêtes du VIIe siècle. De fait, les Arabes qui bénéficient du niveau de vie le plus élevé au Proche-Orient résident en Israël.

Le nombre de juifs vivant dans les pays arabes est, quant à lui, passé d'environ 800 000 à moins de 8 000 depuis 1945 sous l'effet des départs volontaires, mais aussi des persécutions et des expulsions.
Ce « grand déracinement » – pour reprendre le titre de l'ouvrage de l'historien Georges Bensoussan – va paradoxalement conforter les effectifs et la raison d'être de l'État hébreu.

Juifs et Arabes peuvent-ils triompher de la haine ? L'histoire abonde en exemples de peuples qui ont su bâtir une amitié après avoir guerroyé pendant des siècles. Mais encore faut-il se libérer des préjugés qui alimentent l'animosité, et prendre conscience que ces derniers découlent d'une superstition et d'une imposture qui n'a que trop duré.

 

* Ferghane Azihari est essayiste, auteur des « Écologistes contre la modernité – Le Procès de Prométhée » (Presses de la Cité). Il est également membre de la Société d'économie politique et délégué général de l'Académie libre des sciences humaines.

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