Le péril de l’ignorance, par Emilie Moatti

Le péril de l’ignorance, par Emilie Moatti

 

Alors que 101 otages sont encore, un an après le 7 Octobre, détenus par le Hamas, Emilie Moatti, figure centrale du Forum des otages de Tel-Aviv, propose des moyens de faire face à l’antisémitisme.

Au bout du compte, une seule question demeure : Israël est-il un État comme les autres, ou bien est-il né de parents différents des autres dans cette famille que forment les autres nations et éveille-t-il ainsi à la fois l’admiration et le rejet ? Si je devais choisir (aussi bien en tant que citoyenne que femme politique), j’adorerais être un membre normal de cette famille, sans les bravos et sans les quolibets.

Il est clair que l’antisémitisme existe. C’est un fait. Il a toujours existé et continuera probablement à exister jusqu’à la fin des temps. Et maintenant, nous avons aussi un antisémitisme à l’ancienne paré d’oripeaux intellectuels. Mais ce n’est pas le vrai antisémitisme, ce n’est qu’un artifice intellectuel.

Comme toutes les formes de racisme, l’antisémitisme résulte de l’ignorance, et il n’y a qu’un seul moyen de lutter contre l’ignorance – l’enseignement et la dénonciation. Malheureusement, le passage d’« Internet Explorer » aux réseaux sociaux a fait tout le contraire. L’enseignement a été remplacé par l’Opinion publique et cela a abouti à l’apparition d’une étroite chambre d’écho qui enferme chaque individu dans le fanatisme. C’est très triste, mais il est possible de changer les choses. Cela dépend de la volonté des dirigeants de ce monde, et c’est là qu’en tant que citoyens vous entrez en jeu. J’espère que nous sommes d’accord pour dire que l’antisémitisme n’est pas un point de vue, c’est un délit, un crime. Et puisque nous sommes en France, c’est une remise en cause directe de toutes les valeurs qui sont à l’origine de ce beau pays. Je tiens absolument à dire que j’appartiens à ceux qui pensent que les choses peuvent changer. Je pense qu’il peut y avoir une fin au conflit israélo-palestinien si nous parvenons à avoir des leaders qui parlent d’espoir et non de peur. Et cela des deux côtés. Et si nous devons parler de l’autre côté, le camp politique auquel j’appartiens n’a jamais considéré le Hamas comme un partenaire. Cela, les Israéliens le savent, mais il est ici nécessaire de le dire très clairement. Le pire que nous pourrions faire est de léguer ce conflit à la génération suivante. Je crois qu’être pro-israélien signifie que l’on est pour une solution à deux États, même s’il vous est difficile d’imaginer la chose à ce moment de l’histoire.

Encore deux questions avant de conclure.

L’une concerne une chose qui m’a toujours paru normale, mais j’ai récemment compris combien elle ne l’était vraiment pas. En tant que Juifs, nous connaissons bien cette routine qui nous pousse à faire disparaître tous les signes de notre judéité afin d’éviter les conséquences désagréables qui pourraient en découler. Cela m’était devenu tellement naturel que jusque-là je n’y pensais même pas : quand vous êtes dans un pays étranger, vous ne parlez pas hébreu dans la rue, et vous ne portez pas d’étoile de David autour du cou. Mais avez-vous déjà vu un Italien ou un Grec dissimuler son identité ? Alors pourquoi cela nous semble-t-il naturel, et pourquoi acceptons-nous le fait qu’être juif est dangereux ?

Je dois vous avouer qu’il y a en moi quelque chose de changé depuis la catastrophe d’octobre. Si je me sentais auparavant plus proche des socialistes partout dans le monde, et en particulier des femmes qui appartiennent à mon camp politique, j’ai découvert des communautés juives partout dans le monde et en particulier ici, en France. Et j’ai trouvé dans ce pays une famille, et plus on l’analyse, plus on voit à quel point cette famille est universelle, et à quel point elle est forte, bienveillante et tolérante. C’est la famille que j’ai toujours recherchée, alors je vous en remercie, vous êtes une lumière qui brille au cœur de cette tragédie qui s’est abattue sur nous, et en ce qui me concerne, je ne l’oublierai jamais.

Traduit de l’anglais par Lazare Bitoun.

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