Témoignage du Pr Albert Moatti: Sousse sous l’occupation nazie

Témoignage du Pr Albert Moatti: Sousse sous l’occupation nazie

8 novembre 1942 : arrivée en Tunisie des premiers contingents allemands. 12 avril 1943 : libération de Sousse.

Sousse, la perle du Sahel, était alors un port important spécialisé dans l’exportation d’huile d’olive, de phosphate et d’alfa. On estimait généralement sa population à 40.000 habitants, dont 3.000 juifs environ. La composition sociologique de cette Communauté se présentait approximativement comme suit : sept médecins, huit avocats, un pharmacien, quatre ou cinq enseignants, une dizaine d’industriels, quelques importateurs et exportateurs, une soixantaine de commerçants, une foule de personnes aux revenus plus ou moins modestes (employés, ouvriers, artisans, etc..), mais guère plus d’une quarantaine de familles très pauvres et assistées.

Dès leur arrivée, les Allemands ont exigé le port de l’étoile jaune. Il convient de signaler qu’à Tunis le bey (Moncef Bey) a eu le mérite et le courage de refuser l’application de cette mesure : ainsi, les juifs tunisois n’ont pas porté l’étoile jaune, sauf quand ils étaient au travail obligatoire. Mais à Sousse, contrairement à ce qu’affirme Jacques Sabille dans son ouvrage intitulé Les Juifs de Tunisie sous Vichy et sous l’occupation allemande, nous avons bel et bien été obligés de porter ce chiffon dès le mois de novembre 1942.

Dès que les premiers bateaux allemands ont accosté au port, les raids alliés ont commencé. Le dimanche 22 novembre, vers 11 heures du matin, un terrible bombardement détruisait la petite rue du Caire, faisant de nombreuses victimes. Alors a commencé peu à peu l’évacuation de la ville ; et l’on peut considérer qu’à partir de Noël 1942 il ne restait presque plus personne à Sousse. Les Juifs, comme tous les autres Soussiens, se sont réfugiés dans les villages voisins : Hammam Sousse, Akouda, Kalaa Kébira, Kalaa Sghira, au Nord : Sahline, Sidi Ameur, Msaken, Monastir, Djemmal, Moknine, au Sud. Ma famille et moi-même avons choisi Djemmal.

[Dans le paragraphe suivant, Albert Moatti donne le détail des impositions pratiquées par les Allemands à l’égard de la Communauté juive : une première amende d’un montant de 15 millions de francs et, peu avant leur départ en avril 1943, une deuxième amende de 10 millions de francs ainsi que la rafle de l’équivalent de 150.000 francs en bijoux.]

Il me reste à parler du travail obligatoire. Tous les hommes de 18 à 50 ans y étaient astreints.

Djemmal comptait une soixantaine de travailleurs, qui devaient se présenter seulement une semaine sur deux. Pour ma part, j’ai toujours fait partie de l’équipe dirigée par mon cousin Marcel Setbon : un beau garçon d’un mètre quatre-vingt, portant un vaste burnous et chaussé de bottes toujours impeccablement cirées. Quand il s’adressait aux Allemands, il le faisait avec tellement d’autorité qu’il avait l’air d’être le SS, et eux les pauvres petits juifs. Sous les pires bombardements, il restait debout impavide, pour prouver aux seigneurs nazis qu’un juif pouvait être plus courageux qu’eux.

A part les travailleurs désignés pour la gare, qui devaient charger et décharger des wagons sous l’étroite surveillance de leurs geôliers, tous les autres étaient affectés à des travaux de terrassement, consistant à boucher des cratères causés par les bombes avec des gravats pris sur les décombres les plus proches.

La surveillance des travailleurs était en grande partie assurée par les SOL (Service d’ordre légionnaire) que dirigeait un certain Lobak, un ancien légionnaire allemand naturalisé français. Je dois dire que notre équipe de Djemmal a rarement eu affaire à eux. Une seule fois, j’ai eu la surprise de voir arriver une patrouille de quatre SOL dirigée par un ancien camarade de classe. Quand il m’a aperçu, il a baissé les yeux et a rapidement mis fin à la visite.

[A la fin de son témoignage, Albert Moatti rend hommage à quelques personnalités non juives qui avaient apporté leur soutien moral aux responsables de la Communauté juive et les avaient aidés toutes les fois qu’ils l’ont pu. Il s’agit de deux ingénieurs de travaux publics, du commissaire principal, du caïd Romdhane et du maire de Sousse Me Zévaco.]

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