Voyage imaginaire dans la tête de Donald Trump

Dans sa chronique hebdomadaire, l’éditorialiste Sylvie Kauffmann imagine le bilan que le président américain pourrait tirer de sa première tournée à l’étranger.

LE MONDE | Par Sylvie Kauffmann

 

Samedi 27 mai. A l’issue d’un périple de neuf jours – sa première tournée à l’étranger –, le président Donald Trump est enfin sur le chemin du retour. A bord d’Air Force One, la First Lady, Melania Trump, à ses côtés, il fait mentalement le bilan de ce voyage mouvementé qui l’a mené de Riyad à la Sicile en passant par Israël, le Vatican et Bruxelles. Chronique imaginaire.

CHRONIQUE. Quels ingrats, ces Européens… Je leur amène le roi Salman sur un plateau – OK, apparemment je me suis trompé à Ryad, son nom c’est bien Salman, pas Salomon –, j’ouvre la voie à la paix au Proche-Orient, et pas un ne me dit merci. SAD ! VERY SAD.

« FAIRE FINANCER LA LIBÉRATION DES FEMMES PAR LES SAOUDIENS, SI ÇA CE N’EST PAS L’ART DU DEAL ! »

C’était pourtant pas gagné. Moi qui déteste voyager, je choisis l’Arabie saoudite comme première destination. Barack Obama faisait la fine bouche sur les Saoudiens, les droits de l’homme, le traitement des femmes, des homosexuels : cela ne l’a mené à rien. En huit ans, pas l’ombre d’un résultat. Son accord sur le programme nucléaire iranien n’a même pas amadoué les ayatollahs.

Moi, je fonce et je vais droit au but : l’Iran, c’est le mal. Les Saoudiens, c’est nos amis. Ils m’ont promis de ne plus financer les terroristes. Si, si. Au moins maintenant, au Moyen-Orient, les choses sont claires. D’un côté, il y a les Américains, les Israéliens et les Arabes sunnites. De l’autre, les Iraniens, leur petit protégé de Damas et les Russes. Enfin, on va pouvoir commencer à négocier.

Si tout se passe comme prévu, l’industrie américaine de la défense empochera au passage 110 milliards de dollars (98 milliards d’euros) de contrats. America First ! OK, il a fallu se taper la danse du sabre. Melania, tu les as vus danser, Rex (Tillerson, le secrétaire d’Etat) et Wilbur (Ross, le secrétaire au commerce) ? Encore heureux que les femmes n’ont pas le droit de danser, il aurait fallu t’y mettre aussi !

N’empêche, ils ont quand même promis 100 millions de dollars à la fondation d’Ivanka pour la promotion des femmes. Faire financer la libération des femmes par les Saoudiens, si ça, ce n’est pas l’art du deal ! Hillary va adorer !

« Là, je crois que j’ai fait un sans-faute »

Jolie ville, Ryad. Beaux buildings. TREMENDOUS. Eux au moins, ils ont le sens de la construction. Il devrait bien y avoir moyen d’y ouvrir un golf, il faudra que j’en parle à Jared (Kushner, beau-fils et conseiller du président).

Jérusalem, c’est un autre genre. Bibi (Nétanyahou) a eu l’air étonné quand je lui ai dit qu’on arrivait du Moyen-Orient… Apparemment, ils se considèrent aussi comme au Moyen-Orient. Etrange. Là, je crois que j’ai fait un sans-faute. Jusqu’au mémorial de Yad Vashem, où on m’a demandé de signer le livre du souvenir. A court d’inspiration, j’ai écrit : « SO AMAZING & WILL NEVER FORGET ! » (« Tellement formidable, n’oublierai jamais ! »). Evidemment il a fallu que des petits malins retrouvent l’interminable note pseudo-philosophique laissée par Obama en 2008 et postent les deux sur Twitter… FAKE !

« UN POLONAIS CORIACE QUI S’APPELLE AUSSI DONALD (TUSK) M’A FAIT LA LEÇON SUR “LES VALEURS, LES PRINCIPES QUI DOIVENT GUIDER NOTRE ACTION PLUTÔT QUE LES INTÉRÊTS” : JE NE SAIS PAS DE QUOI IL PARLAIT. » 

En Europe, clairement, l’accueil a été moins chaleureux. Ils sont obsédés par le climat, même le pape écrit là-dessus. J’avais pourtant mangé mon chapeau, et pas qu’un, de quoi coiffer un régiment. J’ai juré que l’OTAN n’était pas obsolète, j’ai cessé de dire que le Brexit était « merveilleux » et ferait des émules, j’ai reporté la décision sur l’accord de Paris, je me suis aligné sur l’Ukraine, je n’ai toujours pas rencontré Poutine, mais ça ne leur suffit pas.

L’un des présidents de l’Europe – on se demande pourquoi ça marche mal, l’Europe, mais ils ont deux présidents ! – un Polonais coriace qui s’appelle aussi Donald (Tusk), m’a carrément fait la leçon sur « les valeurs, les principes qui doivent guider notre action plutôt que les intérêts » : je ne sais pas de quoi il parlait. Pourtant, je crois qu’il s’exprimait en anglais. Et il a remis ça le lendemain au G7.

« Si ce n’est pas de la provocation, ça ! »

Et puis, il y avait Angela (Merkel). Cela ne s’est pas arrangé, avec elle. Elle a jugé utile d’organiser une grande rencontre publique avec Obama à Berlin le matin même, avant de nous rejoindre à Bruxelles. Si ce n’est pas de la provocation, ça !

Et d’une susceptibilité, avec ça… J’ai eu le malheur de dire aux deux présidents de l’Europe que les Allemands étaient « BAD, VERY BAD », et que j’allais les empêcher d’inonder notre marché avec leurs BMW, et guess what ? Trois heures après, c’était dans la presse allemande. On se croirait à Washington, tellement ça fuite, à Bruxelles. Angela en a fait toute une affaire au G7, on ne parlait plus que de ça. Un désastre.

« J’AI DIT À MACRON QUE JE N’AVAIS JAMAIS SOUTENU SON ADVERSAIRE. EST-CE QU’ILS ONT GOOGLE AUSSI EN FRANCE ? »

Heureusement qu’il y a ce petit nouveau, Macron, le Français. Il m’a bien plu : c’est moi, en un peu plus jeune. Il s’est fait élire contre le système, il veut tout casser. GOOD LUCK ! Un peu trop proche d’Angela à mon goût, il faudra que je lui explique. Je lui ai dit que je n’avais jamais soutenu son adversaire : « You were my guy. » Est-ce qu’ils ont Google aussi en France ? D’ici à ce qu’ils retrouvent mes tweets et mes interviews chantant les louanges des positions de Marine Le Pen sur l’immigration…

Hier, dans le Financial Times, un journaliste a mentionné cette Molly Air que Macron cite tout le temps ; il faudrait lui demander sur quelle chaîne on peut la voir, ça m’intrigue. Juste un truc avec Emmanuel : le roi de la testostérone, c’est moi, je crois qu’il n’a pas bien compris. La poignée de main virile, c’est mon truc, ma trademark. Un qui l’a compris en tout cas, c’est celui qui a essayé de me piquer la place au premier rang sur la photo à l’OTAN. Il paraît que c’est le premier ministre du Monténégro. Il paraît que c’est un pays.

Une dernière chose, Melania, en vue de nos prochains voyages. D’abord, quand je te prends la main, tu me la donnes, au lieu de me taper dessus. Ensuite, que tu te couvres comme un pot de miel en Arabie saoudite, je peux comprendre. Que tu t’affubles de cette mantille ridicule pour voir le Pape, passe encore. Mais que tu te déguises en mère supérieure en Europe ? Non, mais tu as vu la longueur de leurs jupes, à tes copines ?

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