La Tunisie face aux années de dictature, un difficile examen de conscience

 Les auditions publiques de victimes de la dictature en Tunisie ont été diversement accueillies dans le pays. Si certains considèrent cet examen de conscience comme historique et exemplaire, d'autres redoutent qu'il n'exacerbe les divisions.

L’heure est désormais au bilan. Après deux soirées de témoignages historiques durant lesquelles des Tunisiens ont raconté l’enfer vécu sous la dictature, le pays se demande comment panser les plaies du passé.

Retransmises à la télévision les 17 et 18 novembre, les auditions publiques de victimes s'inscrivent dans un travail de mémoire enclenché au lendemain de la révolution de 2011. Maîtresse de cérémonie, l'Instance vérité et dignité (IVD) est chargée d'enquêter sur les violations des droits de l'Homme perpétrées durant la présidence d'Habib Bourguiba, le père de l’indépendance, et sous le régime de Zine el-Abidine Ben Ali. Objectif : mettre fin à l'impunité de leurs auteurs et réhabiliter les victimes.

"Une signification historique immense"

Après presque trois ans de travail dans l'ombre, les premiers témoignages publics constituaient donc une étape majeure. Pour Refik Hodzic, du Centre international pour la justice transitionnelle (ICTJ), ils sont un succès. Ces soirées "ont probablement été les premières auditions publiques les plus réussies de l'histoire récente", explique-t-il à l'AFP. Car elles sont parvenues "à atteindre un très grand nombre de personnes qui, soit ne savaient pas ce qui s'était passé - comme les jeunes - soit l'avaient refoulé".

Pour Heba Morayef, directrice de recherche pour l'Afrique du Nord à Amnesty International, "ces auditions ont le potentiel pour avoir une signification historique immense, non seulement pour la Tunisie mais aussi pour le reste du monde arabe".

"Bazar de la souffrance"

Ces auditions interviennent toutefois dans une société tunisienne fracturée, où certains refusent tout examen de conscience et où le clivage entre islamistes et anti-islamistes reste vivace, malgré leur alliance au sein de l'actuel gouvernement. La pertinence de ces premières auditions publiques a été débattue avec vigueur sur les réseaux sociaux et dans la presse.

Ainsi, le quotidien francophone Le Temps a vu dans la succession de témoignages un "bazar de la souffrance" visant à "pousser les Tunisiens à se haïr". Les islamistes ont certes "subi la répression", mais ils doivent aussi "se faire pardonner par le peuple tunisien pour tous les crimes commis en leur nom !", a-t-il lancé.

 

RENCONTRE AVEC UNE MILITANTE DE GAUCHE EMPRISONNÉE SOUS BEN ALI

 

Après ces deux soirées éprouvantes, le pays doit faire son introspection, analyse Assabah. "Avons-nous fait ce qu'il fallait pour nous prévenir du retour de ces pratiques odieuses ? [...] Sommes-nous capables d'accepter les excuses de l'autre" ou "ces auditions nous pousseront-elles vers davantage de souffrances [...] et des règlements de compte ?", s'interroge le quotidien, qui dit attendre "des excuses" de la part des auteurs des exactions.

"Je suis disposé à leur pardonner"

Jeudi soir, après avoir raconté tout en retenue la torture subie dans les geôles de Ben Ali en raison de ses "tendances islamistes", Sami Brahem a "lancé un appel à ces bourreaux". "Je suis disposé à leur pardonner, à condition qu'ils avouent, s'excusent et expliquent", a-t-il déclaré. "Pourquoi ont-ils fait ça ? Avaient-ils une position idéologique contre nous ? Étaient-ils manipulés ? Voulaient-ils obtenir une promotion sur notre dos ? Étaient-ils obligés ?"

C'est un système entier que les témoignages ont mis à nu, une "machine" qui n'a pu fonctionner qu'à l'aide de nombreux rouages : policiers, gardiens de prison mais aussi juges et médecins. Et afin que l'Histoire ne se répète pas, un large débat public est nécessaire, estime Refik Hodzic. Pour comprendre, selon lui, "comment il a été possible qu'à un moment dans notre histoire, nous ayons normalisé les disparitions forcées et la torture policière".

Malgré le caractère historique du rendez-vous, ni le président Béji Caïd Essebsi ni le chef du gouvernement Youssef Chahed n'ont assisté aux séances publiques de l'IVD, une absence qualifiée de "boycott" par Assabah. L'inimitié entre le chef de l'État, qui fut ministre de l'Intérieur sous Bourguiba puis président du Parlement sous Ben Ali, et la présidente de l'instance, Sihem Bensedrine, est notoire.

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