Les Valeureuses, de Sophie Bessis

Les Valeureuses, de Sophie Bessis

« Les Valeureuses », est le nouveau livre de Sophie Bessis dans lequel elle raconte la vie glorieuse de la  femme tunisienne. La liberté est l’âme de la  Tunisie, semble chanter Sophie Bessis.
Voilà un  livre de la liberté, de la lutte et du courage au féminin. Mais aussi le récit de cinq  figures tunisiennes de glorieuse mémoire,  un  hymne  en l’honneur de la femme tunisienne.   C’est enfin  une œuvre admirable  qu’on pourrait qualifier de   pseudo-tragédie   empruntée à l’histoire de la Tunisie.  Et tout cela merveilleusement conté dans un  ouvrage, certes, minuscule  mais qui relate de grands événements historiques souvent ignorés par les tunisiens. L’auteure a choisi de  raconter la vie de cinq valeureuses tunisiennes dans un style simple et admirable, invitant  ceux qui veulent découvrir  l’histoire des Valeureuses,  à lire  le livre d’un seul trait.

Tout d’abord, le lecteur est impressionné par la structure de l’ouvrage qui n’est pas un document historique dans lequel l’auteure sera  contrainte de s’adapter à une méthodologie scientifique pour développer ses idées.  Pourtant l’auteure ne rechigne pas à respecter la  démarche méthodologique et l’analyse objective des événements. L’œuvre comprend cinq actes, un pour chaque Valeureuse, également répartis sur le volume total (40 pages environ pour chaque acte). L’auteure a pris le soin de meubler chaque acte par une narration brève et précise de la conjoncture politique et socio-économique du pays, pour introduire ensuite  le personnage et valoriser  son action.  En quelques phrases, elle  réussit à  nous démontrer comment chaque Valeureuse  a fait l’histoire, sans omettre toutefois de joindre une réflexion personnelle pour séparer le bon grain de l’ivraie et s’éloigner le plus possible de la  subjectivité. C’est ce travail intellectuel et scientifique qui rassure le lecteur et donne à l’œuvre une plus grande consistance.

Ce qui rassure encore plus le lecteur dans le choix de l’auteure, ce sont des preuves objectives de l’existence des Valeureuses. Tantôt, l’auteure, cite  la poésie universelle,  l’Eneide  de Virgile pour Didon. Des fois elle évoque  la bâtisse concrète telle que le  mausolée de Saida ou  l’hôpital Aziza Othmana à Tunis. Comme elle n’hésite pas à joindre au livre, une copie de la conférence de Habiba Menchari. Quand à Habiba Msika, elle n’a pas besoin de lui chercher une preuve. Tous les tunisiens se souviennent de ses chansons et particulièrement «  Habibi lawal walahi ma nensah » qu’ils chantent jusqu’à nos jours,  à l’occasion des fêtes populaires, dans tous les coins du territoire.

Le lecteur est aussi frappé par la parfaite cohérence de l’œuvre et son évolution naturelle et logique. On  a l’impression que l’auteur raconte la vie  d’une   seule figure, un long combat  qui s’étale sur près de 3000 ans. Elissa a cherché asile en terre tunisienne, elle a fondé Carthage. Saida Mannoubia a pris le relais en entamant l’enseignement des préceptes religieux. Aziza a complété l’œuvre  par l’action sociale.

Menchari s’est attaquée à l’émancipation de la femme et passe le témoin à Msika qui a défoncé le tabou social pour ériger le mât de la liberté féminine en terre tunisienne.

« Les Valeureuses », c’est d’abord une image de la  femme tunisienne courageuse dans sa lutte pour l’émancipation à travers l’histoire. Une image  qu’on n’a pas le loisir d’examiner si elle est historiquement fondée, mais l’auteure l’impose par le style et la méthode. Le lecteur tunisien d’un tempérament nostalgique, aime le passé,  le  sent et le vit pleinement lorsqu’il est raconté avec style. La technique narrative de la journaliste et la touche méthodologique de l’historienne assurent un amalgame harmonieux des portraits des personnages et de leurs actions. Le tout donne une recette magique qui emporte l’adhésion et la conviction du lecteur.

Ce qui m’a impressionné, c’est aussi l’habileté de l’auteure dans la narration lorsqu’elle évoque la fin de ses Valeureuses. Elle a entretenu le flou et ne s’est pas tardée sur l’événement comme si elle voulait volontairement l’occulter et le faire  oublier par le lecteur. On sent ce désir d’immortaliser ses personnages en contournant leurs disparitions. Avec l’ultime Valeureuse, la  Msika, l’auteure  lui a assurée une fin tragique digne de Salammbô.

  • Et bien qu’elle soit partout épandue, c’est ici qu’elle demeure sous le voile secret.
  • Ô père ! s’écria Salammbô, je le verrai n’est ce pas ?
  • Jamais ! Ne sais-tu pas qu’on en meurt !

Ainsi mourut Msika pour avoir touché au manteau de la liberté. Ce qui donne à Habiba Msika la plus importante Valeur. Mais c’est le  choix du créateur de l’ouvrage et son plein  droit.

« Les Valeureuses » se distingue par le choix de ses personnages qui ne sont pas berbères. Hasard ou non, le choix est un peu cruel. L’auteur nous pardonnera cet excès. C’est que le territoire tunisien,  terre d’accueil et d’asile a attiré tous les personnages du livre, qui ne sont pas originaires de ce territoire ou pour être plus juste ne sont  pas plus anciens que les berbères. Habiba Msika que l’on pourrait considérer comme la plus ancienne valeureuse serait dans la lignée des premiers juifs réfugiés en terre tunisienne vers 586 avant J.C. Elissa est phénicienne, Aziza est turque, Menchari est algérienne. Saida Mannoubia, la sainte, comme tous les saints de ce pays serait originaire de Saguiet El Hamra au Maroc. Par contre, La Kahena, la reine Zénète  qui a régné sur une grande partie de  l’Afrique du Nord n’est pas incluse parmi les valeureuses de Tunisie. Elle serait  morte au combat, aux environs de Tabarka, non loin de la présente frontière tuniso-algérienne et enterrée   non loin de la  même frontière à Bir Ater (Tebessa).

Ces mêmes  frontières tracées par la France ne  datent  que de 1957, sont le seul argument de l’auteure pour ne pas considérer La Kahéna comme  Tunisienne. C’est un choix un peu  cruel parce qu’il élimine une partie de notre  mémoire collective. Il ne  reste plus à la terre tunisienne que de se plaindre et de chanter «  Monsieur le Président ! On a volé mon âme, on a volé ma femme ». L’argument présenté par l’auteure ne parait pas convaincant. Car si on se réfère à Ibn Abi Dhief, le territoire de la Tunisie s’étendait jadis  jusqu’à Bejaïa à plus de 700 km de la présente frontière. Le chroniqueur beylical tunisien a évoqué la communication du  Wali de Bejaia en 1830  qui, sentant la menace des troupes françaises imminente, envoya une missive au Bey de Tunis pour demander des instructions. La réponse de ce dernier était claire : le centre de notre royaume est plus à l’Est même si vous êtes censé périr sur notre territoire.

Qu’on ne s’y trompe pas, l’objectif   véritable de l’auteure semble être son combat féministe. Ceci ne minimise en rien  la valeur du livre et encore moins celle des Valeureuses. Il faut cependant insister sur cet ouvrage admirable et s’efforcer de faire reconnaitre en lui une  matière d’Education Civique. Car, c’est en intégrant   ce genre de document dans les écoles de la nouvelle république tunisienne  qu’on réussira à créer la Fierté de la femme tunisienne,  son Appartenance à ce merveilleux pays et à forger  l’Amour de la Patrie et  la Loyauté à la Tunisie.

Merci, Sophie pour ce bijou offert à la femme tunisienne à l’occasion de la fête mondiale de la femme. Bienvenue en Tunisie et tout le plaisir de vous accueillir  à Néapolis.

Mohamed Nafti

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