A l’occasion du quatre-vingtième anniversaire de la rafle de Tunis.
Le 9 décembre 1942, Gilbert-Mardochée Mazouz,19 ans, était abattu à Tunis par des soldats allemands, premier juif assassiné en Tunisie durant l'Occupation.
Gilbert Mazouz est né le 28 juin 1923 à Tunis, fils de Salomon, horloger et Valentine Frati.
Sa mère donnera naissance après lui à Raymond (1927), Simone (1932) et Georges (1934).
Le père, malade, décède en 1936 alors que son épouse attend leur cinquième enfant, Emile qui nait en 1937 peu de temps après le décès de son père. Gilbert devient chef de famille.
Apres sa scolarité à l'Ecole de l'Alliance Israélite, il se destine à devenir horloger comme son père. Gilbert présente une légère déformation de la voûte plantaire qui le gêne pour faire de longues marches mais ne fait pas de lui un infirme.
En Novembre 1942, la Tunisie est occupée par les troupes de l'Axe en réaction au débarquement allié en Afrique du Nord (opération Torch). Vivent alors en Tunisie selon le recensement du 2 juin 1941, 89.670 juifs qui sont soumis aux mesures discriminatoires du régime de Vichy, mises en place par le Résident Général l’Amiral Esteva, avec cependant une certaine souplesse.
Dès l’entrée des SS à Tunis, la situation des juifs tunisiens s'aggrave brutalement.
Le 23 novembre des dirigeants communautaires sont arrêtés et détenus en otages puis des mesures confiscatoires et des amendes sont imposées à la communauté juive.
Le 6 décembre 1942, le Colonel SS Walter Rauff exige du président Moise Borgel et du grand-rabbin Haim Bellaïche que la Communauté lui livre 3000 travailleurs âgés de plus de 18 ans.
Un embryon de comité de recrutement est constitué sous l’autorité de Paul Ghez, avocat et ancien combattant, afin de tenter de répondre aux exigences allemandes.
Le 9 décembre au matin seuls 125 juifs s'étant présentés à la Caserne Foch, Rauff fait irruption à la grande synagogue où commence une rafle de centaines de juifs, qui se poursuit dans les rues avoisinantes.
La veille un envoyé du Comité de recrutement nommé Abitbol s'était présenté au domicile de Gilbert pour lui signifier sa réquisition pour les camps de travail.1
Le mercredi 9 décembre au matin, en l'absence de sa mère et de son frère Raymond partis chercher des soutiens, Gilbert est interpellé avec un groupe de voisins (Perez, Boujenah..) et transféré au lieu de rassemblement ; il y en a deux, l'école de l'Alliance rue Malta Srira et la Caserne Foch.
En fin d'après-midi, sous la pluie, la colonne se met en marche en direction du camp de Cheylus au sud -ouest de Tunis (Djebel Oust à proximité de Zaghouan). Gilbert souffrant de sa déformation plantaire a des difficultés à suivre la marche forcée, ce qui amène ses compagnons à le soutenir à tour de rôle...
Vers 18 heures, la colonne arrivant à proximité de la ferme Henchir Ben Attia. Elle fait halte car l'officier allemand s'est trompé de route et contraint le groupe à traverser un champ boueux.
Gilbert se trouvant alors bloqué dans la glaise, un officier allemand s'avance et l’abat froidement de 3 coups de revolver
« Il était six heures du soir environ, la nuit était déjà tombée et la pluie nous mouillait fortement. Le chef de convoi nous a fait rentrer dans un champ labouré où la marche dans un sol détrempé était très difficile. Mazouz ne pouvant plus être porté a été déposé à terre. Le chef de convoi s’est approché de Mazouz qui était couché à terre et lui a porté des coups de pieds pour l’obliger à se relever. Nous avons voulu intervenir mais les allemands nous en ont empêchés. Je n’avais pas fait vingt mètres qui j’ai entendu trois coups de feu. » 2
Son corps est enterré par les fermiers sous un arbre et l’un d’eux donnera ces indications à sa famille afin de le récupérer et de le ramener à Tunis où il sera inhumé au Borgel.
Mon père Raymond, alors âgé de 15 ans, devient à son tour chef de famille ce qu’il n’a jamais cessé d’être depuis, tant il n’a cessé de se dévouer à ses frères et sœur puis ensuite à son épouse et ses fils.
Il ne devait pas être facile de subsister pour une veuve sans ressources avec quatre enfants à charge dans la Tunisie des années quarante. Il a fallu apprendre à continuer à vivre avec cette douleur jamais éteinte.
L’avocat Paul Ghez, et lui seul, a manifesté quand il l’a pu son soutien à ma grand-mère3
L'assassinat de Gilbert Mazouz, première victime juive des nazis en Tunisie a marqué la mémoire juive tunisienne et sera évoqué dans de nombreux ouvrages traitant de cette période.
Après la libération de Tunis en 1943, la Voix juive, publication sioniste lui rend hommage en première page sous le titre "Notre premier martyr"4 conférant ainsi à sa mort une valeur symbolique, première victime innocente du projet nazi en Afrique du Nord, arrêté puis abattu parce que juif et rattachant son sort à celui des Juifs d'Europe.
Son histoire doit nous aider à prendre conscience que les persécutions nazies envers les Juifs, même si elles ont été infiniment moindres qu'en Europe, ont visé aussi les juifs au-delà de la Méditerranée.
Il est important de préserver cette mémoire, de ne pas la dénaturer comme cela s’est produit parfois 5 car cette tragédie doit aider à mieux comprendre le sort des Juifs d'Afrique du Nord durant la Seconde Guerre mondiale.
Serge-Gilbert Mazouz
Site : www.gilbertmazouz.com/
1 Témoignage de mon père Raymond.
2 Témoignage du Rabbin Hagège devant le Tribunal de Tunis (CDJC)
3 Témoignage de mon oncle Emile qui surnomme Paul Ghez ‘’ le bienfaiteur ‘’
4 La Voix Juive du 9 décembre 1943
5 Dans son livre Villa Jasmin (2003), Serge Moati utilise le nom de Gilbert Mazouz dans un contexte contraire à la réalité historique. Ce procédé indélicat est dénoncé par Claude Nataf lui-même.