Syrie: un pays disloqué - David Bensoussan

Syrie: un pays disloqué

 

David Bensoussan - Analyste du Proche-Orient

Après 12 ans de guerre civile, la Syrie se retrouve morcelée : le gouvernement de Bachar-el-Assad a réussi à maîtriser près de 60% de son territoire après qu’il fut sauvé par l’intervention militaire russe. Il existe une enclave kurde au Nord-est, une enclave turque au Nord-ouest et une enclave islamiste dans la région d’Idlib.

Une réalité amère

L’extrême cruauté des autorités policières à la suite d’une manifestation bénigne à Deraa a déclenché une révolte généralisée avec le slogan : « Docteur c’est ton tour ! » signifiant que le président opticien Bachar-el-Assad aura bientôt le même sort que les autres présidents démis lors du printemps arabe en 2011 : Ben Ali en Tunisie, Moubarak en Égypte, Khaddafi en Libye et Saleh au Yémen.  La répression gouvernementale fut sans pitié : bombardements, utilisation d’armes chimiques, arrestations arbitraires et tortures. Des officiers syriens déserteurs formèrent l’Armée syrienne libre qui combattit le dictateur syrien durant un certain temps. Le soulèvement islamique de Daesh s’ensuivit. Près d’un demi-million de Syriens ont perdu la vie et 6,8 millions sont devenus des réfugiés en dehors des frontières syriennes.
Aujourd’hui, 90% de la population vit sous le seuil de la pauvreté. Plus de 50% n’ont pas accès à l’eau potable et à l’électricité. Les subsides alimentaires ont été annulés et les queues devant les boulangeries sont longues. Cependant, le régime survit grâce aux ventes de psychostimulants captagon lesquelles procurent des rentrées de près de 30 milliards de dollars, ce qui permet au régime de se préserver et même de se réarmer. C’est dans l’espoir – déçu – de pouvoir limiter les ventes de captagon que les pays sunnites ont permis à la Syrie de réintégrer la Ligue arabe dont elle avait été exclue en 2011.
Les interventions extérieures ont également joué un rôle important.

Les interventions étrangères en Syrie

Les États-Unis sont intervenus en 2014 pour lutter contre l’état islamique. Par la suite, le président Trump voulut retirer ses forces de Syrie. Il revint sur sa décision à la suite du tollé des protestations – tous partis politiques confondus – à savoir que les alliés kurdes qui avaient contribué à la victoire contre l’État islamique risquaient de se retrouver sans défense devant la dictature syrienne et l’obsession antikurde du président turc Erdogan. La présence de forces américaines au Nord-est syrien vise aussi à bloquer l’axe routier reliant Téhéran, Bagdad, Damas et Beyrouth.

La Russie qui a été le fournisseur d’armes habituel à la Syrie est intervenue en 2015 et a établi deux bases militaires, l’une navale et l’autre aérienne.  Les bombardements aériens russes et l’aide du Hezbollah libanais ont permis aux forces gouvernementales syriennes de reprendre le dessus – quoique de façon incomplète - dans la guerre civile.

La Turquie a occupé les régions kurdes du Nord-ouest de la Syrie et tente d’y installer les réfugiés syriens qui se trouvent sur son territoire. Le président turc Erdogan est un ennemi farouche du président syrien Assad et veut – tout comme la Russie - limiter l’influence iranienne. L’accord d’Astana ratifié en 2017 vise à éviter des accrochages entre les forces turques, iraniennes et russes en Syrie.

L’Iran a vassalisé la Syrie. Les « conseillers iraniens » et la présence de près de 60 000 mercenaires chiites, afghans et pakistanais y renforcent son autorité. L’Iran offre divers services à la population et encourage la conversion au chiisme moyennant sonnantes et trébuchantes.  La sécheresse extrême en Iran a causé des migrations de population dont certaines sont invitées à occuper les maisons syriennes abandonnées.

L’Iran finance et arme des milices qui encerclent les pays sunnites et Israël : en Irak, en Syrie, au Liban à Gaza et au Yémen. L’Iran se cache derrière leurs actions terroristes déstabilisatrices et ce n’est qu’après plus de 200 attaques contre les forces américaines que le président Biden a décidé de réagir, que ce soit contre les Houtis du Yémen ou les milices chiites de Syrie et d’Irak. Le fait que des sommes considérables soient investies par les mullahs iraniens pour renforcer leur pouvoir dans la région irrite la population iranienne qui a plus d’une fois exprimé son opposition malgré les risques qu’une protestation publique comporte. Pour le régime des mullahs, la prétendue aide aux Palestiniens est l’arme rêvée pour neutraliser l’opinion arabe opposée à l’interventionnisme iranien.

Israël a offert de soins médicaux aux Syriens blessés durant la guerre civile. Au reste, le but d’Israël est de réduire la pénétration militaire iranienne en Syrie et notamment les convois d’armement destinés au Hezbollah libanais. Malgré les nombreuses attaques aériennes israéliennes (une trentaine par an), le Hezbollah libanais s’est procuré près de 150 000 missiles. Selon le département d’État américain, l’aide iranienne annuelle au Hezbollah est estimée à 700 millions de dollars. Le Hezbollah n’est pas intervenu en force depuis les évènements du 7 octobre. L’Iran veut probablement réserver une telle intervention au cas où le conflit entre Israël et l’Iran s’embraserait. Le sort des Gazaouis sunnites ne rentre pas en jeu dans les calculs des mullahs.

Les bombardements américains au Yémen et en Irak constituent une nouvelle phase dans l’équilibre géopolitique et bien des analystes craignent un conflit généralisé dans la région.

En outre et bien que la question ne soit pas à l’ordre du jour, Israël doit se préparer à l’éventualité d’une limitation de ses interventions aériennes en Syrie. Jusqu’à présent, la Russie n’a pas signifié d’opposition.

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