31 juillet 1492...

31 juillet 1492... (il y a 530 ans jour pour jour)

Tous les juifs devaient avoir quitté l'Espagne... Voici quelques récits terribles de certains convois...

A bord de la frégate Dieu le veut, deux jours après le départ, Manuel de Santos, seul maître à bord après Dieu, informa le rabbin Eli ben Zaffran, porte-parole des deux cent cinquante pauvres bougres qu’il transportait, de la décision qu’il venait de prendre : «  Si vous voulez continuer votre route, il faut me payer un supplément. »
«  Mais nous vous avons déjà tout réglé à l’embarquement ! Comment voulez-vous que… ? »
«  J’encours trop de risques avec vous. Vous sentez mauvais, vos enfants sont malades et rien ne me dit que vous n’aurez pas la peste… »
«  Vous n’avez pas le droit, vous aviez promis. »
«  Je n’ai pas le droit ! Eh bien tu vas voir, fils de chien ! »

Il appela deux de ses marins qui saisirent le rabbin et le jetèrent par-dessus bord. La mer était calme, il n’y avait pas de vent, et pendant un long moment chacun entendit les cris du malheureux. Puis ce fut le silence.

Le capitaine s’adressa alors aux proscrits, qui s’étaient blottis à l’avant du bateau : «  Voilà, manants, ma réponse à votre rabbin. Maintenant, payez et je vous mènerai à bon port. »

Une frêle silhouette sortit du rang :
«  Moi je ne peux donner davantage, je n’ai plus rien. »
«  Ah ! Tu n’as plus rien, ricana Santos. Tu as bien une famille quand même. »
«  Oui. »
«  Désigne-la-moi. »
Tout tremblant, il montra du doigt sa femme et sa fille.
Alors le capitaine s’adressa à ses hommes : «  Elles sont à vous, faites-en ce qu’il vous plaira. »

Six forcenés se ruèrent sur les deux juives, tandis que deux autres frappaient le mari qui cherchait à s’interposer. Ils s’acharnèrent sur les deux malheureuses, les abandonnant après avoir assouvi leurs instincts… Les autres passagers, terrorisés, s’étaient bouché les oreilles et avaient fermé les yeux. Santos, l’œil brillant, se campa devant eux et les obligea à l’écouter.

« Celui-ci a réglé son droit de passage. Comme vous le voyez, je ne suis pas difficile, j’accepte l’or et toute autre fortune. Dois-je encore le prouver ? »

Alors, fébrilement, tous mirent en commun le peu qui leur restait et le donnèrent pour avoir la vie sauve. Cela dut suffire puisque Santos ne leur réclama rien d’autre et les transporta jusqu’au Maroc.

Des scènes similaires se déroulèrent sur d’autres navires. Un capitaine, prétextant le manque de vent, fit traîner le voyage en longueur jusqu’à ce que les fugitifs aient épuisé leurs provisions. Puis il leur vendit de la nourriture à prix d’or. Souvent, alors que les bateaux arrivaient en territoire maure, les exilés parqués dans la cale étaient vendus comme esclaves aux riches Arabes ou abandonnés sur les côtes désertes de l’Afrique. Vols, viols, meurtres, tout était bon pour profiter de leur extrême faiblesse…

Au Portugal, ceux qui attendaient la fin des huit mois pour quitter le pays furent informés de ces scènes d’horreur. Ils eurent alors peur de partir. Les rabbins supplièrent le roi de les garder mais le monarque refusa.

A l’expiration du délai, il restait encore plusieurs dizaines de milliers de juifs au Portugal. Fidèle à sa parole JoaoII les vendit comme esclaves aux membres de la noblesse. Il y eut des scènes épouvantables. On sépara les jeunes de trois à dix ans de leurs parents, on les convertit et on les envoya peupler les terres lointaines. On transporta même des enfants sur l’île Saint-Thomas où pullulaient les serpents venimeux. La plupart succombèrent. Des mères se jetèrent dans les flots avec leur progéniture. D’autres immolèrent leurs enfants puis s’éventrèrent. Certains se cachèrent dans les montagnes, d’autres retournèrent en Espagne.

Didier Nebot
extrait des bûchers d'Isabelle la catholique

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