Comment on fait de la diplomatie en France

Comment on fait de la diplomatie en France (012607/18) [Analyse]

Par Amram Castellion © Metula News Agency

           

Dans la nuit de samedi à dimanche dernier, Israël a finalisé une opération humanitaire en plein territoire syrien, dans les provinces de Deraa et Quneitra – actuellement sous le contrôle partiel de groupes rebelles sunnites, mais en voie de reconquête par les troupes gouvernementales d'Assad avec le soutien du corps expéditionnaire russe. L'objectif de l'opération était d'évacuer un groupe de 422 Syriens, composé de "Casques Blancs" et de leurs familles, qui se trouvaient encerclés par l'avancée des gouvernementaux et étaient considérés en danger vital immédiat.

 

Les Casques Blancs – officiellement "Défense Civile Syrienne" – sont une organisation de premier secours en zone de guerre et de protection civile, formée en 2013 à l'initiative de l'officier britannique James Le Mesurier. L'essentiel de leur financement est assuré par les puissances européennes depuis qu'ils ont perdu, au printemps dernier, le soutien des Etats-Unis. La raison n'en a pas été rendue publique, mais elle pourrait être due à une certaine porosité entre le recrutement actuel des Casques Blancs et celui, naguère, de forces combattantes sunnites en Syrie.

 

Leur doctrine d'intervention les oblige à intervenir indistinctement pour toutes les victimes, mais ils interviennent presque uniquement dans les zones tenues par la rébellion sunnite, avec laquelle ils ont inévitablement des liens privilégiés. De ce fait, ils font l'objet d'une guerre de propagande intense entre, d'une part la Russie et le régime d'Assad – qui les ont accusés de "terrorisme" et de divers crimes de guerre, sans qu'aucune preuve ait été apportée en-dehors du fait que certains Casques Blancs étaient auparavant combattants – et, d'autre part, les bailleurs de fonds occidentaux et les pays arabes, qui mettent en valeur leur activité de secours aux victimes de guerre et ont utilisé cette activité pour dénoncer les opérations militaires russo-alaouites.

 

L’opération d’exfiltration menée dans la nuit de samedi à dimanche a permis de faire passer une partie des Casques Blancs et de leurs familles de Syrie dans le Golan israélien, puis, de là en Jordanie. 422 personnes seulement ont pu être sauvées sur environ 800, la situation des combats ayant empêché d'évacuer les autres. Le Premier ministre Netanyahu a précisé que l'opération avait été préparée avec les Etats-Unis, le Canada "et d'autres" [la Russie. Ndlr.]. Il est vraisemblable que les pays bailleurs de fonds – France, Allemagne, Royaume-Uni – ont été mis dans le secret, même s'ils n'ont pas contribué à l'opération elle-même.

 

Cette opération humanitaire de sauvetage des sauveteurs a été, naturellement, dénoncée par le régime d'Assad. Tout aussi naturellement, elle a été célébrée par la Jordanie, qui a accueilli les Casques Blancs avant qu'ils ne soient transférés vers des pays donateurs, et par les puissances occidentales. Le Foreign Secretary (ministre britannique des Affaires Etrangères), Jeremy Hunt, a ainsi salué sur Twitter la contribution d'Israël et de la Jordanie au sauvetage, tout en indiquant que l'opération a été menée "à notre demande" (Royaume-Uni ou, plus probablement, puissances donatrices dans leur ensemble). Des messages de remerciements similaires sont venus des gouvernements américain, canadien et allemand.

 

Au milieu de cette activité diplomatique, un seul des pays donateurs a envoyé un communiqué différent des autres. Il s'agit de la France. Voici, dans sa version intégrale, le communiqué du Quai d'Orsay sur le sauvetage des Casques Blancs, publié dimanche (22 juillet) dernier :

 

"Grâce à une forte mobilisation internationale, un groupe de Casques blancs et leurs familles a pu quitter aujourd’hui la Syrie où leur sécurité était gravement menacée. La France s’est activement associée aux démarches conduites avec plusieurs partenaires pour permettre le succès de cette opération.

 

Ce groupe de Casques blancs et leurs proches se trouvent actuellement en Jordanie, où ils sont pris en charge par le Haut-commissariat aux réfugiés des Nations unies. Les démarches nécessaires à leur réinstallation dans des pays tiers sont en cours. La France est prête à contribuer à l’accompagnement et à la protection de ces personnes et de leurs familles.

 

La France a apporté un soutien constant à l’organisation des Casques blancs, engagés volontaires au service de la population syrienne dans les pires circonstances. La France rend hommage au courage et au dévouement dont ils ont toujours fait preuve et que beaucoup d’entre eux ont payé de leur vie."

 

La première remarque que suscite ce communiqué est qu'il y semble tout de même être beaucoup question de la France pour une opération où elle n'a joué strictement aucun rôle opérationnel. "La France s'est activement associée aux démarches conduites avec plusieurs partenaires" signifie, en clair : "comme pays donateur, nous avons été mis au courant à l'avance et avons donné notre accord". La mention suivante de la France signifie qu'elle accepte d'accueillir quelques familles sur son territoire. Les deux dernières sont des occasions de répéter "la France, la France", en sautant comme un cabri au moment de rendre hommage au travail humanitaire des Casques Blancs.

 

Si la France est citée quatre fois dans le communiqué – et la Jordanie, premier pays d'accueil, une fois – le Quai d'Orsay semble avoir fait le fâcheux oubli du pays qui a planifié, organisé et réalisé l'opération et y a risqué la vie de ses propres soldats, sans y avoir le moindre intérêt national. On est "distrait", au Quai.

 

Que révèle cette incapacité des rédacteurs du Quai d'Orsay à remercier ou même à prononcer le nom d'Israël ?

 

Ce ne peut pas être une question de principe : la France reconnaît l'Etat d'Israël depuis sa naissance et les deux pays entretiennent des relations diplomatiques normales. Il n'y aurait donc aucun obstacle à le citer et à le remercier dans un communiqué officiel.

 

Ce ne peut pas non plus être une volonté de dissimuler la vérité. Le monde entier, au moment où ce communiqué a été rédigé, savait déjà qu'Israël avait mené l'opération de sauvetage des Casques Blancs. Les communiqués de ce type n'apprennent rien à personne. Ils ne sont que l'occasion d'enregistrer une position sur les affaires en cours, l'expression d'un code de bonnes manières internationales.

 

Il ne reste donc qu'une seule explication au comportement français. Les diplomates chargés de rédiger le communiqué, et leur hiérarchie qui l'a approuvé, ont délibérément voulu offenser Israël en excluant de la liste des remerciements le seul Etat qui a effectivement agi pour sauver les Casques Blancs, et qui a risqué pour cela la vie de ses soldats.

 

Cette offense délibérée n'est même pas un calcul politique, un clin d'œil aux alliés musulmans de la France. Croit-on que le Royaume-Uni ou l'Allemagne n'aient pas des relations approfondies avec les pays musulmans ? Croit-on vraiment qu'ils aient détérioré ces relations en remerciant Israël pour avoir sauvé des musulmans en coordination avec la Jordanie ?

 

Non : la raison de l'incapacité de ces diplomates français à prononcer le nom de l'Etat-nation du peuple juif n'est ni politique, ni diplomatique. Elle est sociologique et idéologique. Beaucoup de diplomates français – pas tous, il faut le reconnaître ; mais, il faut le reconnaître aussi, presque tous ceux qui consacrent leur carrière aux affaires du Moyen-Orient – ne peuvent tout simplement pas surmonter l'idée que les Juifs ne devraient appartenir ni à la bonne société française, dont ils se réclament, ni au concert des nations ayant droit à leur Etat.

 

Ce préjugé antisémite, profondément ancré dans la culture majoritaire du Quai d'Orsay, a ses origines au moins autant dans l'antisémitisme traditionnel de la bourgeoisie catholique que dans les plans politiques plus ou moins foireux d'une "politique arabe". Le problème n'est pas principalement que le Quai soit pro-arabe : il ne l'est pas tant que cela. On y entend aussi, et souvent, beaucoup de remarques très méprisantes sur les Arabes. Le problème est qu'une partie importante du Quai est restée une bulle temporelle sociologique, à l'écart des évolutions de la société française, que beaucoup de diplomates connaissent mal. Beaucoup de nos diplomates, au fond, se croient encore dans un salon de la bonne société en 1815. Ils en ont d'ailleurs souvent l'esprit, l'humour et la finesse. Mais enfin, dans ces salons, les Juifs n'étaient pas les bienvenus.

 

Par conséquent, lorsque les Juifs réussissent une opération militaire remarquable, en plein territoire ennemi, dans un but purement altruiste et au profit d'alliés de la France, on ne va pas s'humilier à les remercier. Ils ont bien travaillé, sans doute. Mais ils restent des Juifs. On ne va pas donner l'impression de se courber devant des inférieurs.

 

Il ne s'agit pas de condamner la France dans sa totalité, ni l'administration française en général. D'autres services – en particulier la police et l'armée – se sont parfaitement adaptés à l'évolution du monde, coopèrent volontiers avec Israël et n'hésitent pas à en faire l'éloge.

 

Il ne s'agit même pas de condamner les diplomates français dans leur totalité. Dans d'autres services du Quai – diplomatie économique, affaires stratégiques et non-prolifération – la perception d'Israël est plutôt positive ou, du moins, largement libre de préjugés.

 

Mais, jusqu'à aujourd'hui, la direction de l'Afrique du Nord et du Moyen-Orient (que les autres diplomates appellent entre eux "la rue arabe") continue à entretenir une culture politique et sociologique d'un autre âge, où Israël est vu comme un malencontreux accident de l'histoire, la récompense excessive d'un peuple inférieur et une source de troubles sans fin dans un monde que la "sagesse française" pourrait, sans cela, contribuer à ordonner de manière harmonieuse.

 

Cette vision est en décalage absolu avec la réalité : celle d'un Israël en excellente position stratégique, dont plus rien ne menace la survie dans l'avenir prévisible et qui a sur la France elle-même une avance technologique énorme dans les industries de défense et un réseau bien plus fourni de soutiens stratégiques parmi les pays arabes.

 

Aussi longtemps que cette vision n'aura pas été éradiquée, la France n'aura strictement rien à apporter au Moyen-Orient du point de vue diplomatique. On ne peut pas être un acteur dans une région qu'on ne comprend pas et dont on méprise l'un des principaux acteurs. Mais l'éradiquer [la vision !] exigerait, de la part d'un grand ministre et avec l'appui explicite de l'Elysée, un effort important de ressources humaines – on ne peut pas faire une politique raisonnable avec des antisémites formant d'autres antisémites – et de redéfinition stratégique. Cette réforme devra donc attendre la fin du principat d'Emmanuel Macron et de son bagagiste au ministère des Affaires Etrangères, Jean-Yves Le Drian.

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