En Tunisie, la lutte contre le pillage du patrimoine juif

En Tunisie, la lutte contre le pillage du patrimoine juif

 

Outre l'abandon dont souffrent de nombreux lieux de la culture juive tunisienne, le pays s'est également retrouvé au cœur d'un trafic d'antiquités hébraïques venant de Libye

La Tunisie s’efforce de protéger le patrimoine juif d’Afrique du Nord, menacé par le vandalisme, le pillage et la contrebande d’objets de valeur témoignant de la longue histoire des Juifs de la région.

Outre l’abandon dont souffrent de nombreux lieux de la culture juive tunisienne, le pays s’est également retrouvé au cœur d’un trafic d’antiquités hébraïques venant de Libye, pays voisin.

« Une immense quantité d’antiquités ont été volées en Libye, et les gens essaient de les exporter clandestinement vers l’Europe », explique Habib Kazdaghli, historien de l’université de la Manouba à Tunis.

Il milite pour l’ouverture d’un musée rassemblant le patrimoine juif tunisien, un projet sensible vu la méfiance de l’opinion publique envers tout ce qui a trait à l’identité juive, exacerbée par la forte opposition politique à Israël dans ce pays à majorité musulmane.

Des populations juives habitent pourtant l’Afrique du Nord depuis plus de 2 000 ans, enrichies au fil de l’histoire par plusieurs vagues d’immigration, parmi lesquelles les nombreux réfugiés fuyant l’inquisition espagnole à la fin du XVe siècle, puis des familles italiennes au XVIIe.

Mais ces dernières décennies, la communauté juive a largement diminué, sous l’effet de l’émigration vers l’Europe ou vers Israël, laissant derrière elle des synagogues, maisons de famille ou cimetières à l’abandon, et à la merci des pillards.

Sur cette photo du mercredi 28 octobre 2015, un touriste visite La Ghriba, la plus ancienne synagogue d’Afrique, sur l’île de Djerba, dans le sud de la Tunisie. (Crédit : AP / Mosa’ab Elshamy)

« Unique au monde »

De même en Libye, après le départ des Juifs dans les années 1960, des réseaux de trafiquants ont pillé un patrimoine précieux pour tenter de les vendre à des collectionneurs occidentaux, un trafic facilité par le chaos régnant depuis la chute de Kadhafi en 2011.

Signe de l’ampleur du phénomène : Tunis annonce plusieurs fois par an des saisies de manuscrits ou autres objets dont certains datent du XVe siècle.

En octobre, le ministère de l’Intérieur a ainsi annoncé avoir saisi deux rouleaux manuscrits de dix mètres chacun dans la cité balnéaire de Nabeul, dans le centre-est de la Tunisie. Cinq petits livres anciens en hébreu ont également été saisis.

En 2017, la police avait confisqué une copie complète des cinq livres composant la Torah (la bible hébraïque), datant du XVe siècle.

Les textes sont calligraphiés à la main sur 37 mètres de peau de bœuf, ce qui en fait un objet « unique au monde », selon le ministère de l’Intérieur, précisant que des « étrangers » avaient tenté d’acquérir ces impressionnants rouleaux.

En janvier 2019, la police a indiqué avoir saisi six documents hébreux que les trafiquants ont avoué espérer vendre 1,5 million de dinars (470 000 euros). Un réseau spécialisé dans les fouilles clandestines et de trafic d’antiquités les avait volés dans des musées libyens, selon les autorités tunisiennes.

« Comment imaginer que des gens volent la Parole de Dieu et essaient de la vendre ? » proteste Perez Trabelsi, l’un des chefs de file de la communauté juive tunisienne.

Perez Trabelsi, président de la commission d’organisation du pèlerinage de la Ghriba. (Crédit : Capture d’écran Youtube/Djerba Magazine)

Ces dernières années, « nous avons répertorié des dizaines d’objets hébreux volés, qui se sont avérés être importants et rares », souligne Souad Toumi, experte du patrimoine hébreu pour le musée national du Bardo.

« Crève cœur »

Les objets, qu’elle analyse à la demande des services de sécurité, sont essentiellement des manuscrits, calligraphiés avec soin, et parfois même avec de l’encre d’or, et reliés entre eux par des fils faits d’intestins de mouton ou de bœuf. Certains viennent de Tunisie, d’autres de pays voisins, notamment de Libye.

Outre des reproductions de textes sacrés, on y trouve des chants religieux et des prières, des réflexions, des ornements géométriques, ou à base de plantes et d’animaux, des croquis du corps humain, ou des constellations, décrit-elle.

Si le trafic d’antiquités n’est pas une nouveauté en Tunisie, c’était un tabou avant la chute en 2011 du dictateur Zine el Abidine Ben Ali, dont plusieurs proches ont été condamnés pour des faits de ce type. Mais depuis la révolution tunisienne, « on peut parler de ces infractions », souligne Mme Toumi.

La loi tunisienne, durcie après 2011, rend le « commerce de biens culturels ayant une valeur historique » passible de dix ans de prison.

Cela n’empêche pas des intermédiaires tunisiens de se presser lorsque des Libyens mettent en vente sur Facebook des manuscrits, souligne l’ONG Athar, qui observe les groupes où se vendent illégalement les antiquités de la région sur les réseaux sociaux.

Après une décennie de violences, de nombreux sites archéologiques libyens ont été vandalisés et pillés.

Pour le chercheur tunisien Lotfi Abdoul Jawad, c’est « un crève-cœur » de voir ces « tentatives de vendre une partie de l’histoire de la Tunisie ». « C’est un crime contre l’Humanité », déplore-t-il.

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