Frédéric Encel : « L’hypocrisie des diplomates qui nient la présence trimillénaire ininterrompue des Juifs à Jérusalem »

Frédéric Encel : « L’hypocrisie des diplomates qui nient la présence trimillénaire ininterrompue des Juifs à Jérusalem »

Par Steve Nadjar

 

Pour le professeur de relations internationales à Sciences Po Paris et à la Paris Business School, le vote de l’Unesco sur les lieux saints participe de l’instrumentalisation traditionnelle de Jérusalem à des fins politiques. Une tentative « outrancière » et « ridicule » au regard de l’Histoire.

 

Actualité Juive : Le conseil exécutif de l’Unesco a voté la semaine dernière un nouveau texte controversé sur Jérusalem, omettant la judéité de la ville. Comment cette instance s’est-elle transformée ces dernières années en porte-voix d'entreprise de réécriture de l’histoire ?

Frédéric Encel : Vous savez, ce n'est pas très nouveau ; le fonctionnement de ces instances permet à des régimes violemment antisionistes, voire antisémites, comme celui génocidaire au pouvoir au Soudan, d'instrumentaliser l'Unesco – et n'importe quelle autre instance onusienne du reste – à leurs fins anti-israéliennes. Je note tout de même que cette fois, de nombreux pays, démocratiques et promouvant réellement la culture par ailleurs, n'ont pas soutenu cette résolution outrancière et historiquement ridicule, soit en s'abstenant, soit en s'y opposant.

 

A.J.: Jérusalem ne s’est imposée comme le point de fixation des revendications palestiniennes et plus largement arabes en terre sainte qu’à partir du XXe siècle. Pourquoi le silence était-il de mise auparavant ?

F. E. : Mais parce que Jérusalem constitue aussi un instrument politique ! Lorsque les Croisés s'en emparent et la saccagent en 1099, elle n'est, ni n'a jamais été auparavant, la capitale d'un quelconque Etat musulman, les Turcs seldjoukides qui la perdent ayant installée la leur à Nichapur. Et une fois la cité conquise par le chef kurde Saladin en 1187, celui-ci déplore l'indifférence dont elle pâtit aux yeux des princes musulmans d'alors. Idem plus tard après la chute des Croisés ; entre 1299 et 1917, jamais l'empire ottoman ne portera Jérusalem aux nues et, bien pire, il l'oubliera dans un état de pauvreté et d'arriération que tous les voyageurs européens de la fin du XIXe siècle – et pas seulement Herzl ! – constateront. Et quid du Royaume hachémite de Jordanie qui, après la guerre de 1948, instaure plutôt sa capitale dans ce petit oasis insignifiant qu'est Amman ? Ces réalités historiques n'interdisent pas aux Palestiniens de revendiquer aujourd'hui ce que bon leur semble – c'est leur droit – mais elles illustrent le comble de l'hypocrisie dont font preuve les militants ou les diplomates qui tentent de nier non seulement la présence trimillénaire ininterrompue des Juifs à Jérusalem, mais encore l'authentique statut de capitale politique qu'ils lui conférèrent objectivement sous l'Antiquité et jusqu'à sa chute face à Rome en l'an 70.

 

« Une résolution outrancière et historiquement ridicule »

A.J.: Dans votre livre référence sur la Géopolitique de Jérusalem    (Flammarion, « Champs », nouvelle  édition 2008), vous rappelez cette phrase de Yasser Arafat : « Jérusalem est trois fois importante ; pour les Palestiniens, les Arabes, et les musulmans ».

F.E. : Oui, nous étions là au cœur d'une rhétorique censée permettre au chef palestinien de transcender son seul statut de chef des Palestiniens, et de l'élargir à celui de protecteur d'une ville à la fois arabe et musulmane. Aucun Israélien n'a jamais remis en cause le droit pour des non-Juifs de vivre à Jérusalem. Hélas l'inverse n'est pas vrai. De 1948 à 1967, la pourtant modérée Jordanie interdisait aux Juifs de s'y rendre et n'accordait aucun soin à leurs lieux de culte, à commencer par le Kotel HaMaaravi, le mur des Lamentations.

 

A.J.: Quelle analyse faites-vous des positions puis des réactions au dernier vote à l’Unesco dans le monde chrétien ? Les diplomates israéliens ne sont pas parvenus à mobiliser des puissances où le poids de l’Eglise est pourtant prégnant…

F.E. : Je pense qu'on aurait tort de penser les Etats occidentaux comme chrétiens dès lors qu'il s'agit de diplomatie. Dans le monde géopolitique, priment surtout des sympathies politiques, des intérêts commerciaux, des réalités stratégiques. Les identités religieuses sont surtout convoquées par des Etats despotiques et/ou non sécularisés ; regardez qui sont les principaux moteurs de la résolution de l'Unesco ! Or en Occident, tous les Etats sont sécularisés, autrement dit ils n'agissent en principe pas en fonction de l'origine ou la sensibilité religieuse de la majorité de leurs ressortissants. D'ailleurs, petite pirouette ; parmi les Etats les plus favorables à Israël et qui, en l'espèce, ont rejeté la résolution, on compte la République tchèque et le Danemark, deux sociétés parmi les plus éloignées de la pratique du christianisme ! 

Frédéric Encel vient de publier avec Yves Lacoste «Géopolitique de la nation France» (PUF, 19 euros). La 4e édition de son « Atlas géopolitique d'Israël » paraîtra en janvier 2017aux éditions Autrement 

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Steve Nadjar Journaliste Responsable contenu du site/Spécialisé en géopolitique

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