«La France a permis la survie d’Israël» : la fille de Shimon Peres évoque son héritage

«La France a permis la survie d’Israël» : la fille de Shimon Peres évoque son héritage

 

Tsvia Walden-Peres, fille de l’ancien président israélien décédé l’an dernier, évoque la carrière et la pensée politique de son père.

Propos recueillis par Jannick Alimi et Henri Vernet

Tsvia Walden, universitaire et « activiste » de la paix, est la fille de Shimon Peres, fondateur de l’Etat d’Israël, membre du parti travailliste plusieurs fois ministre et Premier ministre, mort en 2016 à 93 ans. Alors qu’est publié le dernier ouvrage-testament* de celui qui fut également prix Nobel de la paix en 1994 (avec Rabin et Arafat) et président d’Israël de 2007 à 2014, elle répond aux questions du Parisien-Aujourd’hui en France.

Pour quelle raison votre père a-t-il écrit ce livre ?

Tsvia Walden-Peres. Il a dicté ce livre en six jours et en anglais, un mois avant sa disparition. Il voulait laisser un message, un héritage à la jeune génération. Il ne voulait pas raconter sa vie mais comme elle fait « un » avec l’histoire d’Israël, il nous livre ainsi certains secrets qui étaient impossible à révéler jusqu’à aujourd’hui. Par exemple sur le raid d’Entebbe en Ouganda effectué par un commando israélien en juillet 1976 pour libérer des otages retenus par le Front de libération de la Palestine.

Que révèle-t-il ?

On apprend qu’il était hors de question pour lui de céder au chantage. Si Israël cédait, c’est tout le cours de son Histoire qui aurait changé ainsi que l’image d’Israël dans le monde et le regard d’Israël sur lui-même. Pour Shimon Peres, il fallait passer à l’offensive alors que dans le gouvernement de l’époque et même dans l’armée, on n’osait pas l’imaginer. Mon père était considéré comme une « colombe», mais être colombe ne signifie pas avoir le ventre mou. C’est d’ailleurs lui qui a été l’initiateur du programme nucléaire israélien. Mais l’idée était moins d’acquérir une puissance nucléaire que de faire croire qu’Israël était une puissance nucléaire.

La France a aidé Israël dans ce programme puis elle s’est éloignée. Quel était le regard de Peres sur notre pays ?

Il s’est adressé tout d’abord à la France pour l’achat d’armes alors qu’il ne connaissait rien à ce pays, pas même sa langue. Il cherchait des alliés sur la scène internationale, alors que même l’Amérique, soi-disant l’ami historique d’Israël, avait refusé de vendre des armes. Or Israël avait besoin de ces armes pour sa survie. Pourquoi la France ? Parce qu’après la Seconde Guerre mondiale et l’Occupation, il a senti en France une réflexion existentielle qui l’aiderait à comprendre la nécessité pour les Juifs d’avoir un foyer national fort. Grâce aux ventes d’armes et à son aide scientifique et technologique sur le programme nucléaire, la France a permis la survie d’Israël. Malgré l’éloignement de la France après la Guerre des Six jours (NDLR, en 1967), mon père lui gardait une affection et une admiration. Et il croyait qu’elle pouvait jouer un rôle spécifique dans le processus de paix au Moyen-Orient.

Pourquoi Shimon Peres est passé de « faucon » à « colombe » ?

Parce que les circonstances ont changé. Une fois qu’il a senti Israël assez fort pour se défendre, alors il est devenu un homme de paix. C’est-à-dire après la signature des accords avec l’Egypte de Sadate.

Quand a-t-il pris conscience de la « question palestinienne » ?

Contrairement à un « père fondateur » de l’Etat d’Israël comme Théodore Herzl ou la génération incarnée par Golda Meir, mon père a très vite eu la conviction qu’il fallait une terre à un peuple et que donc les Palestiniens avaient droit à un Etat. Il n’est pas arrivé à traduire cette conviction dans les faits et il en souffrait énormément. Mais il a appelé la jeune génération à accomplir ce dessein. Deux Etats pour deux peuples, il n’a jamais cessé d’y croire.

La génération actuelle a envie de cette paix ?

Il y a une grande partie des nouvelles générations qui n’ont pas connu la naissance ni même l’Histoire de l’Etat d’Israël et cela ne pousse pas aux compromis. Il y a tout un enseignement à faire dans ce domaine.

Peres a laissé quelques clés pour accéder à la paix dans la région ?

Il utilisait volontiers une image : il y a un mur insurmontable qui sépare deux protagonistes qui n’arrivent pas à entrer en contact. Alors ce qu’il faut faire, c’est tâtonner, tâtonner jusqu’à trouver une ouverture. Il a fini par faire un constat terrible, c’est que les hommes politiques étaient dans l’incapacité de faire la paix. Il faut donc les contourner, par exemple grâce à la communauté des sciences et de l’innovation qui dépasse les gouvernements, grâce aussi aux milieux économiques qui, par leur internationalisation, favorisent la paix.

Beaucoup lui reprochaient d’être un rêveur…

Il n’a pas fait l’unanimité. Pour suivre ses idées, il faut des hommes courageux, et il n’y en a pas. Mais le désir de la paix est partagé par un grand nombre de citoyens, la classe politique ne reflète vraiment pas la vraie volonté du peuple israélien.

C’est pourtant le peuple qui a porté au pouvoir le « dur » Netanyahu ?

Notre système électoral proportionnel crée un problème, une minorité peut avoir beaucoup plus d’influence qu’elle ne devrait. De plus, les gens votent selon les circonstances, les attentats notamment.

Qu’est-ce qui pourrait faire avancer les choses ?

Le moment est venu pour le peuple palestinien d’avoir le courage d’accepter un compromis qui va changer le cours de leur Histoire. Israël doit de son côté faire un pas vers la paix, parce que nous sommes plus forts. Israël est entouré de pays arabes qui pourraient être amis, car Israël ne va pas changer d’adresse !

Quels pays de la région voyez-vous évoluer favorablement ?

L’Arabie saoudite commence à bouger. Les pays arabes, Arabie, Dubaï, Egypte et d’autres, vont faire pression sur les Palestiniens et cela va aider à résoudre le problème. Car nous sommes confrontés à une bête noire qui menace tout le monde, c’est l’Iran. La première étape, c’est de régler le problème entre Israël et la Palestine, la deuxième est de créer une coalition dans la région avec les pays arabes pour passer à la prochaine ère.

Vous y croyez ?

Je suis confiante en tout ce qui représente un espoir.

*« Aucun rêve n’est impossible », est publié chez BakerStreet (263 pages, 21 euros)

Le Parisien

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