Le gouvernement Netanyahu alloue 288 millions d’Euros aux yeshivas(info # 010603/17)[Analyse]
Par Ilan Tsadik© MetulaNewsAgency
Chaque année la population de Juifs orthodoxes en Israël, déjà forte de 800 000 âmes, augmente d’environ 4% en raison de son fort taux de natalité. On parle ici des Israélites observant à la lettre les principes de la Halakha, la loi juive interprétée par les rabbins et découlant à la fois de la Torah écrite et orale. Les autres composantes de la population les nomment les "ultra-orthodoxes" ou encore les "Kharédim", littéralement "ceux qui craignent" Dieu et qui sont terrifiés à l’idée de violer l’une des 613 mitzvot (commandements issus de la Torah) ; des termes rejetés par les intéressés, qui les considèrent péjoratifs. Selon eux, ils sont tout simplement les Juifs.
Les orthodoxes représentent 10% de la population d’Israël, alors que les autres Juifs, y compris d’autres groupes de religieux, atteignent 5.5 millions, soit un peu plus de 65 pour cent des habitants du pays.
Or en 2015-2016, la part des hommes orthodoxes qui travaillaient, selon les statistiques de l’Etat, ne dépassait pas les 51-52%, les autres se consacrant exclusivement à l’étude de la Torah. Ce qui explique qu’il y a plus de femmes orthodoxes ayant un emploi que d’hommes, soit environ 73% d’entre elles (contre 80% des autres Israéliennes).
On imagine les efforts que la société doit concéder pour permettre à cette communauté de vivre sans produire de richesses ni participer à la défense d’un pays en guerre. Or cette contribution a encore augmenté dimanche dernier, lorsque le gouvernement hébreu a décidé d’accroitre de 50 millions de shekels (13 millions d’euros) le budget alloué aux yeshivas – les centres d’étude de la Torah et du Talmud -, le portant à 1 224 milliards de shekels, soit 288 millions d’Euros.
C’est la somme record atteinte par ce budget de tous temps, et le troisième record de ce type à tomber depuis 2015, année du retour des partis orthodoxes, Yahadout ha-Torah (le judaïsme unifié de la Torah) pour les ashkénazes, et Shas, pour les séfarades.
Yahadout ha-Torah détient six sièges sur les 120 que compte la Knesset, le parlement israélien, et Shas sept. A eux deux ils constituent le balancier entre la majorité et l’opposition, séparés par sept sièges d’écart.
Pour le représentant de Yahadout ha-Torah que j’ai interpelé, cet accroissement budgétaire n’a rien d’étonnant, puisqu’il est dicté par les conditions du pacte de gouvernement de la coalition actuelle.
Certes. Mais les choses ne sont pas si simples, ne serait-ce que sur le plan comptable ; à savoir que, durant les années où les partis orthodoxes ne participaient pas à la coalition et où Yaïr Lapid était ministre des finances, par exemple en 2013, le nombre des élèves des yeshivas, récipiendaires de subventions revues à la baisse, avait reculé de 8%.
Depuis 2015, tous les avantages pécuniaires octroyés aux yeshivas et aux orthodoxes que Lapid avait réduits ont été restaurés. Et le taux d’hommes mariés qui fréquentent les écoles religieuses à temps complet a grimpé de 15 pour cent en deux ans, soit deux fois l’augmentation naturelle du nombre d’orthodoxes.
Les appuis financiers distribués par l’Etat aux "kharedim" dans le besoin, en plus des aides sociales versées aux autres Israéliens dans le même cas, ont également augmenté, ainsi que ceux versés aux élèves à plein temps des yeshivas de tous les âges.
D’autres contraintes qui les concernaient ont été levées, comme celle de rechercher un emploi pour avoir droit à des assistances supplémentaires.
Résultat de ces mesures, il n’est plus intéressant pour les orthodoxes de travailler, et la proportion de ceux qui ont un emploi stagne depuis leur retour au gouvernement. A noter toutefois que les deux partis politiques qui les représentent continuent de les encourager à trouver un job, et qu’ils envisagent d’installer des versions adaptées de Pôle-emploi, à Jérusalem et dans les autres villes et quartiers dans lesquels ils sont présents en nombre.
Tous les députés de Shas et de Yahadout ha-Torah ne partagent toutefois pas cette préoccupation, à l’instar du député Moshé Gafni, qui relève la problématique attenante à l’emploi des femmes. Il est clair que peu d’orthodoxes sont foncièrement dérangés par le fait qu’ils vivent aux dépens de leurs compatriotes. Et d’ailleurs, le mot compatriote n’a pas chez eux l’acception qu’elle revêt généralement. Ainsi, lorsqu’il prit la décision de participer à une coalition gouvernementale, le parti du Judaïsme unifié de la Torah ne manqua pas de faire savoir que l’importance de "la survie des yeshivas surpassait celle de l’Etat d’Israël".
Les orthodoxes, à l’exception d’une partie ultra-minoritaire qui a embrassé la modernité, se caractérise par un rejet absolu de la culture laïque postmoderne. Les partisans de l’orthodoxie ont au contraire fusionné afin de faire montre de leur opposition à l'émancipation, l'illumination, et au mouvement "Haskalah" (l’éducation), dérivé de l'illumination. Ils repoussent l'acculturation, la sécularisation, la réforme religieuse sous toutes ses formes, des légères aux extrêmes, ainsi que l’émergence du mouvement national juif, qui a abouti à la création d’Israël.
Ils sont d’avis que la ségrégation de la société moderne est nécessaire pour maintenir une adhésion inébranlable à la fois à la loi juive et à leurs coutumes.
La seule source de pouvoir pleinement légitime à leurs yeux est le rabbin de la congrégation à laquelle ils appartiennent. Ils croient aussi que le fait d’échanger leur soutien à un gouvernement contre de l’argent procède d’un principe acceptable ne heurtant pas leur morale. Et nous devons à la vérité de dire qu’ils ne se sont pas imposés à cette coalition, ni à toutes celles qui l’ont précédée et auxquelles ils ont participé. Notamment celles dirigées par les travaillistes, desquels ils furent les plus fidèles alliés politiques des décennies durant.
Non seulement ils ne font pas l’armée, à quelques centaines d’exceptions près, mais ils harcèlent les jeunes qui se sont engagés, jusqu’à utiliser des méthodes violentes à leur encontre. Ils n’hésitent pas non plus à se mesurer à la police ou à Tsahal lorsqu’un rabbin l’a ordonné ; comme ce fut le cas lors de l’évacuation de l’implantation d’Amona, lorsqu’ils blessèrent des dizaines de Gardes-Frontières. Sur les murs de la synagogue d’Amona, l’on retrouva des graffitis comparant les gardiens d’Israël aux soldats nazis, de même que l’écusson de la Police israélienne, sur lequel le cœur de l’emblème avait été remplacé par une croix gammée.
Un grand nombre d’Israéliens n’accepte pas que l’on finance ainsi des ennemis auto-déclarés de l’Etat. Dans la majorité des yeshivas, ils ont exclu les fondateurs du sionisme, dont Théodore Herzl, Ze’ev Jabotinsky – le père du courant révisionniste, dont se réclame le Likoud, précision que je destine à ceux qui ne connaissent que leur propre prénom et le mot gauchistes -, de même que David Ben Gourion.
A part ne pas enseigner l’histoire et la géographie, on n’y inculque pas non plus les mathématiques et les langues étrangères. A quoi bon ?
La réaction d’Uri Regev, le directeur de l'organisation Hiddush - Pour la liberté religieuse et l'égalité -, condense bien le ras-le-bol ambiant et la coupe qui déborde. Il a fustigé la décision de dimanche, par laquelle on a encore une fois augmenté le financement des yeshivas.
Et Regev ne s’est pas trompé de cible en stigmatisant non pas les orthodoxes mais "le gouvernement (qui) approuve sans hésitation le financement accru des yeshivas, tout en réduisant le financement pour les pompiers et les services de secours, pour les soldats démobilisés, les collectivités locales, de même que les subventions au logement".
Avant d’ajouter : "Il est clair que ce n'est pas un gouvernement qui représente le peuple, mais un gouvernement qui achète les voix des ultra-orthodoxes afin de rester au pouvoir. Voilà ce que tous les gouvernements israéliens ont fait, et le temps est venu de dire Non ! Il faut arrêter le vol de l'argent public par les politiciens cyniques".